LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Grapheus (De Schrijvers), Cornelius (Cornelis)
Coecke van Aelst, Pieter
Titre Le triumphe d’Anvers, faict en la susception du Prince Philips... Anno 1549...
Adresse Anvers, G. Coopens van Diest, 1550
Localisation Paris, Binha, 4 Res 1404
Mots matière Entrée

English

     À la fin des années 1540, Charles Quint fit un voyage dans les Provinces du Nord, accompagné de son fils Philippe. Dans les cités de Flandre et de Brabant, les « Joyeuses Entrées » faisaient en quelque sorte office d’intronisation : dans l’optique d’une succession qu’il entrevoyait peut-être prochaine, l’Empereur tenait à faire reconnaître l’Infant d’Espagne comme futur souverain des dix-sept Provinces en organisant des fêtes somptueuses. En même temps, ces manifestations de prestige répondaient à celles qui, en France, célébraient avec le faste que l’on sait l’avènement de Henri II. Ainsi, l’année 1549 voyait presque en même temps l’entrée du roi de France à Paris et celle de Philippe d’Espagne à Gand et à Anvers. De l’entrée de Gand, il ne reste que cinq gravures, conservées à la Bibliothèque universitaire de Gand ; celle d’Anvers est en revanche bien connue grâce à de superbes livrets publiés dès 1550 en latin (Spectaculorum in susceptione Philippi Hisp. Prin. Divi Caroli V. Caes. F. An. MDXLIX...), en néerlandais (De seer wonderlijcke schoone triumphelijcke Incompst) et en français.
L’auteur de ces ouvrages est un secrétaire de la ville, Cornelis de Schrijvers, alias Grapheus. Avec beaucoup d’honnêteté, il prend soin d’avertir le lecteur qu’il ne verra pas dans le livre ce qui s’est réellement passé : « Premièrement, que a l’heure de lentree du Prince, commencea moult fort a plouvoir sans cesser, de sorte de a son entrée (au moyen d’icelle grosse & continuelle pluye) ne a pas bien este possible veoir au vif moult de choses, ny ne ont este assez amplement demonstrees selon l’intention que l’on avoit entreprins. Secondement, que sa venue a este plus briefve que lon esperoit estre, au moien de laquelle celerite, a eu moult de chose de grandt consequence non du tout accomplie, lesquelles touteffois sont ici de nous applicquees, comme sy touttes avoient este achevees ». Grapheus propose donc une restitution idéale de la cérémonie plutôt qu’un compte-rendu fidèle. Par ailleurs, il précise que les représentations des arcs et des « échafauds » sont dues à « Pierre de Allos painctre de la Majesté Impériale », autrement dit Pieter Coecke d’Alost, bien connu des historiens de l’architecture pour avoir rédigé en 1539 le premier traité écrit en néerlandais, Die Inventie der colommen, et pour avoir traduit et publié à partir de 1539 les traductions néerlandaise, allemande et française de Sebastiano Serlio ; peintre et architecte, il est aussi éditeur, puisque selon le colophon, le livret a été imprimé « pour Pierre Coeck d’Allost, libraire juré… par Gillis van Diest ».
Le livret revêt ainsi une importance toute particulière. Certes, Pieter Coecke n’a pas conçu l’ensemble des arcs que le prince a vus (ou aurait dû voir) lors de son entrée. On sait en particulier que l’arc des Génois fut bâti par un architecte italien. Mais c’est lui qui a les gravés et réduits à la même échelle. Et ses dessins, qu’ils soient fidèles copies ou restitutions personnelles, témoignent clairement d’une culture architecturale nouvelle dans les provinces du Nord. C’est en effet Serlio qui inspire nombre de ses compositions. Le « théâtre » près de la porte « césarienne » (f. D 3), ainsi que l’entrée de la « Galerie des Florentins » (f. H 4) ressemblent beaucoup à l’arc de Vérone tel que le représente le Terzo libro ; on y retrouve le jeu très particulier des ressauts d’entablement, ponctuel sur les côtés et continu au-dessus de l’ouverture centrale couronnée d’un fronton, comme les petits édicules entre les colonnes des parties latérales. La disposition des « triglyphes-consoles » au-dessus des colonnes de l’échafaud au Pont au Lait (f. K 2) évoque clairement une porte dorique du Quarto libro. L’arc monté dans la Hoochstraat (f. L 4) reprend le modèle de l’arc de Pola : les colonnes corinthiennes cannelées sont jumelées et posées sur des stylobates carrés, l’entablement fait ressaut au-dessus des chapiteaux. Enfin, plus spectaculaire, l’arc « de la nation d’Espagne », aux folios E 2v° et E 3, est un petit temple à plan centré cantonné de quatre obélisques érigé sur une plate-forme dorique, évidente variation sur le modèle du folio 58 du Quarto libro. Il a suffi de rehausser le soubassement de bossage afin de faire un arc permettant le passage, et de transformer les colonnes engagées du monument serlien en colonnes libres pour donner à la partie supérieure un faux air de tempietto bramantesque. Si dans certains cas quelques détails stylistiques trahissent une influence espagnole (en particulier la présence de frises sous la corniche des piédestaux, inspirées peut-être du traité de Sagredo), si l’esprit du décor, fortement marqué par le goût des grotesques et des cuirs à la manière de Fontainebleau, est bien septentrional, l’invention est incontestablement serlienne, et le livret de l’entrée a sans doute fortement contribué à la diffusion des formes modernes dans l’Europe septentrionale.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2009

Bibliographie critique

A. Corbet, Pieter Coecke van Aelst, Anvers, De Stikkel, coll. Maederlandtbibliotheek 21, 1950.

K. De Jonge, « Le livret de l’Entrée du prince Philippe à Anvers par Cornelis Grapheus et Pieter Coecke, à Anvers en 1550 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 482-483.

