LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Niceron, Jean-François
Titre La perspective curieuse ou magie artificielle des effets merveilleux...
Adresse Paris, P. Billaine, 1638
Localisation Besançon, Bibliothèque municipale, 11518
Mots matière Perspective

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      Le Père Jean François Niceron (1613-1646), religieux de l’ordre des Minimes, mourut à 33 ans. De son vivant il publia deux ouvrages sur la perspective et ses dépendances qui suscitèrent un grand intérêt, notamment dans les milieux cartésiens, par l’intermédiaire de son condisciple et ami, le Père Mersenne, considéré comme « le secrétaire de l’Europe savante ». Le premier de ces ouvrages, en français, parut en 1638 chez Pierre Billaine et l’autre, en latin, parut en 1646, à peine plus d’un mois avant le décès de l’auteur, chez François Langlois sous le titre Thaumaturgus opticus. Une troisième édition posthume fut confiée aux soins de Mersenne et après la mort de celui-ci au mathématicien Gilles Personne de Roberval ; elle parut en 1651-52 et fut rééditée en 1663. Le traité de 1638 constitue le socle de ces éditions dont les contenus diffèrent quelque peu. Le frontispice de La perspective curieuse de 1638 est gravé par Pierre Daret, celui du Thaumaturgus opticus est gravé par Charles Audran sur un dessin de Simon Vouet. Les collaborations de ces graveurs renommés et de ce peintre célèbre montrent l’importance éditoriale accordée au travail de Niceron. On repère dans chacune de ces gravures les portraits, respectivement de Louis XIII et de Mazarin, ce qui fait pressentir, à juste titre, que l’ouvrage ne sera pas politiquement neutre.
Niceron ne rédige pas uniquement un traité de perspective ; ce sera seulement le sujet du livre I de cet ouvrage, précédé comme il se doit des éléments de géométrie élémentaire nécessaires à sa compréhension. Il présente la construction classique tirée de la seconde règle de Vignole commentée par Ignazio Danti, mais il n’ignore pas « les autres bons autheurs »et notamment « Monsieur Desargues, qui en a mis au jour une méthode générale & fort expéditive, qu’il a inventée, avec encore plusieurs autres beaux secrets pour l’Architecture & la Perspective, dont il fera part au public quand il luy plaira ». La polémique Desargues – Du Breuil de 1642 sera telle que cette louange ne sera pas reprise dans l’édition suivante. Pour montrer sa virtuosité en ce domaine et corriger ceux « qui ont escrit de la Perspective & particulièrement ceux qui ont traité des cinq corps réguliers » en se trompant ou même en renonçant à des tracés géométriques, il ajoute aux deux planches de perspective six planches sur la représentation savante des solides platoniciens et de quelques autres. Cependant les célèbres représentations des polyèdres étoilés qui feront la réputation de Niceron, en son temps comme aujourd’hui, ne figurent que dans les autres éditions.
Les trois autres livres, qui pour Niceron constituent l’essentiel de son ouvrage, présentent « les gentillesses de la Perspective curieuse » qu’il nomme aussi « Magie artificielle ». Cette magie qu’il associe aux mages de Perse, n’a rien à voir avec les « pratiques & communications illicites ». Elle produit « les plus beaux & admirables effets, où l’art & l’industrie de l’homme puissent arriver », comme par exemple « la teste de bronze faite par Albert le Grand, qui parlait… ». Pour Niceron, la perspective est un art rationnel qui permet de construire des dessins trompeurs aux effets merveilleux, dissimulant volontairement la vérité pour mieux la révéler. Le livre II se rapporte précisément aux anamorphoses, et tout particulièrement aux figures difformes construites rigoureusement selon les lois de la perspective, en choisissant un point de fuite très excentré et une distance au tableau très courte. Elles ne paraissent bien proportionnées que si elles sont regardées du bon point de vue. Dans ce chapitre savant, Niceron utilise les « principes de la trigonométrie ».
Le livre III est un traité de catoptrique faisant intervenir des miroirs plats, cylindriques et coniques. Il s’agit de tracer sur un plan d’assiette une figure dépravée dont le reflet dans un miroir, par exemple cylindrique, est une image donnée bien proportionnée. Ce dispositif a enthousiasmé les curieux de l’époque ; Simon Vouet en a dessiné quelques exemples et Jean-Louis Vaulezard « a fort bien escrit sur ce sujet » dans sa Perspective cilindrique et conique de 1630. La construction de Niceron s’inspire de ce dernier mais il remarque qu’elle est faite « sans observation des angles d’incidence & de reflexion, & sans distance & hauteur de l’œil déterminée » aussi ne prétend-il pas qu’elle est parfaite mais seulement « familière & intelligible » et qu’elle assure « un bel effet ».
Le livre IV est en partie un ouvrage de dioptrique montrant comment une lunette munie d’une lentille convenablement taillée peut abstraire certaines parties de plusieurs figures pour en donner une nouvelle. Il mentionne dans cette partie la Dioptrique de Descartes. S’y ajoute en ce lieu l’étude des anagrammes car l’art du « mot sous le mot » s’invite naturellement dans cet ouvrage consacré à « l’image sous l’image ». Mais les exemples de Niceron ne sont pas neutres. Par exemple, pour illustrer l’usage de sa lunette (pl. 23-24), il dessine « une quinzaine d’Ottomans vestus à la Turque », parmi lesquels le sultan de l’époque Amurah IV, et « quand on vient à regarder par la lunette, au lieu de ces Ottomans, on ne veoit plus que le portrait de sa Majesté », c’est-à-dire Louis XIII. C’est un dessin de propagande ; cette « peinture muëte » s’accompagne d’un poème plus explicite sur le monarque français « Qui doit des Ottomans l’Empire mettre à bas ; / Qui fera des Croissans de la race infidelle / De ces mahometans, surgir les Fleurs de Lis ». De même, il indique qu’un seul verset de la Bible produit plusieurs anagrammes « touchant la prise de la Rochelle et la réduction des rebelles ».
L’intérêt de Niceron pour ces images confuses, qui changent selon que le regard est ou direct ou oblique, ou médiatisé par des miroirs et des lentilles, est pluriel. Il s’agit de montrer la fragilité des apparences, de promouvoir le doute et de se laisser guider par la raison selon une démarche toute cartésienne. Mais par ailleurs, bien que cela ne soit pas clairement explicité, le religieux de l’ordre des Minimes utilise évidemment la métaphore des anamorphoses pour sous-entendre qu’en regardant avec les yeux de la foi le chaos apparent du monde s’évanouit.

