LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s)

Francart, Jacques
Michel Lasne (graveur)

Titre Premier livre d’architecture...
Adresse [Bruxelles, s.n., 1617]
Localisation Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, VB 5.321 C 1 (RP)
Mots matière Portes

English

     Le Premier livre d’architecture... Contenant diverses inventions de portes... en trois langues de Jacques Francart se compose d’une introduction et de dix-huit modèles de portes destinées à l’architecture civile (pl. I-V, VII-XIX). Elles sont représentées en plan, en élévation et en profil ; l’auteur ajoute quelques mesures. Trois planches sont consacrées à des détails complémentaires : la planche XX propose quatre exemples de vantaux de portes, la planche VI représente les détails de l’ordre dorique, bases, chapiteaux et entablements, avec leurs proportions ; enfin la planche XXI donne quatre modèles de cartouches. Dans la plupart des cas, les gravures sont accompagnées de quelques lignes en latin ; le verso de la page précédente offre un commentaire plus long en français et en néerlandais.
L’influence de Michel-Ange est évidente dans le langage ornemental. Six modèles du Premier livre renvoient directement à des œuvres réalisées ou à des projets du Florentin. Quoique dotée d’un ordre dorique très correct, la porte II reprend à la Porta Pia de Rome les demi-frontons segmentaires conclus par des volutes et réunis par un guirlande ; aux baies latérales de l’édifice romain la porte VIII emprunte les fortes consoles rectangulaires qui portent l’entablement et la coquille qui orne le fronton. Les consoles à glyphes de la porte VII évoquent celles des niches au niveau inférieur de la façade sud de Saint-Pierre de Rome et dans une moindre mesure les fenêtres au deuxième étage de la façade sur cour du palais Farnèse. Quelques détails de la porte XI, les patères ou les décrochements des moulures à l’intérieur du fronton, ont pu être empruntés aux niches qui surmontent des portes dans les angles de la Nouvelle Sacristie de San Lorenzo à Florence. Michel-Ange est explicitement nommé dans le texte qui commente les colonnes nichées de la porte III : selon Francart, le Florentin aurait trouvé l’idée dans une sépulture antique de la via Appia à Rome (Ottenheym 2007). Les quatre cartouches (XXI) peuvent être comparés aux illustrations de la série Cent tablettes et escussons d’armes, publiée par Francart à Bruxelles en 1622 : elles se caractérisent par un cuir très lourd, très enroulé, auquel se mêlent, dans certains cas, des mascarons, des dauphins ou d’autres figures.
Le recueil de Francart constitue ainsi un témoignage important attestant l’importance dans les anciens Pays-Bas du style maniériste tardif fortement influencé par Michel-Ange et Vignole. Cette tendance s’inscrit dans un phénomène de plus longue durée, dont les origines se situent dans le monde maniériste anversois du XVIe siècle et dont Hans Vredeman de Vries fut l’un des protagonistes. Plusieurs artistes des Pays-Bas méridionaux de l’époque ont contribué à propager ce langage ornemental michélangelesque, en particulier les architectes de la cour de Bruxelles sous les archiducs (1598-1635), au premier rang desquels l’« architecte-général » Wensel Cobergher (1557/61-1634), beau-frère de Francart. Formés en Italie, ils furent aussi peintres. Francart a séjourné en Italie entre 1591 et 1608-1610 ; or, une édition de la Regola delle cinque ordini de Vignole augmentée de projets de portes de Michel-Ange et de Vignole lui-même parut à Rome en 1602, avec des planches représentant la Porta Pia, la porte du palais des Conservateurs au Capitole et la porte du second niveau du palais Farnèse à Caprarola. Rééditée à Amsterdam en 1617, cette version de la Regola fut largement diffusée dans les anciens Pays-Bas.
Quant au répertoire de formes, un parallèle peut également être établi avec l’Architectura moderna ofte bouwinge van onsen tijt, parue à Amsterdam en 1631. Ce recueil met en évidence l’œuvre de Hendrick de Keyser (1565-1621), maître-architecte et sculpteur de la ville d’Amsterdam, en particulier les « inventions ornées et rares, qui illustrent la créativité exceptionnelle du maître » (vercierlijcke en seltsame vindinghe, waerin de sonderlinge vindelijckheyd des Meesters] te mercken is, texte de la planche XXV). Les commentaires accompagnant les planches sont probablement dus à l’éditeur Cornelis Danckerts van Sevenhoven, ou à un des fils de De Keyser, Pieter ou Thomas. Les portes du « maître ès antiquités » (stads antyc meester) représentées dans le recueil sont tout aussi michélangelesques que celles de Francart ; plusieurs d’entre elles ont d’ailleurs survécu, comme la porte d’entrée du cimetière de la Zuiderkerk (vers 1615) et le portail de l’église wallonne dans la Hoogstraat (1616). L’œuvre de De Keyser et de certains contemporains, comme Lieven de Key, actif à Leyde et à Haarlem, appartient en effet au courant maniériste déjà évoqué. Dans les anciens Pays-Bas septentrionaux, le phénomène fut toutefois interrompu par la naissance d’un classicisme d’inspiration scamozzienne, par ailleurs déjà annoncé dans la préface de l’Architectura moderna due au peintre-architecte Salomon de Bray de Haarlem (1597-1664).
Dans son aspect de mise en valeur du pouvoir créateur – l’inventio maniériste –, le Premier livre d’architecture de Francart assume parfaitement l’héritage du Livre extraordinaire de Serlio. Du reste, comme ce dernier, il propose deux groupes de modèles : portes raffinées et portes rustiques, ces dernières étant les plus nombreuses, contrairement au livre de l’Italien. En outre, sa page de titre gravée offre de nombreuses similitudes avec celle ajoutée aux éditions italiennes du Libro estraordinario, et on pourrait y voir une version modernisée de l’original serlien. Le livre est aussi en parfait accord avec les exigences de la pratique des Pays-Bas de l’époque, pour laquelle le portail constitue très souvent le seul élément moderne (c’est à dire « à l’antique ») d’édifices civils à l’architecture par ailleurs fidèle aux traditions. Dans son De architectura resté manuscrit conservé à la Bibliothèque royale de Belgique, achevé en 1599, Charles De Beste, maître-maçon brugeois, avait déjà consacré tout un chapitre aux « portails ou bien portes d’entrée des Temples » (ch. V) ; mais il ne donnait pas d’exemples pour l’architecture profane. Le Premier livre d’architecture de Francart a particulièrement marqué la pratique architecturale jésuite ; en témoignent de nombreuses études d’un style tout à fait michélangelesque contenues dans les recueils de dessins jésuites conservés en Flandre (le prétendu Promptuarium pictorum, tome II, Archives des Jésuites flamands, Heverlee). On y reconnaît également la trace d’autres recueils de modèles contemporains d’inspiration tout aussi michélangelesque. D’autres recueils similaires devaient suivre : en 1619, à peine deux ans après Francart, Bernardino Radi, tailleur de pierre et assistant de Carlo Maderno, dédie au cardinal Scipion Borghèse ses Vari Disegni di Architettura ornata de porte, série de cinquante gravures représentant des portes, sans texte. On citera encore le Livre d’architecture contenant plusieurs portiques... d’Alexandre Francine, ingénieur florentin au service du roi de France, publié à Paris en 1631 et réédité en 1640.
Contrairement aux exemples cités, le Premier livre d’architecture s’inscrit toutefois dans un développement théorique plus ample, puisqu’il aurait dû être suivi par (au moins) trois autres tomes, restés inédits ou à l’état d’ébauche. Les brèves mentions dans les commentaires suggèrent que le deuxième tome aurait traité des problèmes de proportion (et des corrections optiques nécessaires), et le quatrième des principes qui sous-tendent les nouvelles formes, tels les ressauts et les frontons rompus.

