LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Vitruve
Barbaro, Daniele
Palladio, Andrea (illustrateur)
Titre I dieci libri dell’architettura...
Adresse Venise, F. Marcolini, 1556
Localisation Einsiedeln, Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, A 04f
Mots matière Architecture
Transcription du texte

English

     La traduction italienne illustrée et commentée du De architectura de Vitruve du patricien vénitien Daniele Barbaro (1514-1570) a été publiée à Venise en 1556 par l’éditeur Francesco Marcolini, un personnage central dans le monde de l’édition vénitienne du milieu du XVIe siècle. Il avait déjà publié le Terzo libro (1540) et le Quarto libro (1537) de Sebastiano Serlio, ainsi qu’un court traité sur la volute ionique de Giuseppe Salviati (1552), dédié à Barbaro. Cette importante publication est la quatrième traduction de Vitruve en italien de la Renaissance et la sixième dans une langue vernaculaire européenne (une traduction en français et une traduction en allemand furent publiées respectivement par Jean Martin et Walther Hermann Ryff en 1547 et 1548 à Paris et à Nuremberg). Une édition révisée d’un plus petit format a été publiée en 1567 à Venise par Francesco De Franceschi qui édita aussi la même année et pour la première fois l’édition latine commentée par Barbaro. Deux manuscrits préparatoires inédits relatifs aux éditions italiennes sont conservés à la Biblioteca Marciana à Venise (CL. IV, cod. It. 152 [=4106] et 37 [=5133]).
Le dessein original de l’édition italienne de Vitruve de 1556 était de rendre accessible aux architectes qui ne connaissaient pas le latin un texte fiable et d’une qualité lexicographique supérieure à celle des trois traductions italiennes précédentes publiées en 1521, 1524 et en 1536, en l’accompagnant d’une restitution fidèle de l’architecture antique telle que la décrit Vitruve. En d’autres termes, cette publication avait pour but de combiner l’étude strictement philologique et archéologique du texte de Vitruve avec la rédaction d’un commentaire qui aurait aussi la fonction de traité d’architecture pour la pratique contemporaine.
Daniele Barbaro a bénéficié dans sa grande entreprise éditoriale de l’étroite collaboration de l’architecte vicentin Andrea Palladio (1508-1580), qui ne se contenta pas de dessiner les illustrations les plus importantes dans les livres I-VI du Vitruve de 1556, mais qui contribua aussi aux commentaires et à l’élucidation de certaines obscurités du texte de Vitruve grâce à sa vaste expérience archéologique acquise lors de cinq séjours à Rome entre 1541 et 1554 et à sa connaissance de Vitruve qu’il avait étudié dès son association dans les années 1535/7-1540 avec son premier mécène, le patricien vicentin Gian Giorgio Trissino. Muni d’un profond savoir des auteurs de l’Antiquité ainsi que des langues grecque et latine, Barbaro était un traducteur et commentateur de Vitruve plus compétent que ses prédécesseurs, en particulier Cesare Cesariano, Durantino et Gian Battista Caporali, artistes (architectes et peintres) sans formation universitaire classique. Il lui manquait, en revanche, l’expérience de l’archéologie et de l’architecture, ce qui l’a sans doute incité à faire appel à Palladio, qui selon Barbaro construisait des édifices en Vénétie qui rivalisaient avec ceux de l’Antiquité, « superbi edificij… che contendono con gli antichi » (1567, éd. it., p. 64). La combinaison de l’érudition classique et des compétences philologiques de Barbaro avec l’expertise archéologique et architecturale de Palladio marque l’apogée de près d’un siècle de recherches sur le texte de Vitruve et confère une grande valeur scientifique à cette collaboration éditoriale.
