LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Serlio, Sebastiano
Titre [Libro sesto di tutte le habitationi...]
Adresse  
Localisation New York, Columbia University, Avery Architectural and Fine Arts Library, AA520 SE 694 F
Mots matière Architecture civile
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Transcription du texte

English

     Il existe deux versions manuscrites complètes du Livre VI qui ne fut jamais publié. La première, un manuscrit préparatoire sur papier, est conservée à l’Avery Library de l’Université Columbia à New York (AA520 Se 694 F). La seconde, l’exemplaire de présentation sur vélin, est conservée à la Bayerische Staatsbibliothek à Munich (Codex Icon 189). Il existe également des épreuves des illustrations faites en France au dix-septième siècle à partir d’un troisième manuscrit disparu ; ces épreuves se trouvent à l’Österreichische Nationalbibliothek de Vienne (72.P.20). Le titre Libro Sesto di tutte le habitationi utilisé est tiré des Regole generale d'architettura di Sebastiano Serlio bolognese sopra le cinque maniere de gli edifici, où Serlio, en 1537, donne le plan de son ouvrage à venir (f. V) ; les deux manuscrits n’ont en effet pas de titre.
Le manuscrit préparatoire du Livre VI fut acquis en 1920 par William B. Dinsmoor, le bibliothécaire de l’Avery Library, chez le marchand de livres Bernard Quaritch. Ce dernier avait acheté le manuscrit en 1917 sur le marché de l’art londonien. Alors que le manuscrit du Livre VI de Munich (Bayerische Staatsbibliothek, Cod. Icon 189) fut probablement vendu par Serlio à Strada lors de son second séjour (1552-1553), le manuscrit de l’Avery resta en France jusqu’au début du XVIIIe siècle. Jacques Androuet du Cerceau l’a détenu car son écriture se retrouve dans les titres français ajoutés aux planches I-VI, VIII, XIII et XIV (Thomson 1984 ; Rosenfeld 1989), puis Salomon de Brosse, petit-fils de du Cerceau, chez qui Pierre Le Muet le consulta : de nombreuses preuves de l’influence des habitations urbaines pour des marchands modestes et aisés de Serlio se retrouvent en effet dans la Manière de bastir (Mignot 1981, p. xii-xv, 6, n. 6.). Durant le XIXe siècle, le manuscrit passa dans plusieurs collections privées écossaises.
Le manuscrit de New York est un exemplaire préparatoire inachevé, exécuté sur neuf types de papier français utilisés d’après leurs filigranes entre 1530 et 1555. Pour les dessins, trois types de papier du sud de la France furent utilisés ainsi que six autres provenant de Paris, Orléans et Saint-Germain-en-Laye ; pour le texte, du sud-ouest de la France. Toutes les feuilles des illustrations et du texte sont de tailles différentes (entre 385 mm. et 835 mm. en hauteur et 365 et 667 mm. en largeur). Serlio dut commencer le manuscrit au printemps ou à l’automne 1541 après son arrivée en France où il fut nommé architecte du roi le 27 décembre 1541. Il travaillait probablement encore sur le manuscrit en 1551, l’année de la publication du Livre extraordinaire à Lyon (Dinsmoor 1942). Le Grand Ferrare (1542-1546) à Fontainebleau, demeure du cardinal Hyppolite II d’Este, fut dessiné par Serlio sur un papier lyonnais semblable à celui utilisé pour l’Extraordinaire. Selon une lettre qu’Hyppolite II d’Este écrivit à son frère le duc Hercule II d’Este, le 16 mai 1546, le cardinal avait demandé à Serlio de retirer du Livre VI les dessins du Grand Ferrare car il jugeait la demeure trop modeste. Le cardinal quitta Lyon pour l’Italie en 1549. À la différence de Dinsmoor, je crois que Serlio partit avec le cardinal pour participer aux préparatifs de l’entrée du roi Henri II à Lyon le 23 septembre 1548 ; il figurait parmi les participants à l’entrée du cardinal François de Tournon à Lyon le 28 septembre 1552. Serlio ne revint pas à Fontainebleau avant 1553.