Krista De Jonge (Katholieke Universiteit Leuven)
Annemie De Vos (Musées de la ville d’Anvers) – 2011

 

Bibliographie critique

A. De Vos, « Le Premier Livre d’Architecture de Jacques Francart, à Bruxelles en 1617 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 487-489.

A. De Vos, Jacques Francart, Premier Livre d’Architecture. Studie van een Zuidnederlands modelboek met poortgebouwen uit de 17de eeuw, Bruxelles, Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, 1998.

K. Ottenheym, « Architectura Moderna. The Systemization of Architectural Ornament Around 1600 », K. De Jonge & K. Ottenheym (éd.), Unity and Discontinuity. Architectural Relationships between the Southern and Northern Low Countries (1530-1700) (Architectura Moderna, 5), Turnhout, Brepols, 2007, p. 111-136.


 

Notice

Premier livre d'architecture de Iaques Francart. Contenant diverses inventions de portes serviables à tous ceux qui desirent bastir. Et pour sculpteurs tailleurs de pieres, escreiniers massons et autres en trois langues...
[S.l. : s.n., 1617 approb.]. [12] p. ; XXI planches hors texte : titre gravé par Michel Lasne ; fol.
Dédicace de l’auteur à l’Archiduc Albert. Texte en latin, français et néerlandais. Sig. [p]1 [A]-B2 [h]1.
Bruxelles, Bibliothèque royale de Belgique, VB 5.321 C 1 (RP).
*Notes :
- Indication manuscrite : « Collegij Soc[ieta]tis Jesu Ant. B. M. 1667 ».
- Provenance : Societas Jesu Antwerpen.