LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Desgodets, Antoine
Titre Traité des ordres d’architecture...
Adresse  
Localisation Paris, Bibliothèque de l’Institut de France, ms. 1031
Mots matière Ordres
Consultation de l’ouvrage

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     Antoine Desgodets n’a jamais publié son Traité des ordres d’architecture. On en connaît aujourd’hui neuf manuscrits plus ou moins complets, datés entre 1719 et 1779. Celui qui est conservé à l’Institut de France fut présenté à Louis XV le 2 août 1719 « lorsque sa Majesté honora l’Académie d’architecture de sa présence » selon la note autographe, semble-t-il, de Desgodets au bas de l’épître dédicatoire. Il a l’aspect d’un ouvrage prêt à l’édition avec le titre (Traité des ordres d’architecture), le frontispice, les vignettes, la dédicace au roi, les en-têtes et les cadres, et la table des matières à la fin. Il était terminé en 1711. Et l’auteur avait obtenu en 1712 un privilège pour publier l’ouvrage (Paris, Archives nationales, o1 1087, f. 64), qui laisse à penser qu’il avait été primitivement dédié à Louis XIV et que la dédicace fut modifiée par la suite, Desgodets n’ayant pas trouvé d’éditeur (Hermann 1958). Desgodets a gardé le manuscrit par devers lui, qui ne fut acquis par l’Académie qu’en 1779, selon la note manuscrite sur le feuillet précédant le frontispice (« M. Sedaine, secrétaire, a présenté à l’académie assemblée, un ouvrage manuscrit de M. Desgodets [...] par le respect que l’académie a pour la mémoire d’un de ses anciens professeurs, [...] elle autorise M. Sedaine à en faire l’achat pour être mis dans sa bibliothèque »).
     Le manuscrit de l’Institut est le plus ancien. Il n’est pas aussi complet que sept des huit autres connus. Il ne comporte que 17 chapitres au lieu de 22, numérotés en continu, avec le texte sur la page de gauche vis-à-vis de l’illustration qui occupe la page de droite, et il est illustré de 54 planches au lieu de 62 par la suite. Desgodets, nommé professeur à l’Académie royale d’architecture en 1719, quelques semaines avant la présentation du manuscrit à Louis XV, eut tout loisir d’amender son texte au fil de son enseignement, le traité devant « faire connaître les principes et les premiers éléments de l’architecture aux jeunes amateurs de cet art [...] en servant de leçons aux élèves de cette Académie » (Dédicace). Le traité s’ouvre sur la dédicace au roi et la préface de l’auteur. Les huit premiers chapitres concernent les ordres (profils des moulures et des colonnes, présentation des cinq ordres, superposition). Le chapitre 9 traite des arcs, les chapitres 10 et 11 de la place des pilastres et des colonnes, les chapitres 12 à 15 des proportions des frontons, des portes et fenêtres, ainsi que des niches. Le chapitre 16 est consacré à l’ordre attique et le dernier aux balustrades. La présentation de chaque ordre rappelle incontestablement celle de la Regola delli cinque ordini d’architettura de Vignole (colonnade, arcade sans et avec piédestal, piédestal et base, chapiteau et entablement). Les illustrations du manuscrit sont accessibles en ligne sur le site Desgodets.
L’ouvrage s’inscrit dans la tradition de François Blondel qui, comme premier directeur et professeur de l’Académie royale d’architecture, avait publié son Cours en trois tomes en 1675-1683 (son successeur La Hire garda le sien manuscrit) et de son disciple d’Aviler qui avait fait paraître le sien en 1691, complété par un dictionnaire, même si à son grand regret il n’enseigna jamais dans l’institution. En même temps le projet de Desgodets, par son titre même, a l’ambition de rivaliser de fait avec tous ceux qui ont écrit sur le sujet. En effet la théorie des cinq ordres développée par Serlio (1537), affinée par Philandrier (1544) et Vignole (1562), diffusée par leurs épigones, Palladio (1570) et Scamozzi (1615) pour les plus importants, est au cœur de la création architecturale. Au XVIIe siècle Fréart de Chambray lui consacre son fameux Parallèle (1650), Abraham Bosse deux livres (Traité des manieres de dessiner les ordres, 1664 ; Des ordres de colonnes, 1664) ainsi qu’un recueil de portes (1659), et le champion de la modernité Claude Perrault son Ordonnance des cinq especes de colonnes (1683) dans laquelle il entendait clore la problématique selon le principe de la « médiocrité moyenne ». Desgodets propose des ordres qui se veulent expressément l’ambitieuse synthèse entre les édifices antiques gallo-romains et romains, quelques réalisations modernes et les écrits des théoriciens antérieurs confrontés à l’enseignement dont il a bénéficié lors des conférences de l’Académie royale d’architecture. « Après quoi », comme il l’écrit dans la préface, « je me suis déterminé à en faire des dessins et les mettre dans l’ordre d’un livre pour m’en servir et savoir à quoi m’en tenir lorsqu’il se présentera occasion de les exécuter ».
     Desgodets mentionne rarement ses sources. Il est étonnant que le traité à visée pédagogique soit même si peu historique. Peu de théoriciens sont cités : Vitruve le père fondateur l’est seulement sept fois, à propos de la diminution et du renflement des colonnes (p. 6), de l’ordre toscan (p. 12) (dont Desgodets dit n’avoir vu aucun vestige), de l’origine des colonnes (p. 10), de la base dorique que l’architecte antique ne décrit pas (p. 28), de sa règle pour les entrecolonnements (p. 50). Vignole est le seul auteur moderne mentionné mais une seule fois, pour sa méthode permettant de diminuer la colonne (p. 6). C’est pourtant à lui qu’il se rallie pour la base dorique sans citer son nom (« je suivrai l’opinion de ceux qui ont fait une base particulière pour l’ordre dorique en ajoutant une astragale dessus le tore de la base toscane », p. 28). Ni Fréart de Chambray, ni Bosse, ni Perrault ne sont présents, pas plus que Blondel et d’Aviler. La référence aux antiquités romaines est quasi inexistante, ce qui est pour le moins surprenant pour l’auteur des Édifices antiques de Rome (1682). Desgodets ne dit pas davantage un mot des grandes réalisations de Louis XIV ni de chantiers prestigieux (Collège des Quatre-Nations, Val-de-Grâce...) ou plus récents. Aucun édifice civil ou religieux n’est donné en référence, voire en contre-exemple.
