LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Goldmann, Nicolaus
Titre La nouvelle fortification
Adresse Leyde, A. & B. Elzevier, 1645
Localisation Paris, Binha, 4° Rés 361
Mots matière Fortification, Perspective, Stéréométrie

English

     Nicolaus Goldmann est né en 1611 à Wroclaw, capitale de la Silésie (Pologne) ; il est mort en 1665 dans la ville hollandaise de Leyde, où il vivait depuis 1632. Il enseignait les mathématiques, l’architecture militaire et, ce qui était moins ordinaire, la théorie de l’architecture. Outre la théorie des ordres classiques, du dessin d’architecture et du dessin technique, il avait développé une typologie de la construction qui lui était particulière, grâce à laquelle il attirait des étudiants de Hollande, d’Allemagne, de Pologne et Silésie, d’Irlande, de Suède et du Danemark. Fait exceptionnel, Goldmann écrivit aussi des livres directement issus des réflexions qui nourrissaient son enseignement. Ses écrits sont d’une exceptionnelle qualité, et lorsqu’on les étudie, on embrasse quasiment toute la culture architecturale des années 1650 dans les Pays-Bas et en Allemagne. Sa théorie se fonde en effet sur les découvertes scientifiques les plus récentes et les plus avancées de son temps et de son milieu. L’œuvre de Goldmann est caractérisée par ses efforts visant à inclure la théorie de l’architecture dans le champ des sciences ; pour ce faire, il développe un système fondé sur les principes méthodologiques des mathématiques. Il travaillait avec la certitude d’une représentation d’un monde cohérent, reposant sur les principes immuables de l’univers mathématique.
Pendant sa vie, Goldmann ne put publier que cinq livres, qui reflètent les différents domaines de son enseignement, ouvrages théoriques et manuels pratiques : Elementorum architecturae militaris Libri IV […] (Leyde, 1643), consacré à l’ingénierie militaire ; La nouvelle fortification (Leyde, 1645), traduction française du même livre ; Vitruvii voluta ionica… (Amsterdam, 1649), traité sur le tracé de la volute ionique ; Tractatus de usu proportionatorii sive circini proportionalis […]/ Eine Ahnleitung vom Gebrauch des Ebenpassers, oder Proportionalcirckels… (Leyde, 1656), ouvrage qui traite de l’utilisation du compas de proportion ou « sector » ; Tractatus de stylometris […]/ Gebrauch dehr Baustäbe […] (Leyde, 1661), livre consacré à l’une de ses propres inventions, un outil de dessin permettant de tracer les cinq ordres de colonnes selon les proportions correctes.
La plus importante contribution de Goldmann à l’architecture reste néanmoins sa théorie d’ensemble. Sa mort soudaine, en 1665, l’a empêché de la publier de son vivant. Mais ses écrits n’en circulèrent pas moins dans toute l’Europe septentrionale, sous la forme de manuscrits reprenant fidèlement l’intégralité de sa pensée, diffusés par ses anciens élèves. En 1696, l’architecte et mathématicien allemand Leonhard Christoph Sturm (1669-1719) publia l’un de ces manuscrits à Wolfenbüttel en lui donnant le titre Vollständige Anweisung zu der Civil Baukunst (« Définition complète de l’architecture civile »). Des rééditions de cet ouvrage parurent en 1699 à Brunswick et en 1708 à Leipzig. Par ces publications, Sturm remettait en pleine lumière l’œuvre de Goldmann ; mais en même temps, il introduisait une certaine confusion à propos de la chronologie, de l’édition et des illustrations : la théorie de Goldmann n’était plus le fruit d’une pensée hollandaise et mathématique de la moitié du XVIIe siècle, mais entre les mains de Sturm elle était devenue l’expression d’une pensée allemande du début du XVIIIe siècle, avec, du fait des illustrations, une insistance sur les dessins. Cette
En 1645 Goldmann publia sous le titre La nouvelle fortification une édition française de son livre d’architecture militaire, paru deux années auparavant en langue latine. Les deux éditions furent imprimées par la branche de la célèbre famille Elzevier installée à Leyde. L’ouvrage latin est un petit in-8°, dédié à Frédéric III, futur roi de Danemark et de Norvège. La version française, avec une dédicace à Frédéric Henri de Nassau, stadhouder de la République hollandaise, est un bel in-folio de 224 pages, dans lequel les 56 illustrations ont été disposées en évidence au sein même du texte. Le contenu comme les illustrations sont toutefois identiques dans les deux éditions, à ce détail près que l’édition française a reçu une nouvelle page de titre avec une gravure soignée exécutée par Adriaen Jacobsz Matham (vers 1599-1660), un graveur renommé, peintre, éditeur et marchand installé à Haarlem et La Haye.