Les soixante-treize folios d’illustrations et les soixante-trois feuilles de texte du manuscrit de New York ne furent pas reliés du vivant de Serlio. L’ordre original fut modifié lorsque les feuilles de texte et d’illustrations furent reliées au XVIIIe siècle puis de nouveau en 1919. À l’origine, Serlio avait apposé sur les rectos avec les illustrations des lettres avec des chiffres arabes pour les maisons de campagne (A 1 à 31) et des lettres capitales sans chiffre pour les maisons urbaines (A-T, V-W). Le verso de chaque illustration présente la présentation de celle qui suit. Sur une feuille de texte, Serlio s’est trompé de numéro d’illustration (pl. XXV, projet V 20) et l’a relié à la planche XXIII, projet T 19. Cette erreur fut corrigée dans le fac-similé du manuscrit de New York publié en 1978. Le Grand Ferrare n’a pas de numéro d’identification (pl. XI). Dinsmoor lui donna le numéro N13a et l’ajouta aux séries des maisons de campagne des gentilshommes. Il le plaça avant le projet O14, planches XII et XIII, car Serlio avait appelé le projet O14a « maison pour un gentilhomme semblable au précédent projet ». Les deux projets ont des plans similaires. Dinsmoor rétablit l’ordre original des folios de dessins et de texte, qui fut reproduit dans le fac-similé de 1978. Les planches des soixante-treize folios d’illustrations y sont numérotées en chiffres romains, avec en face les textes correspondants. Une table de concordance entre le manuscrit de New York, celui de Munich et le volume relié en 1919 y fut aussi publiée. Vaughan Hart et Peter Hicks considèrent que la planche LXIII du manuscrit, qui fut identifiée par Dinsmoor comme une partie du projet S (le palais du podestat) appartient au palais du roi, projet W, débutant à la planche LXXI.
Les dessins furent exécutés à la plume, encre brune et lavis brun, sur un dessin à la pointe avec crayon sous-jacent. Huit folios de dessins sont composés de morceaux de papier collés ensemble par Serlio lui-même (pl. XIII, XV, XVII, XVIII, XXIX, XLI, LXXI, LXXIII). Il existe également des retombes avec les agrandissements de détails de plusieurs façades et plans qui furent collés sur quatre folios (pl. XXXIV, LXVIa, LXXI ; quatre retombes, LXXIIIa/b). Trois dessins de plans inachevés sur les versos des planches LV, LVI et LXVII ont pu être utilisés par Serlio pour transférer les dessins sur une autre feuille de papier. Celui de la planche LXVII n’est pas de Serlio.
À l’origine, les soixante-trois folios de texte n’étaient pas attachés aux dessins. Il manque onze feuilles de texte. Dinsmoor a identifié la main de Serlio dans les écritures des manuscrits de Munich et New York en les comparant à plusieurs de ses lettres et, plus particulièrement à celle écrite à l’Arétin à Venise en 1538-1539. J’ai pu mettre en évidence que le texte fut écrit après que Serlio eut établi l’ordre définitif des dessins. Il dut commencer son texte en 1547 avant la mort de François Ier, car c’est lui qui est concerné par toutes les allusions au roi. Serlio dut terminer le texte entre 1549 et 1551, pendant le règne d’Henri II (1547-1559), car certaines pages sont écrites sur des feuilles de papier employées de 1547 à 1555. À la différence du manuscrit de Munich, il n’y a pas de page de titre, pas d’introduction ni d’avertissement au lecteur. Avant de l’abandonner définitivement, Serlio dut revoir le texte car le projet L11 sur la planche VI et le projet M12 sur la planche VII présentent des textes différents, avec des titres semblables aux textes explicatifs du manuscrit du Livre VI de Munich. Les textes explicatifs des projets A-F, les maisons urbaines de la planche XLVIII du manuscrit de New York ont également des titres.
Serlio organisa les trente-et-une maisons de campagne et les vingt-et-une habitations urbaines de la version de l’Avery en fonction de la structure hiérarchique de la société, du sujet le plus pauvre au roi, d’abord à la campagne, puis en ville. Il présentait des habitations rurales pour neuf échelons de la société, depuis des fermes pour les classes pauvres et moyennes jusqu’à une maison de plaisance pour le roi François Ier. Les demeures urbaines furent prévues pour onze échelons de la société, depuis les cabanes des artisans jusqu’à un projet pour le Louvre. Serlio mêla les structures sociales françaises et italiennes. Les postes de « podestà », « capo di parte » et de « capitano » concernaient les villes d’Italie alors que le poste de Gouverneur de Paris avait été créé par Louis XI. Pour les maisons des artisans pauvres de la campagne (commençant à la planche II) et les maisons des artisans modestes de la ville (pl. XLVIII, projets E et F), Serlio juxtaposa les types existant en France et en Italie, ce qui constituait une initiative inédite dans les traités de la Renaissance. L’architecte proposait quatre modèles d’habitations rurales et cinq d’habitations urbaines, avec une alternative entre le type français et le type italien. Les maisons de Serlio n’auraient pas été construites dans des quartiers distincts : au Moyen Âge et à la Renaissance, les maisons des personnes riches côtoyaient celles des classes indigentes et celles des classes moyennes dans les villes de France et d’Italie.
