LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s)

Serlio, Sebastiano
Martin, Jean

Titre
Quinto libro d’architettura di... Serlio... Traduict en Francois par Ian Martin...
Adresse Paris, M. de Vascosan, 1547
Localisation Paris, Binha, 4 Res 1476
Mots matière Églises

English

     Le Livre V des églises fut essentiellement écrit en Italie, avant l’arrivée de Serlio en France en 1541. Serlio en annonçait le contenu dès 1537 dans la liste des sept livres de son traité au début du Livre IV sur les ordres, publié à Venise par Francesco Marcolini (« nel quinto diro’de molti modi di tempi disegnati in diverse forme », f. V). Mais faute d’avoir trouvé un éditeur à Venise, il dut attendre jusqu’en 1547, quelques mois avant la mort de son mécène François Ier, pour le publier. L’ouvrage est dédié à la reine Marguerite de Navarre, la sœur du roi, qui lui accordait une pension annuelle. Dans l’« Avertissement aux lecteurs » qui conclut les Livres I et II consacrés à la géométrie et à la perspective, publiés à Paris en 1545 (f. 74), Serlio annonce que l’impression du livre sur les temples est imminente.
Comme les deux premiers livres, le Livre V est bilingue et fut traduit par Jean Martin. Le texte français est imprimé en gros caractères romains et le texte italien en gros caractères italiques. Il contient trente-quatre feuillets (y compris la page de titre) et vingt-neuf illustrations, dont treize en pleine page. Chaque église est illustrée par un plan, une coupe ou une vue en perspective, et par une élévation extérieure. Il y a deux états publiés par Michel de Vascosan qui furent pour la plupart imprimés par son beau-frère, Conrad Bade, avec lequel il partagea cette édition (Vène 2007). Quelques exemplaires seulement portent sur la page de titre la mention « De l’imprimerie de Conrad Badius ».
L’ouvrage comporte douze projets d’églises, neuf de plan centré et trois de plan longitudinal. Les projets procèdent selon une hiérarchie géométrique. Parmi les neuf plans centrés, il y a deux plans circulaires, un ovale, un carré, un pentagonal, un hexagonal, un octogonal et deux en croix grecque. Serlio, influencé par le livre VII du De re ædificatoria de Leon Battista Alberti, utilise le mot « temple » au sens d’ « église » et privilégie les églises de plan centré qui sont autant d’allusions aux temples de l’antiquité classique (Wittkower 1965). Plusieurs de ces églises ressemblent en effet aux tombeaux et temples antiques que Serlio a illustrés dans son Livre III sur les antiquités. Bien que le Bolonais ait fait partie à Venise en 1534, aux côtés de Titien et de Fortunio Spira, du comité chargé de réfléchir sur le « memoriale » d’inspiration néo-platonicienne de Francesco Zorzi à propos des proportions de l’église San Francesco della Vigna, il n’a pas utilisé les proportions harmoniques dans les modèles du Livre V (Zampa 1989). Toutes les églises de ce livre sont des projets, ou elles s’inspirent d’églises conçues par Léonard de Vinci, Giuliano da Sangallo, Baldassare Peruzzi et Antonio da Sangallo le Jeune, même celles de plan longitudinal. Dans le Livre III Serlio illustre du reste les projets de Bramante et de Raphael pour l’église Saint-Pierre à Rome, celui de Raphaël de plan longitudinal, celui de Bramante de plan centré (Bruschi 1989).