Jean-Pierre Manceau (Tours) – 2013

 

Bibliographie critique

N. G. Poudra, Histoire de la perspective ancienne et moderne..., Paris, Corréard, 1864.

F. Siguret, « Jean-François Niceron : le dess(e)in politique », Communications, 34, 1981, p. 25-40.

J. Baltrušaitis, Anamorphoses ou Thaumaturgus opticus. Les perspectives dépravées – II, Paris, Flammarion, 1984.

P. Hamou, La vision perspective (1435-1740), Paris, Payot & Rivages, 1995.



 

 

Notice

La perspective curieuse ou Magie artificielle des effets merveilleux. De l’optique, par la vision directe. La catoptrique, par la reflexion des miroirs plats, cylindriques et coniques. La dioptrique, par la refraction des crystaux. Dans laquelle, outre un abbregé et methode generale de la perspective commune, reduite en pratique sur les cinq corps reguliers, est encore enseignee la façon de faire et construire toute sortes de figures difformes, qui estant veuës de leur poinct paroissent dans une juste proportion : le tout par des pratiques si familieres, que les moins versez en la geometrie s’en pourront servir avec le seul compas et la regle... Oeuvre tres-utile aux peintres, architectes, graveurs, sculpteurs, et à tous autres qui se servent du dessein de leurs ouvrages. Par le Pere F. Jean François Niceron. Paris : Chez Pierre Billaine, 1638.
[1-1 bl.-1-1 bl.-1-1 bl.-18]-120-p., 25 f. de pl. dont 1 dépliant illustré ; 2°.
Epître dédicatoire à Georges Bolognetti, évêque d’Ascoli. - Privilège de 7 ans accordé le 27 avril 1638 à J.-F. Niceron qui le cède à P. Billaine. - Achevé d’imprimer pour la première fois le 27 juillet 1638. - Marque de Pierre Billaine à la fin du texte.
Sig. ã6, 6, A-K6, L2
Frontispice (f. ã2r) et 25 planches gravés sur cuivre par Daret (frontispice) ou par Blanchin (planches 2, 10 et 18). Les planches 15, 17, 19, 24 et 25 ont été gravées d’après des dessins de l’auteur.
Besançon, Bibliothèque municipale, 11518.
*Notes :
- Ex-libris ms. de l’abbé Jean-Baptiste Boisot (1638-1694), 17e siècle : « Ex Bibliotheca Joannis Bapt. Boisot Abbatis S. Vincentii Vesontini ».
- Quelques notes mansucrites anciennes.