LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Serlio, Sebastiano
Titre Il terzo libro...
Adresse Venise, F. Marcolini, 1540
Localisation The Getty Research Institute, NA2517 S56
Mots matière Édifices antiques
Transcription du texte

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     Dans une certaine mesure, la succession des livres, dans l’ordre idéal du traité voulu par Serlio, reproduit sa carrière. Débutant à Bologne comme peintre spécialisé dans les perspectives – et c’est le propos des Livres I et II – il parfait sa culture à Rome, en compagnie de Peruzzi, à l’école des antiques et des grandes réalisations de Bramante et Raphaël : c’est l’objet du Livre III. Lors de l’étape suivante, à Venise, il utilise cette culture en tant que professore di architettura et la formalise au contact du milieu humaniste et artistique de la ville dans le cadre des ordres traités dans le Livre IV. Enfin les derniers livres, publiés (Livre V ; Livre extraordinaire) ou rédigés en France (Livres VI et VII), projettent les édifices qu’il aurait aimé y bâtir au service de François Ier, en tenant compte des spécificités du royaume.
Le Terzo Libro correspond donc à la dernière étape de la formation de Serlio en même temps qu’à celle de l’architecte en général : maître des techniques de représentation grâce à la géométrie et la perspective, il nourrit son inventio des meilleurs exemples antiques et modernes que lui offrent Rome et les principales cités d’Italie. D’où la nécessité de ce recueil de bâtiments qui embrasse la quasi totalité des genres de l’architecture antique : temples (à plan centré essentiellement, le Panthéon se taillant la part du lion), théâtres et amphithéâtres, colonnes et obélisques, thermes et arcs. S’y ajoutent quelques curiosités antiques, présentées comme grecques et égyptiennes, ainsi que quelques réalisations modernes. Les sources de Serlio sont multiples : directes puisqu’il a parcouru personnellement les ruines romaines, mais aussi livresques. Il s’est inspiré de plusieurs de ses prédécesseurs, en particulier de Peruzzi qui lui avait légué une grande partie de ses dessins, et d’un codex aujourd’hui conservé à Kassel, en Allemagne. Il confesse que sa documentation sur le sphinx et la pyramide de Gizeh lui a été fournie par Marco Grimani, patriarche d’Aquilée, qui avait fait le voyage du Caire (f. 94). Dans la dédicace à François Ier, dédicataire de l’ouvrage, il regrette de ne pouvoir offrir au roi des représentations des antiquités du royaume que Guillaume Pellicier, ambassadeur à Venise, lui a vantées. Il se contente de citer les principales ruines du Midi (ff. III-IV) de Nîmes, Fréjus, Glanum, Saint-Chamas. Il aimerait venir résider en France, afin de les voir lui-même, les mesurer et parachever l’œuvre déjà entreprise. La précision de ses descriptions laisse supposer qu’il avait à sa disposition une riche documentation iconographique.
Le Terzo libro pose un certain nombre de problèmes par rapport au Quarto libro paru quelques années auparavant. On note certaines contradictions, par exemple à propos de l’entablement sommital du Colisée, jugé très judicieux en 1537 mais ici maladroit, et sans doute l’œuvre d’un barbare allemand (f. 78). En général, le propos semble plus rigoureux et les licences prises par rapport à la règle vitruvienne plus sévèrement jugées. Les modes de représentation sont variés : outre le plan et la coupe, Serlio utilise à la fois l’élévation géométrale et l’élévation perspective.
Mais le souci d’exactitude archéologique n’est pas primordial. On s’est peu intéressé à la fonction didactique du Terzo libro qui est pourtant fondamentale. Elle explique en effet la dissociation fréquente entre les vues d’ensemble, dépourvues de leurs ornements, et les pages qui se focalisent sur les détails isolés de leur contexte. Il s’agit de donner aux apprentis architectes d’une part les antiques « réduits en lieux communs », c’est-à-dire des structures architecturales pures, d’autre part des décors précis. On pourra ainsi orner une structure d’arc imitée de l’arc de Vérone avec une corniche reproduisant celle de l’arc de Titus. Serlio fournit l’inventio et l’elocutio de la rhétorique architecturale, les arguments organisateurs et les motifs ornementaux qui peuvent l’enrichir. Ce faisant, il prend le relai des recueils de dessins tels que le codex Coner, dans lesquels les architectes du début du siècle consignaient leurs expériences et accumulaient la culture antique dans laquelle ils pourraient puiser tout au long de leur carrière. Mais l’imprimerie vient bouleverser les pratiques : comme dans le cas des libri locorum des étudiants qui jouaient un rôlesimilaire, les livres imprimés fournissent désormais un savoir prêt à l’emploi. Ainsi fleurissent les éditions d’Ovide ou de Virgile « réduits en lieux communs », non pour faciliter la compréhension de l’auteur latin, mais pour fourni aux poètes les exemples nécessaires à l’illustration de leur propos. Le Terzo libro en est le parfait équivalent. Les architectes et les organisateurs des entrées solennelles à la Renaissance, grands consommateurs d’arcs de triomphe, y trouvèrent matière à stimuler leur imagination, et, grâce à Serlio, firent de Paris, Gand ou Anvers des Rome ressuscitées le temps d’un fête.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2013

 

Bibliographie critique

W. B. Dinsmoor, « The Literary Remains of Sebastiano Serlio », The Art Bulletin, 24, 1942, p. 55-91, 115-154.

H.-C. Dittscheid, « Serlio, Roma e Vitruvio », C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, Milan, Electa, 1989, p. 132-148.

F. Lemerle, « Serlio et les antiques : la dédicace du Terzo Libro », Journal de la Renaissance, 1, 2000, p. 267-274.

F. Lemerle 2005, La Renaissance et les antiquités de la Gaule, Turnhout, Brepols, 2005, p. 47-48.

F. Lemerle, « Le Terzo libro de Sebastiano Serlio (Venise, Marcolini, 1540) », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon, Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 81.

H. Günther, « Das geistige Erbe Peruzzis im vierten und dritten Buch des Sebastiano Serlio », J. Guillaume (éd.), Les traités d’architecture de la Renaissance, Paris, Picard, 1988, p. 227-246.

 

 

 

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