Le traité comprend quatre livres : Livre premier des Desseins, Deuxieme livre des Profils et Ichnographies, Troisieme livre de la Stereometrie et Sciagraphie, Quatrieme livre de la maniere Mechanique, et de l’offense. Chacun de ces livres commence par une savante préface ; Goldmann y donne un aperçu de ses choix scientifiques. Ensuite, il traite des qualités requises pour être un bon ingénieur militaire, et fait une rétrospective de l’architecture militaire en remontant aux temps bibliques ; il annonce aussi le but de son livre : « Aussi avons nous fait ce discours, non comme pour enseigner les Mathematiques ; mais pour ceux qui ont lés charges d’une Republique, pour leur servir à augmenter leur gloire, pour paroistre au dessus du vulgaire en temps de paix, & pour estre quand & quand propres à donner conseil es affaires de guerre » (p. 198). Ce faisant, il s’adresse directement au stadhouder de la République de Hollande, qui avait mené la bataille pour l’indépendance contre les Espagnols, tout comme l’avaient fait son père Guillaume d’Orange et son frère Maurice de Nassau. Faisant allusion aux succès remportés par Frédéric-Henri dans sa guerre de sièges, il poursuit ainsi : « Ce sera une chose, laquelle semble meriter de blasme de tout le monde, que d’oser presenter à Vostre Altesse un livre de Fortification, de laquelle les plus excellentes forteresses du monde sont esté si peu estiméés, qu’on les a vue se rendre, devant que le fruit de leur siege peust »(f. *2).
Goldmann dit de son livre que c’est « un petit traitté, qui commence là où les maistres de fortification ont cessé » (f. *2v°) ; il ne correspond pas à ce que les officiers ont expérimenté sur le terrain et ne prétend pas se substituer aux connaissances acquises par les ingénieurs dans la pratique. L’auteur déclare avec humilité : « Ne vous estonnez pas que nous n’avons point recherché aucun avencement en ce metier vrayement honorable ; nous n’avons eu l’intention telle de nous donner à ceste pratique […] mais d’une estude plus excellente […] engagé par la promesse que nous en avons faite… Quant aux Ingenieurs, nous ne leur nuirons aucunement, pour obscurcir leur lustre ; tout au rebours cela servira à l’aggrandissement de leur excellence, si l’on prend plaisir à lire nos escrits. » (p. 198)
Les quatre livres suivent le processus du projet de construction d’une forteresse. La théorie n’est pas exposée au fil d’un texte continu, mais comme une succession de problèmes spécifiques (« propositions »), qui vont du plus simple au plus complexe.
Selon le premier livre Des desseins, l’étape décisive du projet d’une forteresse est l’élaboration de son dessin. C’est à ce stade que sont prises les décisions relatives à la disposition et aux dimensions de l’ensemble, y compris les bastions et les autres éléments du système défensif. Goldmann discute de la forme des redoutes, des forts à étoile, des différents ouvrages de campagne et des remparts des villes. Ces derniers doivent dans l’idéal être tracés selon des plans réguliers : Goldmann décrit les différents polygones, et montre comment ils peuvent être adaptés aux fortifications de places au périmètre irrégulier. Il accorde une attention toute particulière aux bastions, éléments essentiels d’une bonne forteresse, étudiant leurs meilleurs emplacements et dimensions. La conception d’une forteresse repose sur quatre opérations de base : dessiner un plan géométrique sans calculs préalables ; calculer ensuite les dimensions et les volumes ; repenser alors le dessin en fonction des calculs, et enfin reporter les mesures sur le terrain. Les deux premières étapes sont de l’ordre de l’invention, les deux suivantes concernent la construction.
Dans le second livre, Des profils et ichnographies, la distinction entre dessin et plan au sol est rare. Puisque le dessin est le produit direct du processus intellectuel de conception, le plan au sol n’est que l’application matérielle du dessin. Contrairement à beaucoup d’autres auteurs, Goldmann débute le dessin définitif de la forteresse par des coupes. Dessiner une coupe en élévation géométrale est pour lui la façon la plus efficace de déterminer le profil du rempart avec à l’extérieur le parapet, la fausse-braie, le fossé et le glacis, et pour le rempart lui-même la galerie de rempart, la banquette et les emplacements des pièces d’artillerie. Goldmann développe son système en disposant des éléments simples pour parvenir à des profils complexes.