Dans la description du premier projet (f. 3) et dans celle du douzième projet (f. 30v°), Serlio dit qu’il présente des églises de taille modeste dont la construction peut être menée à terme ; beaucoup d’édifices de grande envergure restaient en effet inachevés à son époque, par manque d’argent ou pour des questions religieuses. C’est le cas des cathédrales de Milan et de Florence, de Saint-Pierre à Rome, de San Petronio à Bologne, mais aussi de Saint-Eustache à Paris, qui, commencée en 1532, était en pleine construction pendant le séjour de Serlio en France. Il avait lui-même participé au concours de 1525 pour achever San Petronio. Je pense que le plan du onzième projet (f. 30) est une variante du dessin du plan qu’il avait prévu pour Bologne, exécuté avec Peruzzi.
Il est à noter qu’à propos du douzième projet, Serlio mentionne les nombreuses églises gothiques européennes : « LON pourroit faire plusieurs & diverses inventions de ces Temples barlongs en croix, dont la Chrestienté est toute plaine : principalement des modernes, que lon appelle pour la plus part en Italie, ouvrages Tudesques ou d’Allemands » (f. 30v°). Le style gothique est décrit par les mots « opera Thodesca » (« ouvrages Tudesques ou d’Allemands ») et « moderni » (« modernes »). Serlio pensait sûrement aux cathédrales de Milan et Florence aussi bien qu’à l’église San Petronio à Bologne. L’expression « opera tedesca » avait déjà été utilisée en ce sens par Raphael dans sa Lettre au pape Léon X, écrite entre 1519 et 1520, et par Giorgio Vasari dans Les vies, publiées en 1550 et en 1565. Serlio précise que les églises gothiques françaises ont souvent cinq vaisseaux, allusion non seulement à Notre-Dame de Paris, mais aussi à Saint-Eustache dont le plan s’inspirait de celui de la cathédrale : c’est le seul commentaire dans le Livre V sur l’architecture religieuse française. Le plan du douzième projet (f. 31v°) est peut-être le modèle de l’église Saint-Éloi des Orfèvres à Paris, construite par les maçons François de la Flasche et Jean Marchant entre 1550 et 1551 (Frommel 2002).
M. Tafuri et M. Carpo ont proposé de voir dans la dédicace l’expression des sympathies de Serlio et de Marguerite de Navarre pour le protestantisme, à cause de la citation de la lettre de saint Paul aux Corinthiens, qui était chère aux protestants : « Et nonobstant que les vraiz Temples soyent les cueurs des bons Chrestiens, dedens lesquelz IESVS CHRIST notre sauveur habite par purité de foy ». Marguerite de Navarre prônait plutôt une revitalisation de l’Église catholique en France par l’influence des idées philosophiques humanistes (Fontaine 2004). Bien que le Livre extraordinaire ait été publié à Lyon par Jean de Tournes, rien ne prouve que Serlio ait été comme son éditeur un protestant pratiquant. Avec ses amis vénitiens, l’Arétin, Jacopo Sansovino et Lorenzo Lotto, il ne voulait qu’une réforme de l’Église catholique, tout comme Marguerite de Navarre. Du reste, D. Thompson (1995, p. 248) a bien montré que les projets du Livre V ne furent pas utilisés comme modèles pour les premiers temple protestants construits en France après l’Édit de Nantes (1598) : bien que la plupart soient de plan centré, ils ont des galeries intérieures qu’on ne trouve jamais dans les projets serliens.
Le Livre V de Serlio eut toutefois une influence certaine sur le recueil des Petits temples (1550) de Jacques Androuet du Cerceau. Ce recueil contient non seulement des projets d’églises mais aussi une série de projets de châteaux copiés par du Cerceau de la version manuscrite du Livre VI de Serlio consacré à l’architecture civile, conservée à Columbia University (New York) qu’il annota lui-même. Par ailleurs, A. Bruschi a montré l’influence de plusieurs projets du Livre V sur les églises de Vignole en Italie.