Chez Serlio, la hiérarchie des habitations doit beaucoup à celles déjà élaborées par Alberti, Filarete et Francesco di Giorgio, lesquels combinaient dans leurs traités les systèmes républicains et monarchiques. Comme Francesco di Giorgio, Serlio commence sa classification par l’habitat le plus pauvre. Toutefois, il existe des différences importantes. Tout d’abord, il n’y a pas de catégorie d’habitation spécifique pour les membres de l’Église comme on en trouve dans les traités italiens antérieurs : en effet, la demeure d’Hyppolite II d’Este (pl. XI) est qualifiée de « maison d’un gentilhomme » dans le manuscrit de l’Avery. L’attitude anticléricale de Serlio est sans doute liée à son amitié, en Italie et en France, avec des sympathisants des Évangélistes qui souhaitaient réformer l’Église catholique romaine : le cardinal Gaspare Contarini, Lorenzo Lotto, Jacopo Sansovino, l’Arétin et Marguerite de Navarre qui paya une pension à Serlio de 1540 à 1547.
À la différence de ses prédécesseurs italiens, Serlio porte un grand intérêt aux logements des classes pauvres et des classes moyennes ; il ajoute également des maisons communales où l’on partageait des services comme les cuisines et les toilettes. L’intérêt de Serlio pour les logements des classes défavorisées ne résultait pas uniquement de sa familiarité avec les écrits d’Alvise Cornaro et de Martin Luther, comme l’a suggéré Marco Rosci, mais il fut aussi influencé par ses contacts avec ceux qui deviendront protestants, comme Jacques Androuet Du Cerceau et son éditeur Jean de Tournes. De Tournes voyageait entre Lyon et Genève et il aurait fait découvrir à Serlio les idées de Calvin. En outre, Serlio connaissait les maisons communales bâties à Venise entre le troisième quart du XIVe siècle et le milieu du XVe siècle et celles d’Augsbourg, édifiées durant le deuxième quart du XVIe siècle (Carpo 1992).
Le Livre VI de Serlio est essentiel dans l’évolution de la théorie architecturale à la Renaissance. La reconnaissance par l’architecte de l’architecture vernaculaire française, placée au même niveau que l’architecture italienne du XVIe siècle, est en contradiction avec la condamnation du style gothique, appelé « maniera tedesca » par Raphaël dans sa Lettre à Léon X (1518-1519) et par Vasari dans ses deux éditions des Vies (1555, 1568). Serlio montre que l’architecture domestique française, avec ses éléments de décoration gothique et son organisation vernaculaire, a la même valeur que l’architecture italienne contemporaine. Ni Raphaël ni Vasari ne parlaient de la conception des bâtiments qu’ils considéraient comme gothiques. L’ouverture de Serlio envers l’architecture française provenait très probablement du fait qu’il habita Bologne et Venise, deux villes de l’Italie du Nord qui possédaient une tradition gothique encore bien vivante au XVIe siècle. À Bologne, Serlio avait collaboré avec Baldassare Peruzzi en 1552 sur un projet d’achèvement de l’église de San Petronio pour laquelle Peruzzi avait conçu une façade gothique.
La volonté de Serlio de s’adapter au climat français et aux traditions locales de distribution et de décoration l’amena à concevoir des bâtiments qui ne correspondaient pas aux critères esthétiques de la décoration (« decoro »), ou de la distribution (« commodità »), de l’architecture italienne ou des principes de Vitruve. Si on lit attentivement le texte du manuscrit de l’Avery, ce fut pour lui une préoccupation constante. Dans la description de la façade d’une villa inspirée par le château de Blois, représentée planche XLI dans le manuscrit de l’Avery, Serlio écrit qu’il devait créer une « armonia la quale sara discordia concordante » dans la disposition des colonnes entre les baies. Serlio ajoute que la position des fenêtres devait correspondre à celle des pièces. En France, les pièces étaient placées en enfilade au lieu d’être disposées symétriquement autour d’un axe central comme en Italie.
L’intégration par Serlio des éléments de l’architecture renaissance italienne à la tradition gothique française fut poursuivie par Androuet du Cerceau (1559, 1561, 1582) et De l’Orme (1561, 1567).