Une fois déterminées les coupes (et le dessin général), l’auteur passe au plan : c’est le sujet principal du second livre. De fait, il se contente de reprendre avec plus de détails les principes énoncés dans le premier livre. Le plus important, dans la disposition de la forteresse, est de trouver le bon angle des courtines, et le bon positionnement des bastions.
Ce que le premier livre proposait dans le plan du dessin, ce que le second représentait dans les deux dimensions, le livre De la stéréométrie et sciagraphie l’expose avec la troisième dimension, c’est-à-dire avec les volumes des remparts et des travaux de terrassement. Une série de théorèmes présente les manières de calculer les masses solides, réduites en volumes géométriques élémentaires tels que le cube, le prisme et le parallélépipède ; il est ainsi possible d’estimer les travaux de terrassement. Le livre traite aussi de quelques éléments particuliers de la forteresse, comme les ponts, les portes et les bâtiments de guet. Pour ses représentations en trois dimensions, Goldmann utilise évidemment la perspective. Il se contente d’en mettre la théorie en pratique, sans entrer dans le détail : le dessin en perspective est un supplément au dessin géométral, destiné à montrer au commanditaire une image illusionniste de l’édifice : « Et l’invention de telles Sciagraphies seroit bien propre, pour parer l’entredeux des fenestres en quelque Gallerie d’un grand Prince. »
Le livre IV, De la maniere Mechanique, et de l’offense, reprend un topos de la littérature militaire, selon lequel la contrepartie de la défense est la fin de l’attaque. Ainsi pense Goldmann ; mais au lieu d’opposer attaque et défense comme de coutume, il met en parallèle d’un côté l’aspect statique du dessin de la forteresse, et de l’autre le caractère dynamique des opérations de siège et des travaux effectués lors des attaques, qu’il nomme « mécanique ». Nul doute que ce point de vue doive être mis en rapport avec les prétentions scientifiques de l’ouvrage, qui ne laisse pas de place aux travaux manuels. Sont décrits les différentes opérations d’un siège, les sapes et les approches. Il faut remarquer que Goldmann introduit la notion d’ « eurythmie », une application simplifiée et pratique des principes exacts de la théorie (à savoir la « symétrie ») sur le terrain. La théorie est idéale et immuable ; mais en temps de guerre, il faut bien se monter pratique.
La nouvelle fortification peut être lue comme un manuel. C’est le miroir des cours que Goldmann avait présentés à ses étudiants. Mais il faut aussi replacer l’ouvrage dans la tradition des textes militaires écrits aux Pays-Bas à partir du début du XVIe siècle jusqu’aux années 1680. Leyde était alors l’un des centres où l’on pouvait non seulement apprendre la théorie des mathématiques à l’Université, selon une pédagogie traditionnelle, mais aussi se former dans le domaine des mathématiques appliquées. C’est là qu’en 1600, Maurice de Nassau avait fondé la fameuse Duytsche Mathematique, une école d’ingénieurs militaires et d’arpenteurs-géographes qui suivaient un cursus déterminé par Simon Stevin. Dans ce contexte, le livre de Goldmann peut être considéré comme le produit de ce programme, et l’héritier de l’enseignement des trois générations de Van Schooten qui avaient dirigé l’école (Franciscus senior, Franciscus junior et Petrus van Schooten). En tant que professeur privé, Goldmann diffusait plus ou moins le même contenu, tout comme le faisait par exemple Samuel Marolois. C’est de Leyde, de ce même milieu gravitant autour de la Duytsche Mathematique que sont issus aussi trois ouvrages proches et contemporains de La Nouvelle Fortification : l’Architectura Militaris Nova et aucta..., d’Adam Freitag (Leyde, 1642), l’Architectura Militaris... d’Andreas Cellarius (Amsterdam, 1645) et l’Architectura Militaris Moderna... de Matthias Dögen (Amsterdam, 1647).
Quelle fut l’importance du livre de Goldmann ? Le fait capital est que l’auteur a méthodiquement présenté l’ingénierie militaire comme une discipline mathématique, et non, comme c’est d’ordinaire le cas, comme un cas exceptionnel d’élaboration des mathématiques appliquées. Samuel Marolois, par exemple, dont les écrits s’adressaient, dans le même contexte, essentiellement aux ingénieurs, traite de l’architecture militaire seulement après en avoir fini avec les principes de la géométrie. Mais avec Marolois, Freitag, Cellarius et Dögen, Goldmann a contribué à faire en sorte que la théorie de ce que l’on nomme « le système de fortification des anciens Pays-Bas » se répande dans toute l’Europe, dans le sillage des réalisations due à des ingénieurs formés à la même école. Tous ces livres sont l’écho des leçons professées à Leyde.

