LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Bullant, Jean
Titre Reigle generalle d’architecture... reveue et corrigee...
Adresse Paris, A. Sittart, 1619
Localisation Rouen, Bibliothèque municipale, I 351
Mots matière Antiquités, Ordres
Consultation de l’ouvrage
Collections de la Bibliothèque municipale de Rouen.
Photographies
Thierry Ascensio-Parvy

English

     La page de titre de l’édition de 1619 est très alléchante. Elle annonce en effet que la Reigle de Jean Bullant (qui n’y est pas nommé) a été « revue et corrigée » par Salomon de Brosse, l’architecte du palais du Luxembourg. L’initiative de cette révision serait due à un certain Nicolas Piloust, qui se présente comme un ami du libraire Sittart. Ce dernier est le fils de Denise Cavellat, héritière de la fameuse dynastie qui avait compté parmi ses membres Guillaume Cavellat, associé à Jérôme de Marnef pour les premières éditions de Bullant ; Sittard a conservé du reste l’adresse et la marque familiales (au Mont Saint Hilaire, à l’enseigne du Pélican). Quant à Piloust, il est connu par ailleurs pour avoir écrit un certain nombre d’ouvrages, sans rapport avec l’architecture : La bienveillance royalle contre les envieux (Paris, 1620), Le chant d’allégresse sur le retour de la Royne, mère du Roy, en la faveur de la ville et bourgeois de Paris (Paris, 1620), Le triomphe de la joye sur l’heureux retour du Roy en sa ville de Paris (Paris, 1622) et un roman, Le chevalier enchanté (Paris, 1618). En l’occurrence, sollicité par l’éditeur, il aurait pris en main le travail d’édition, réécrit le texte pour le rendre moins rugueux aux oreilles contemporaines, et sollicité Salomon de Brosse pour la remise en ordre des illustrations. Il est l’auteur de la dédicace, de l’adresse au lecteur, et dédicataire d’un enthousiaste et anonyme sonnet acrostiche qui vient se placer au folio A4, dans un riche cadre orné où les instruments de l’architecte s’insèrent dans un décor de cuirs.
On observe de fait quelques modifications par rapport à l’édition de 1568. L’ouvrage est désormais paginé ; les dédicace et adresse au lecteur ont été remises à jour. Mais, en dépit des annonces de Piloust, le texte demeure à l’exception de détails infimes celui de 1568, dans une mise en page différente. L’examen de cette édition s’avère donc décevant par rapport à ce que le titre laissait espérer. En effet, l’intervention de Salomon de Brosse est très limitée : il n’y a aucune « augmentation ». Au contraire, les planches de détail sur l’ordre corinthien ajoutées par Bullant en 1568 aux folios G et G2 ont été supprimées, ainsi que les textes qui les commentaient. De ce fait, le livre a deux feuillets de moins que dans l’édition précédente. Quant à la « revue », elle se limite à la remise en ordre de certaines planches ajoutées en 1568, en particulier celles des nouvelles représentations de l’ordre dorique qui venaient s’intercaler entre des planches illustrant l’ionique (ff. C4-D en 1568 ; en 1619, p. 17-19). Par ailleurs, l’éditeur rectifie la légende qui au folio D3 de 1568 qualifiait de « dorique » l’ordre du temple de la Fortune Virile, et ajoute la précision « faute (sic) de pierre tiburtine » (f. D3). Autre « correction » : alors que Bullant représentait en 1568 au folio F2v° deux types de feuilles pour orner la corbeille corinthienne, une feuille d’acanthe et une feuille de laurier, la nouvelle version se limite à cette dernière (p. 44), plus courante il est vrai sur les chapiteaux réels, et se conforme curieusement à la première édition de 1564 dans laquelle Bullant la présentait, sans la nommer toutefois. Il apparaît en revanche quelques erreurs de mise en page : la « porte ionique » de la page 37 et la « volute composite » de la page 54 sont imprimées à l’envers, le dorique de la page 11 est désigné comme l’ordre « dioqure » (sic) du théâtre de Marcellus, alors qu’il s’agit d’un modèle théorique, et l’illustration du folio F qui devrait représenter un ordre « corinthe selon la doctrine de Vitruve » se trouve être la planche représentant l’ordre du temple des Dioscures, qui du reste réapparaît à sa place légitime à la page 47.
Quel fut donc le rôle réel de Salomon de Brosse dans cette affaire ? Il n’était pas nécessaire de recourir à un grand architecte pour procéder à la mise en ordre de cette édition. Ce dernier s’est sans doute contenté de prêter son nom afin d’assurer à la publication d’un traité un peu ancien une légitimité contemporaine, qui lui conférait un nouveau prestige au yeux des clients : l’édition de 1619 est une opération plus commerciale que « scientifique » au sens moderne du terme. Elle connut néanmoins un certain succès : c’est celle que cite Savot en 1624 dans la « bibliographie » de son Architecture françoise des bastimens particuliers : « Bullan (sic) des cinq ordres de colonnes, reveu par le Sieur de Brosse Architecte du Roy » (p. 324). Et c’est aussi celle dont usent ces Messieurs de l’Académie d’Architecture lorsqu’ils entament le 5 mars 1672 la lecture du traité : « Examinant les livres des ordres d’architecture de Jean Bullant et les conférant avec ce qu’il fit bâtir tant à Ecouen, à Chantilly qu’ailleurs, on a jugé que c’était un architecte de grand mérite, qui a suivi, par une méthode facile, la doctrine de Vitruve dans ses écrits et fait voir dans ses ouvrages la beauté de son génie. Ses écrits ont été en si grande estime que M. de la Brosse, architecte du Roi, a bien voulu se donner la peine de les commenter » (Procès verbaux de l’Académie d’Architecture, Paris, éd. H. Lemonnier, 1911, I, p. 12).

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2006

 

Bibliographie critique

F.-C. James, Jean Bullant. Recherches sur l’architecture française au XVIème siècle. Thèse de l’École nationale des Chartes, 1968. Résumé dans École nationale des Chartes, Positions de thèses, 1968, p. 101-109.

Y. Pauwels, « La fortune de la Reigle de Jean Bullant », Journal de la Renaissance, 3, 2005, p. 111-119.


 

 

Notice

Reigle generalle d’architecture des cinq manieres de colonnes, à scavoir, tuscane, dorique, ionique, corinthe & composite, a l’exemple de l’antique suivant les reigles & doctrine de Vitruve ; reveue et corrigée par monsieur de Brosse architecte du roi. - Seconde et dernière édition. – A Paris : en la boutique de Hierosme de Marnef. Chez André Sittart, au Mont Sainct Hilaire, à l’enseigne du Pélican, 1619. – [1]f.-56 p.-[1] f. (sig. A1 B-G4 H1) : illustrations gravées sur bois. Folio.
Rouen, Bibliothèque municipale, I 351.
*Note(s) :
- Reliure en parchemin. Marque de Jérôme de Marnef au titre (devise : « In me mors in me vita »).
Ex-libris : « Ex. Bibliotheca PP. Capucinorum Rotomagensium 1732 ».
- Confiscation révolutionnaire.