     Il est évident que Desgodets a suivi les profils de la Regola de Vignole pour l’ordre toscan (à l’exception du piédestal) et les deux modèles doriques, l’un avec denticule, le second à mutules. Il lui reprend également la base composite (« composée ») avec une seule baguette séparant les deux scoties. Mais il emprunte à Palladio l’idée de placer des degrés sous les colonnades et surtout l’architrave composite à deux fasces et sa corniche à double modillon quadrangulaire (Vignole propose une corniche à denticule) sans reprendre toutefois la frise bombée du modèle palladien. Le chapiteau ionique à cornes dont il dote par ailleurs la colonnade et l’arcade de l’ordre vient de Scamozzi. La base de la colonne corinthienne est celle préconisée par Serlio qui est le premier à l’associer à la colonne de cet ordre et à la nommer « corinthienne » (Vitruve n’en parle pas, et Alberti qui la décrit la qualifie d’« ionique »). Mais les formes ne suffisent pas : Desgodets reconnaît avoir utilisé pour les proportions des colonnes deux systèmes différents, le premier « en divisant toute la hauteur de chaque ordre en un certain nombre de parties égales pour avoir les hauteurs des piédestaux, des colonnes et des entablements, redivisant ensuite chacune de ses hauteurs en une autre quantité, et allant de suite de subdivision en subdivision jusqu’à ce que je sois parvenu à la mesure de chaque petite partie », le second en divisant « le diamètre du bas des colonnes en deux modules et chaque module en trente parties ce qui fait soixante parties pour tout le diamètre entier », ces parties permettant de mesurer tous les membres de chaque ordre cotés en chiffres sur les dessins, qu’il fait « cadrer » le plus justement possible avec les divisions de la première manière, ce qui l’oblige à utiliser des fractions : Desgodets reconnaît que la seconde manière est plus pratique mais la première montre mieux les proportions des divers membres entre eux (Préface). De fait il adopte la méthode vignolesque pour le toscan et le dorique en divisant la hauteur en dix-neuf parties dont il donne quatre au piédestal, douze à la colonne et trois à l’entablement (p. 10). Il modifie les rapports pour l’ionique, le corinthien et le composé (p. 10), qu’il combine au système modulaire vitruvien qui a pour référence et module le diamètre de la colonne, alors que chez Vignole le module est le rayon. Fréart de Chambray avait ouvert la voie en unifiant la présentation des ordres antiques et modernes par le choix du demi-diamètre de la colonne, divisé entre trente parties. Bosse était allé plus loin : il avait repris la conception vignolesque de l’ordre comme entité architecturale déterminée par un rapport constant entre ses trois parties fondamentales mais en changeant les rapports. Une fois la hauteur de la colonne déterminée, il la divisait en 14 parties pour le toscan, 16 pour le dorique, 18 pour l’ionique et 20 pour le composé et le corinthien, chacune de ces parties étant subdivisée elle-même en 30. C’est elle qui sert de module ou « de pied fondamental » (Lemerle 2009).
     L’originalité de Desgodets apparaît relative (architrave ionique à deux fasces et non à trois, base composite moins ornée que la corinthienne, présence des ordres seulement sur les avant-corps, nouvelle manière de tracer la volute ionique). La position du composite entre l’ionique et le corinthien est tirée de Scamozzi ; l’avis de ne pas superposer le corinthien sur le composé ou l’inverse vient de Fréart de Chambray qui considère qu’il faut utiliser l’ordre « romain » seul, comme l’ont fait les Anciens. Les réflexions sur la superposition des colonnes déjà étudiées par Serlio et Philandrier ont été reprises et approfondies par Blondel. Philandrier est le premier à avoir traité du problème de l’emploi conjugué de pilastres et de colonnes et réfléchi à ses conséquences au niveau du chapiteau et de l’entablement, problème auquel Bosse et Blondel ont fait écho. La réflexion sur les cas de figures d’utilisation conjuguée de pilastres et de colonnes se trouve déjà chez Blondel mais elle a été approfondie par Desgodets. La principale nouveauté est le fait qu’il représente systématiquement à la suite des chapiteaux des colonnes ceux des pilastres. Par ailleurs l’auteur met rarement en avant ses propres observations ou sentiments. Il désapprouve les corniches architravées (p. 8) – comme celle du palais Farnèse que reproduisit Mansart à Maisons par le biais de la planche de Philibert De l’Orme. Il est hostile à la superposition de plus de deux ordres (p. 78).
     L’intérêt du manuscrit de l’Institut est de livrer la conception académique d’un certain goût en architecture et des débats théoriques de l’institution dans les années 1700. Il reste que le Traité des ordres est décevant. Sans la cohérence de la somme encyclopédique de Blondel, sans la fantaisie ni la modernité du Cours de d’Aviler, il n’est plus vraiment d’actualité. Sa présentation minutieuse paraît laborieuse. Il faut se demander si Desgodets n’en fut pas lui-même conscient pour avoir différé sine die une publication, dont le privilège avait déjà été obtenu et qu’il n’aura toutefois de cesse d’amender. Les praticiens ne pouvaient accepter les modèles proposés comme références absolues. On sait que les débats théoriques à l’Académie pour déterminer les modèles à suivre n’ont eu que peu d’échos au XVIIe siècle chez les architectes français, qui ont pratiqué l’éclectisme avec une certaine prédilection pour le dorique vignolesque, l’ionique scamozzien, le corinthien et le composite palladien voire scamozzien. La belle architecture telle que l’incarne Ange-Jacques Gabriel (1698-1782), après le règne sans partage de Jules Hardouin-Mansart mort en 1708, relève moins des ordres d’une grande pureté formelle que d’une conception élégante et raffinée de l’œuvre architecturale elle-même.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2015