Jeroen Goudeau (Deventer) – 2007

Bibliographie critique

J. Goudeau, « Nicolaus Goldmann (1611-1665) en de praktijk van de studeerkamer », Bulletin KNOB, 94, 6, 1995, p. 185-203.

J. Goudeau, Nicolaus Goldmann (1611-1665) en de wiskundige architectuurwetenschap, Thèse PhD, Groningen, 2005, ch. 4.

J. Goudeau, « A northern Scamozzi : Nicolaus Goldmann and the universal theory of architecture », Annali di architettura, 18-19, 2006-2007, p. 235-246.

J. Goudeau, « Nicolaus Goldmann on public buildings. A typology for the well-ordered society », K. Ottenheym, K. De Jonge & M. Chatenet (ed.), Public buildings in early modern Europe, Turnhout, Brepols, 2010, p. 13-26.

I. Küster, Leonhard Christoph Sturm. Leben und Leistung auf dem Gebiet der Zivilbaukunst in Theorie und Praxis, PhD, Berlin, 1942, p. 49-64.

M. Semrau, « Zu Nikolaus Goldmanns Leben und Schriften », Monatshefte für Kunstwissenschaft, 9, 1916, 10, p. 349-361; 12, p. 463-473.

M. Semrau, « Nikolaus Goldmann », U. Thieme & F. Becker (éd.), Allgemeines Lexikon der bildenden Künstler von der Antike bis zur Gegenwart, Leipzig, Seeman, 14, 1921, p. 340.

M. Semrau, « Nikolaus Goldmann », Fr. Andreae et al. (éd.), Schlesier des 17. bis 19. Jahrhunderts. Schlesische Lebensbilder, 3, Breslau, Korn, 1928, p. 54-60.

U. Schütte (éd..), Architekt und Ingenieur. Baumeister in Krieg und Frieden, catalogue d’exposition de la Herzog August Bibliothek, Wolffenbüttel, Herzog August Bibliothek, 1984.

U. Schütte, Das Schloss als Wehranlage. Befestigte Schloßbauten der frühen Neuzeit im alten Reich, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1994, p. 162-170.

 

Notice

La nouvelle fortification de Nicolas Goldman. A Leide : chez les Elseviers, 1645.
30 cahiers de 4 f., soit [16]-224 p. : ill. (sign : *-**4, A-Ee4)
Illustrations gravées sur cuivre intégrées dans le texte.
Page de titre gravée sur cuivre par Adriaen Matham (1600 ?-1660).
Berlin Katalog 3527, Holbein, XI, p. 212-214.
Paris, Bibliothèque de l’Inha, Collections Jacques Doucet, 4 Res 361 (inventaire 77913)
*Notes :
- Une figure P postérieure a été collée en lieu et place de la figure P d’origine (p. 42).
- Reliure vélin XVIIe siècle, avec traces d’attaches. Titre à la plume sur le dos.
- Ex-libris de l’époque sur la page de titre « Conventus Bruy. Car. Discal.» [couvent des Carmes déchaussés de Bruges] ancienne cote Bh-D. 178.
- Ex-libris (étiquette) sur la page de titre « Theophili Cantonnet, aedilis Fontis Blaudi [Fontainebleau] 1896-1904 ».
- Ex-libris gravé sur bois sur la première garde « IBS ».
- Étiquette du libraire « F. De Nobele, Paris ».