W. Eisler, « Celestial Harmonies ans Hapsburg Rule : Levels of Meaning in a Triumphal Arch for Philip II in Antwerp, 1549 », B. Wisch & S. Scott Munshower (éd.), « All the World’s a stage... ». Art and Pageantry in the Renaissance and Baroque. Vol. I, Triumphal Celebrations and the Rituals of Statecraft, Papers in Art History from Pennsylvania State University, 6, University Park, Pennsylvania State University, 1990, p. 332-356.

W. Kuyper, The Triumphant Entry of Renaissance Architecture into the Netherlands. The Joyeuse Entrée of Philip of Spain into Antwerp in 1549, Renaissance and Manierism Architecture in the Low Countries from 1530 to 1630, Alphen aan den Rijn, Canaletto, 1994.

J. Landwehr, Splendid Ceremonies State Entries and Royal Funerals in the Low Countries 1515-1791. A Bibliography, Nieuwkoop/Leyde, de Graaf/Sijthoff, 1971.

Y. Pauwels, « Propagande architecturale et rhétorique du Sublime : Serlio et les Joyeuses Entrées de 1549 », Gazette des Beaux-Arts, 137, mai-juin 2001, p. 221-236.

Y. Pauwels, « Fête, propagande et image imprimée : les “Joyeuses entrées” de Gand et d’Anvers (1559) », R. Crescenzo (éd.), Espaces de l’image, Nancy, Université de Nancy II, 2002, p. 167-188.

F. Prims, « Het eigen werk van Cornelis Grapheus (1482-1558) », Antwerpiensa. Losse Bijdragen tot de Antwepsche Geschiedenis, Anvers, De Vlijt, 1938, p. 172-190.

E. J. Roobaert, « De Seer Wondelycke Schoone Triumphelycke Incompst van den Hooghmogenden Prince Philips… in de Stadt Antwerpen, Anno 1549 », Bulletin van de Koninklijke Musea voor Schone Kunsten van België, 9, 1960, 1-2, p. 37-74.

S. Schele, « Pieter Coecke and Cornelis Bos », Oud Holland, 77, 1962, p. 235-240.

S. Schele, Cornelis Bos. A Study of the Origins of the Netherland Grotesque, Stockholm, Almquvist & Wiksell, 1965.

 

Notice

Le triumphe d’Anuers, faict en la susception du Prince Philips, Prince d’Espaigne./ La tres admirable, tres magnificque, et triumphante entree, du tres hault et tres puissant Prince Philipes, Prince d’Espaignes, filz de l’empereur Charles Ve, ensemble la vraye description des spectacles, theatres, archz triumphaulx, etc. lesquelz ont este faictz et bastis a sa tres desiree reception en la tres renommee florissante ville dAnvers. Anno 1549. Premierement composee et descripte en langue latine, par Cornille Grapheus greffier de ladicte ville d’Anvers, et depuis traduicte en franchois. – Anvers : pour Pierre Coeck d’Allost par Gillis van Diest, 1550.
[Au colophon : Imprimé a Anvers, pour Pierre Coeck d’Allost, libraire juré de l’Emperialle Majesté, par Gillis van Diest, 1550.]
[58] f. (sig. A6, B-O4) : [29] illustrations gravées sur bois. La page de titre et le privilège sont gravés sur bois. Le f. L1 est relié entre L3 et M1.
La même année que l’édition française paraissent les éditions latine et néerlandaise du texte.
Le frontispice gravé sur bois porte l’avant-titre « Le triumphe d’Anvers, fait en la susception du prince Philips, prince d’Espaigne. »
Hollstein IV, p. 197 ; Ruggieri 912 ; Vinet 557 ; Watanabe 2682.
Paris, Bibliothèque de l’Inha, Collections Jacques Doucet, 4 Res 1404.
*Notes :
- Demie-reliure maroquin vert XIXe siècle, dos long, titre doré gravé. Pièce de maroquin rouge aux armes de John Wilmer, 1er novembre 1840, sur le premier plat. Tranche dorée.
- Sous le titre note manuscrite : « Humanitas excedit titulos ». « Janus a [?]et a Woude. Fidentes deus juveat. Anno 1579 ».
- Ex-libris de Daniel Elsevier : « D. Elsevier, 1652. »
- « Dominus in Waramundt. Baron de Wassenaer et Warmondt, 1669 ».
- John Wilmer (armes sur le premier plat et ex-libris manuscrit).