Une comparaison des illustrations de Palladio pour le Vitruve de 1556 de Barbaro avec les gravures sur bois de l’édition de Fra Giovanni Giocondo de 1511 montre que les sommaires illustrations de Giocondo ont été étroitement étudiées par Palladio qui les a utilisées le plus souvent comme point de départ pour ses propres reconstructions. Dans la plupart des cas, Giocondo a seulement reconstitué les édifices antiques décrits par Vitruve en plan, en omettant les élévations et les coupes. La procédure normale de Palladio consiste en revanche à présenter un édifice antique reconstitué sous trois aspects : tout d’abord le plan de l’édifice correspondant à l’ichnographia de Vitruve ; ensuite les élévations des murs extérieurs dessinés parfois en proportion avec un demi-plan, correspondant à l’orthographia de Vitruve ; et enfin, la coupe dessinée en accord avec la définition de Barbaro du concept de sciographia, terme latin qu’il traduit par « profilo » (coupe) et qu’il substitue arbitrairement à scænographia bien que ce dernier terme eût l’autorité des manuscrits de Vitruve. Le terme de scænographia utilisé par Vitruve au livre I (I, 2, 2) était interprété par Barbaro et par tous les commentateurs du XVIe siècle comme signifiant un rendu en perspective qui était une technique de représentation architecturale jugée moins utile par Barbaro que la coupe (la perspective n’est en fait pratiquement jamais utilisée dans les illustrations du Vitruve de 1556 et n’est admise par Barbaro que comme représentation subsidiaire de la dispositio, les trois méthodes de représentation fondamentales et nécessaires du projet d’architecture étant pour lui le plan, l’élévation et la coupe).
Les illustrations de Palladio pour Barbaro montrent un progrès considérable par rapport aux éditions précédentes. Palladio a par exemple ajouté de nouvelles illustrations qui n’apparaissent pas dans les éditions précédentes de Vitruve, comme la coupe et l’élévation de la maison romaine reconstituée pour la première fois dans une édition de Vitruve avec un portique à fronton de temple, la coupe du théâtre romain et l’élévation de la scænæ frons du théâtre romain, qui sont des reconstitutions importantes pour le développement de l’architecture de Palladio à partir de 1550. L’édition de 1556 présente aussi pour la première fois une nouvelle interprétation graphique de la basilique construite à Fano (détruite probablement au XIIIe siècle) décrite par Vitruve au livre V (V, 1, 6-19) et qui sera reprise dans toutes les éditions postérieures.
Parmi les traités d’architecture contemporains utilisés par Barbaro dans ses commentaires on trouve la traduction italienne de Cesare Cesariano publiée en 1521, la traduction française des Medidas del Romano de Diego de Sagredo connue sous le nom de Raison d’architecture antique extraicte de Vitruve, publiée pour la première fois à Paris vers 1536, le Der furnembsten notwendigsten der gantzen Architectur de Walther Hermann Ryff, publié à Nuremberg en 1547, le Terzo libro et le Quarto libro de Serlio, le traité sur la volute ionique de Giuseppe Salviati publié en 1552 et le manuscrit du deuxième traité d’architecture de Francesco di Giorgio Martini (c1492-1495), resté inédit à la Renaissance, dont une copie est conservée aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de Florence (Codice Magliabecchiano II. I. 141). Toutefois, les traités les plus cités dans les commentaires de Barbaro sont le De re ædificatoria de Leon Battista Alberti (cité 23 fois) et les Annotationes de Guillaume Philandrier (cité 8 fois).
Le Vitruve de Barbaro représente l’aboutissement des études vitruviennes de la Renaissance qui avaient débuté un siècle auparavant en Toscane avec Lorenzo Ghiberti et Leon Battista Alberti, et avaient connu un développement sans précédent entre 1511, date de l’édition illustrée de Fra Giocondo et 1544, lorsque Guillaume Philandrier publia à Rome son commentaire latin sur l’auteur antique, comme un résultat de ses discussions savantes avec les membres de l’Accademia della Virtù de l’humaniste Claudio Tolomei. Mis à part la publication illustrée posthume moins érudite de Giovanni Antonio Rusconi, l’édition de Barbaro est la dernière édition majeure à paraître en Europe jusqu’à la publication en 1673 de l’édition française de Claude Perrault.

Louis Cellauro (LARHRA, Lyon) – 2010

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