LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Bassi, Martino
Titre Dispareri in materia d’architettura, et perspettiva...
Adresse Brescia, Marchetti Frères, 1572
Localisation Paris, Ensba, Les 56
Mots matière Architecture, Perspective
Transcription du texte

English

     Les Dispareri constituent une publication unique dans le panorama des traités artistiques publiés à la Renaissance. Ils relatent une polémique concernant trois réalisations et non pas un débat théorique sur des principes généraux. Afin d’appuyer sa thèse, Martino Bassi ne fait pas seulement appel à des argumentaires issus des auctoritates, mais convoque l’opinion de quatre des plus célèbres architectes de l’époque : « con le autorità degli scrittori e col giudicio degli architetti e perspettivi stimati de’ più eccellenti – avec l’autorité des auteurs et l’avis des architectes et perspecteurs considérés parmi les plus excellents ». À travers la publication, ce débat est porté au grand jour. Cela constitue un signal de l’émergence de l’opinion publique dans ce type de polémiques jusqu’alors confinées aux collèges de fabriciens et par conséquent peu documentées. Enfin, en provoquant le débat sur l’œuvre et non sur le projet, Bassi déplace le point de vue du commentaire, ouvrant la voie à une définition de l’exercice de l’expertise. En effet, il est l’un des premiers à utiliser dans un traité le terme d’esperto, désignant le détenteur d’un savoir pratique et éprouvé, un terme qui se distinguera progressivement de celui de perito, qui se réfère à un savoir plus théorique et doctrinal.
Le texte se présente sous la forme d’un échange épistolaire fictif daté de 1570 entre Bassi et un M. Alfonso N. de Vérone, seigneur véronais. Les réponses de Tibaldi aux critiques sont également rapportées par Bassi. Le texte est en italien mais présente plusieurs parties en latin : les communications de Bassi à la Fabrique de la cathédrale de Milan et de longs extraits de Vitruve.
Martino Bassi (1542-1591) intégra le collège des ingénieurs milanais en 1567 et continua son ascension professionnelle : en 1572 il devint architecte de la chambre royale ducale et à partir de 1587 assuma la fonction d’architecte de la Fabrique de la cathédrale de Milan. Cette progression est le résultat d’une rivalité avec Pellegrino Tibalbi, objet des attaques contenues dans les Dispareri. Elles conduisirent en 1585 à la condamnation de Tibaldi, alors architecte de la Fabrique, et à son départ pour l’Espagne.
Les Dispareri attaquent les compétences figuratives et constructives de Tibaldi sur trois objets spécifiques relevant de la sculpture et de l’architecture. Le premier est le bas-relief de l’Annonciation, commencé par Vincenzo Seregni (1504/09-1594), ancien architecte de la Fabrique avant que Charles Borromée (1538-1584) ne le remplace à cette charge par Tibaldi. Il se trouve aujourd’hui, dans un état inachevé, à l’église Santa Maria Assunta in Camposanto. Le débat repose sur la possibilité d’intégrer un double horizon dans le schéma perspectif d’une représentation : un premier pour les figures, un second pour le fond, ce qui provoque une « interruption des plans ». Il porte également sur la possibilité de déplacer le point principal sur la ligne horizontale.
Le second objet en discussion est le baptistère, première œuvre achevée par Tibaldi à la cathédrale. Il s’agit d’un dais posé sur quatre colonnes. Bassi reproche la présence de marches d’accès et un entrecolonnement excessif qui ôterait à l’édicule la stabilité nécessaire.
Le troisième est le scurolo (crypte) sous l’autel majeur. Bassi souligne un manque d’accord avec l’environnement architectural de la cathédrale. Sa position, semi-enterrée, provoque en outre une élévation de l’autel auquel on doit désormais accéder par des marches. Il est reproché à Tibaldi d’avoir trop dévié des intentions des premiers architectes qui souhaitaient placer la crypte sous la tribune.
Martino Bassi tente de draper son discours critique et conjoncturel dans un projet plus vaste relevant des commentaires néo-vitruviens. En effet, il reprend de nombreux thèmes vitruviens et aristotéliciens comme le rapport entre science et pratique, la ratiocinatio, la fin des actions architecturales, la distinction entre le signifiant et le signifié, la disposition… Les architectes invités à exprimer leur opinion par correspondance, suite aux dessins qui leur ont été envoyés et qui sont reproduits dans le volume, vont généralement dans le sens de Bassi.
Palladio rejette le double horizon dans le bas-relief au nom de la nature et des règles d’optique qu’on se doit de respecter. Pour le baptistère, il considère que l’architrave finira par se briser à cause de sa longueur excessive. Pour la crypte, il estime que l’élévation du chœur est une mauvaise chose qui interrompra la vue. Vignole dénonce d’une manière générale l’incompétence de Tibaldi en matière de perspective. Il n’apprécie pas l’idée de poser des tirants pour renforcer le baptistère. Quant à la crypte, il réserve son opinion à une visite sur place. Vasari en appelle au jugement de l’œil plus qu’aux règles de perspective pour rejeter la solution du double horizon et propose une comparaison avec le bas-relief d’Andrea Sansovino à Lorette. La contribution de Giovanni Battista Bertani (1516-1576), élève de Giulio Romano, architecte de la Fabrique ducale de Mantoue, auteur néo-vitruvien de renom, se distingue quelque peu des autres. S’il reconnaît toute la compétence de Bassi en matière de perspective, il n’en souligne pas moins que de nombreux bas et hauts reliefs antiques, dont il fournit la liste, possèdent un « plan naturel et un plan perspectif », et par conséquent un double horizon. Ce dédoublement est dû selon lui au fait que le relief reproduit la vision naturelle alors que la perspective constitue le « mensonge et la fiction ». Il en veut pour preuve également les modernes qui, comme Donatello, fixaient une taille arbitraire des figures en relief placées sur un plan en perspective.
L’ouvrage de Bassi est republié à Milan en 1771 par F. B. Ferrari.