Myra Nan Rosenfeld (Victoria University Centre for Reformation and Renaissance Studies, University of Toronto) – 2012

 

Bibliographie critique

M. Carpo, « The Architectural Principles of Temperate Classicism », Res, 22, 1992, p. 135-151.

S. De Ricci & W. J. Wilson, Census of Medieval and Renaissance Manuscripts in the United States and Canada, 2, 1937, Columbia University, n° 25, p. 1263.

W. B. Dinsmoor, « The Literary Remains of Sebastiano Serlio », The Art Bulletin, 24, 1942, p. 54-91, 115-154.

S. Frommel, Sebastiano Serlio architetto, Milan, Electa, 1998 (tr. fr. : Paris, Gallimard, 2002).

P. Le Muet, Manière de bastir pour touttes sortes de personnes..., avec introduction et notes par C. Mignot, Aix-en-Provence, Pandora, 1981.

M. Rosci, Il trattato di architettura di Sebastiano Serlio ; Il Sesto libro, delle habitationi di tutti li gradi degli homini (fac-similé du manuscrit du Livre VI de Munich), Milan, ITEC Editrice, 1966.

M. N. Rosenfeld, « Sebastiano Serlio’s Late Style in the Avery Library Version of the Sixth Book on Domestic Architecture », Journal of the Society of Architectural Historians, 28, 3, 1969, p. 155-172.

M. N. Rosenfeld, « From Drawn to Printed Model Book: Jacques Androuet Du Cerceau and The Transmission of Ideas from Designer to Patron, Master Mason and Architect in the Renaissance », RACAR (Revue d'art canadienne), 16, 2, 1989, p. 131-145.

M. N. Rosenfeld, « Recent Discoveries about Sebastiano Serlio’s Life and his Publications », préface à Sebastiano Serlio : On Domestic Architecture (réédition du fac-similé de 1978 du manuscrit de l’Avery), New York, Dover Publications, 1996.

M. N. Rosenfeld, « Sebastiano Serlio’s Contribution to the Creation of the Modern Illustrated Architectural Manual », C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, Milan, Electa, 1989, p. 102-111.

M. N. Rosenfeld, « Le dialogue de Serlio avec ses lecteurs et mécènes en France dans le Sesto Libro », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 145-154.

M. N. Rosenfeld, « Le manuscrit du Sesto Libro à New York », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 163-166.

Sebastiano Serlio on Architecture, Volume Two, Books VI-VII of ‘Tutte lopere d’architettura et prospetiva’ with ‘Castrametation of the Romans’ and ‘The Extraordinary Book of Doors’ by Sebastiano Serlio, translated from the Italian with an introduction and commentary by V. Hart and P. Hicks, New Haven/Londres, Yale University Press, 2001, p. 617-620, 626-629.

M. Tafuri, « ‘Vos enim estis templum Dei vivi’. Religious Anxieties and Architecture from Venice to the Court of Marguerite de Navarre », Venezia e il Rinascimento, Turin, Einaudi, 1985, p. 79-124.

D. Thomson, Renaissance Paris, Architecture and Growth 1475-1600, Berkeley, Los Angeles, University of California Press, 1984, p. 18 (1ère éd. : Londres, 1974).

 

 

 

 

Notice

[Libro sesto di tutte le habitationi...], New York, Columbia University, Avery Architectural and Fine Arts Library, AA520 SE 694 F.
Au XIXe siècle, le manuscrit passa dans plusieurs collections privées écossaises. En 1919, la reliure en cuir du XVIIIe siècle fut remplacée par une reliure moderne en maroquin réalisée par Rivière & Son à Londres.
La reliure originale contenait un frontispice composé d’une feuille de papier français d’Auvergne utilisé entre 1660 et 1760. On y trouvait sur le recto, une inscription manuscrite à l’encre, « VIII Livre D VIII de Serlio: M:s: Architectettura » et, sur le verso, un ex-libris avec les armes de la famille Bird de Cheshire utilisé jusqu’en 1724. Des montages du même papier français que le frontispice avaient été utilisés pour attacher les dessins et les pages de texte à la reliure du XVIIIe siècle. Ils furent retirés de la nouvelle reliure réalisée en 1919. En 1977, pour la préparation du fac-similé en réduction du manuscrit, les feuilles de dessins et de texte furent enlevées de la reliure de 1919 et décollées des montages. La reliure originale, les montages ainsi qui la correspondance de Dinsmoor concernant l’acquisition du manuscrit sont conservés dans les archives de l’Avery Library.