LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Mauclerc, Julien
Boyvin, René
Titre Le premier livre d’architecture...
Adresse [La Rochelle, J. Haultin], 1599
Localisation Vicence, CISA A. Palladio, MOR E XVI 1
Mots matière Ordres
Transcription du texte

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     Le premier livre d’architecture de Julien Mauclerc n’avait guère attiré l’attention des historiens de l’architecture, jusqu’à ce que David Thomson ne le tire de l’oubli en 1980 pour en souligner l’exceptionnel intérêt. Rares sont les informations sur le sieur du Ligneron-Mauclerc. Selon la dédicace (« Au Roy ») de l’édition de 1600, il a servi Henri de Navarre, sans doute comme architecte militaire dans les années 1570-1580. C’est peut-être alors qu’est né son goût pour l’architecture et les machines. Il se dit âgé de cinquante-trois ans en 1596, ce qui le fait naître aux alentours de 1543. Très fier de sa titulature qui apparaît à plusieurs reprises dans son traité (ses fiefs se situent dans l’actuel département de la Vendée, entre Challans et La Roche-sur-Yon), il est comme beaucoup de ses semblables une personnalité aux talents multiples. Il a ouvert à Apremont une faïencerie de terre blanche (« bouteillage de terre blanche ») après avoir obtenu en 1560 un privilège royal. C’est aussi un collectionneur suffisamment averti pour être le premier dédicataire du Bouquet printanier (il sera par la suite détrôné par Sully) publié en 1600 par l’apothicaire et grand collectionneur poitevin, Paul Contant.
Toutefois David Thomson n’avait pas connaissance d’un exemplaire daté de 1599, qui a appartenu à l’architecte Jean-Charles Moreux (1889-1956) et qui a été légué au Centro internazionale di studi di architettura Andrea Palladio de Vicence. Cette publication sans nom ni lieu est de toute évidence due à l’imprimeur protestant installé à La Rochelle Jérôme Haultin, qui assumera l’édition de 1600. Ce sont en effet les mêmes bois pour le texte et les mêmes planches. L’édition de 1599 diffère essentiellement de celle de 1600 par la page de titre et l’absence de dédicace (« Au Roy »). Du reste, la seule étude des majuscules ornées, des bandeaux et des fleurons suffiraient à attribuer la paternité à Haultin. En 1600, la page de titre est différente ; elle est recomposée et comporte l’adresse de l’imprimeur et sa marque de la « Religion chrestienne ». L’exemplaire du CISA A. Palladio est le seul connu à ce jour.
Le tirage de 1599 relève sans doute d’un type d’impression expérimentée au XVIe siècle dite « édition à l’essai », selon l’expression même des contemporains, qui est destinée au premier cercle des amis. Les ouvrages étaient imprimés en petit nombre, aux frais des auteurs, à l’instigation des imprimeurs eux-mêmes qui tout en faisant travailler leurs presses sans risque, pouvaient « sonder les réactions d’un marché éventuel au travers de lecteurs avertis, véritables consultants avant l’heure » (Simonin 2004, p. 735). Ces tirages limités permettaient ainsi de mettre au net les secondes éditions, imprimées cette fois en grand nombre.
Les deux tirages de Jérôme Haultin ne laissent pas de surprendre. S’il est assez logique que Mauclerc, gentilhomme protestant, se soit adressé au membre actif d’une éminente dynastie d’imprimeurs installés dans la capitale des Réformés, il est plus étonnant que Jérôme Haultin ait accepté de publier un livre d’architecture. En effet, la dynastie des Haultin – Pierre I est venu de Lyon s’installer à La Rochelle en 1571 – est essentiellement connue pour sa production religieuse (Bibles, etc...) et la publication d’écrits politiques favorables à la Réforme. La publication d’un traité d’architecture paraît incongrue même si les Haultin ont une incontestable compétence dans certains domaines artistiques comme la littérature musicale, Pierre Ier ayant été un pionnier en la matière. En outre, l’illustration de leurs ouvrages est en général pauvre. Ici, les planches des ordres sont réalisées par René Boyvin, l’un des grands graveurs de la Renaissance, et marquées de son monogramme RB. Le frontispice daté de 1596 (et non de 1576 comme l’ont cru certains), de moins belle facture, est dû à un graveur anonyme (IB). Boyvin, dont la vie reste mal connue, réalise une importante série quelques années avant sa mort, située entre 1580 et 1598. Mauclerc a dû entrer en contact avec l’artiste, qui avait peut-être trouvé refuge à La Rochelle, guère éloignée de son Anjou natal : Boyvin (né à Angers vers 1525) avait été emprisonné en 1569 après avoir rallié le parti huguenot. Les sympathies protestantes ont sans doute facilité le rapprochement des trois protagonistes.
Le mauvais état de l’exemplaire du CISA (page de titre déchirée et restaurée, feuillets mutilés [2-3], feuillets recoupés, montage fantaisiste des planches, absence de sonnets de M. Prévost et de deux gravures de chapiteaux composites IV et VII, insertion postérieure d’une planche représentant la bataille navale qui opposa les flottes anglaise et hollandaise à la flotte française au large des côtes méridionales portugaises et africaines le 28 juin 1693...) ne donne qu’une idée imparfaite de cette édition à l’essai. Elle est toutefois l’illustration parfaite d’une étape du processus éditorial que Michel Simonin a magistralement mise en lumière pour les grands auteurs français de la Renaissance. Paul Contant qui, en 1600, dédie à Mauclerc son Bouquet printanier, en a eu un exemplaire entre les mains. Il reprend en effet dans son poème presque mot pour mot certains passages de la page de titre du traité du gentilhomme poitevin (Marrache-Gouraud 2004, p. 233).
Pour l’étude du traité d’architecture, nous renvoyons à la présentation de l’édition de 1600.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2008