Pascal Dubourg-Glatigny (Cnrs, Centre Marc Bloch, Berlin) – 2011

Bibliographie critique

P. Dubourg-Glatigny, « La question de la perspective matérielle dans les traités du Cinquecento », M. Cojannot Le Blanc, M. Dalai Emiliani & P. Dubourg-Glatigny (éd.), L’artiste et l’oeuvre à l’épreuve de la perspective, Rome, École française de Rome, 2006, p. 365-384.

E. Panofksy, La perspective comme forme symbolique, Paris, Éditions de Minuit, 1975, p. 162-169 (1ère éd. : Leipzig/Berlin, 1927).

Quaderni della Brianza,1992, 85 (n° spécial consacré à M. Bassi).

G. Rocco, Pellegrino Pellegrini : l’architetto di S. Carlo e le sue opere nel Duomo di Milano, Milan, Hoepli, 1939, p. 23-40.

 

Notice

Dispareri in materia d’architettura et perspettiva, con pareri di eccellenti et famosi architetti, che li risolvono, di Martino Bassi... Bressa : per Francesco et Pie. Maria Marchetti fratelli, 1572.
54 p., 12 planches gravées sur cuivre : lettrines gravées sur bois et marque d’imprimeur sur page de titre et au dernier feuillet ; in-4°.
La marque d’imprimeur imite celle des Alde : dauphin et encre. - Texte latin et italien. - Comprend en pièce liminaire la dédicace aux seigneurs de la fabrique de la cathédrale de Milan. Daté au colophon différemment : « Di Milano il di XX. Settembre M.D.LXX ».
Cicognara 423 ; Comolli, III p. 151-153 ; Katalog Berlin 2600 ; RIBA 219.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 56.
* Notes :
- Reliure de maroquin vert du XIXe siècle signée thibaron sans décor, 20,7 x 14,2 cm.
- De la donation faite par la veuve de l’architecte Joseph Le Soufaché (1804-1887) à l’École des Beaux-Arts en 1889.