Bibliographie critique

J. Duportal, « Le cours d’architecture de Desgodets. Recueil inédit du Cabinet des Estampes », La revue de l’art ancien et moderne, 36, 1914, p. 153-157.

W. Herrmann, « Antoine Desgodets and the Académie Royale d’Architecture », The Art Bulletin, 40, 1958, p. 23-53.

F. Lemerle, « Ordres et proportions dans la tradition vitruvienne (XVe-XVIIe siècles) », S. Rommevaux, P. Vendrix & V. Zara (éd.), Proportions. Science–Musique–Peinture & Architecture, Turnhout, Brepols, 2012, p. 409-423.

F. Lemerle, « L’enseignement de l’architecture au XVIIe siècle : les voix de l’Académie », à paraître.

H. Lemonnier, Procès-verbaux de l’Académie royale d’architecture 1671-1793, Tome 4, 1712-1726, Paris, Champion, 1915, p. 352.

C. Nocentini, « Il ‘trattato degli ordini’ di Antoine Desgodets : un manuale inedito », Quaderni di storia dell’architettura e restauro, 2, 1989, p. 13-18.

 

 

Notice

Traité des ordres d’architecture, par Antoine Desgodetz architecte du Roy (1719).
Papier. 111 pages. 56 dessins, plume et lavis. 430 x 285 mm.
Reliure maroquin rouge, aux armes de l’Académie royale d’architecture (1779).
Paris, Bibliothèque de l’Institut de France, ms. 1031.
*Note :
- Propriétaire précédent : Académie royale d’architecture.