Bibliographie critique

L. Châtenay, La vie intellectuelle en Aunis et Saintonge de 1540 à 1610, La Rochelle, Éditions du Quartier Latin, 1959.

L. Desgraves, L’imprimerie à la Rochelle, Les Haultin (1571-1623), Travaux d’Humanisme et Renaissance, 34-2, Genève, Droz, 1960.

G. M. Fara & D. Tovo (éd.), I libri dell’architetto Jean-Charles Moreux al Centro internazionale di studi di architettura Andrea Pallaldio, Florence, Olschki, 2008, p. 70-72.

J. Levron, René Boyvin, graveur angevin du XVIe siècle, Angers, Petit, 1941.

M. Marrache-Gouraud, « Cabinets et curieux du Poitou, aux XVIe et XVIIe siècles », P. Martin & D. Moncond'huy (éd.), Curiosité et cabinets de curiosités, Neuilly, Atlande, 2004, p. 93-108.

M. Marrache-Gouraud & P. Martin, Le Jardin, et Cabinet poétique, Introduction et notes, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, Collection Textes rares, 2004.

Y. Pauwels, « Hans Blum et les Français, 1550-1650 », Scholion. Meitteilungsblatt der Stiftung Bibliothek Werner Oechslin, 6, 2010, p. 77-88.

M. Simonin, « Poétiques des éditions ‘à l’essai’ au XVIe siècle », L’encre et la lumière, Quarante-sept articles (1976-2000), Travaux d’Humanisme et Renaissance, 391, Genève, Droz, 2004, p. 727-745.

D. Thomson, « Architecture et humanisme au XVIe siècle. Le Premier Livre d’Architecture de Julien Mauclerc », Bulletin monumental, 158, 1980, p. 7-40.

D. Thomson, « Le Premier Livre d’Architecture de Mauclerc, à La Rochelle, chez Jérôme Haultin en 1600 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 471.