Myra Nan Rosenfeld (Victoria University Centre for Reformation and Renaissance Studies,
University of Toronto) – 2012

 

Bibliographie critique

A. Bruschi, « Le chiese del Serlio », C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, , Milan, Electa, 1989, p. 169-186.

M. Carpo, La maschera e il modello. Teoria architettonica ed evangelismo nell’Extraordinario Libro di Sebastiano Serlio, Milan, Jaca Book, 1993, p. 53, 85-105.

M. Carpo, « Jean Martin traducteur de Serlio 1545-1547 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 131-132.

T. Carunchio, « I projetti serliani per edifici religiosi », Bollettino del Centro Internazionale di Studi di Architettura Andrea Palladio, 19, 1977, p. 179-189.

M.-M. Fontaine, « Serlio et l’entourage de Marguerite de Navarre », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 105-108, 112-118.

S. Frommel, Sebastiano Serlio architecte de la Renaissance, Paris, Gallimard, 2002, p. 289-301 (1ère éd. ital. : Milan, Electa, 1988).

M. N. Rosenfeld, « From Drawn to Printed Model Book : Jacques Androuet Du Cerceau and the Transmission of Ideas from Designer to Patron, Master Mason and Architect in the Renaissance », RACAR, 16-2, 1989, p. 135-144.

A-M. Sankovitch, « Le Quinto Libro traduit par Jean Martin »,S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 137-141.

M. Tafuri, « Vos enim estis templum dei vivi. Inquietudini religiose ed architettura fra Venezia e la corte di Margherita du Navarre », Venezia e il Rinascimento, Turin, Einaudi, 1985, p. 79-124.

M. Tafuri, « Ipotesi sulla religiosità di Sebastiano Serlio », C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, Milan, Electa, 1989, p. 57-66.

D. Thomson, « Protestant Temples in France c. 1566-1623. A pilot study », J. Guillaume (éd.), L’église dans l'architecture de la Renaissance, Paris, Picard, 1995, p. 245-256.

R. Tuttle, « Sebastiano Serlio bolognese », C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, Milan, Electa, 1989, fig. 3, p. 22, Fabbriceria di San Petronio, n° 15a.

Magali Vène, Bibliographia serliana. Catalogue des éditions imprimées des livres du traité d'architecture de Sebastiano Serlio (1537-1681), Paris, Picard, 2007, p. 23-27, 71-72.

R. Wittkower, Architectural Principles in the Age of Humanism, New York, Random House, 1965, p. 18-19 (1ère éd. : Londres, 1949).

P. Zampa, « Proporzione ed ordine nelle chiese di Serlio, C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, Milan, Electa, 1989, p. 187-189.

 

 

 

 

Notice

Quinto libro d’architettura di Sabastiano Serlio Bolognese, nel quale se tratta de diverse forme de tempii sacri secondo il costume christiano, et al modo antico. A la serenissima Regina di Navarra. Traduict en Francois par Jan Martin, Secretaire de Monseigneur le Reverendissime Cardinal de Lenoncourt. – A Paris, de l’imprimerie de Michel de Vascosan, 1547. Avec privilege du Roy.
6 cahiers signés A-E6, F4 ; comprenant [30] ill. gravées sur bois, dont la page de titre et [15] fig. ; 354 x 250 mm.
Texte en italiques pour le texte italien et en romains pour sa traduction française. Titre courant en haut de page « Livre des temples de M. Sebastiano Serlio ». Petites lettrines historiées gravées sur bois en tête des dédicaces. Petites lettrines gravées sur bois en tête des textes italien et français.
Les planches, gravées sur bois, ont pour seule indication l’échelle des plans.
Brun 292 ; Renouard II p. 307 n° 780 bis (état B) ; Mortimer 493 ; Millard n° 152 p. 435-436 ; Bingen MI, n° 7 b p. 292 ; Fowler 321 ; BML n° 33 p. 66-67.
Paris, Bibliothèque de l’Inha, Collections Jacques Doucet, 4 Res 1476.
*Notes :
- Relié avec les Livres I et II (Paris, 1545), III (Venise, 1544) et IV (Venise, 1544) de Serlio.
Reliure du XVIe siècle en peau de truie sur ais de bois, estampage à froid sur les plats, filets, fleurons et bordures à vertus cardinales (Prudence, Justice) et médaillons aux portraits d’Erasme, Philippe Melanchthon et Martin Luther, dos à 5 nerfs, traces de fermoirs.
- Mention manuscrite à l’encre ‘JR’ (1ère garde) ; étiquette imprimée contrecollée sur la première garde ‘From the Sunderland Library, Blenheim Palace. Purchased, March 1883. By Bernard Quaritch, 15 Piccadilly, London.’ ; ex-libris imprimé contrecollé sur cette même garde ‘ex-libris E. Foulc’ avec ajout de la mention manuscrite ‘M. Foulc’.