LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s)

Estienne, Charles

Titre De re hortensi...
Adresse
Paris, R. Estienne, 1535
Localisation
Gand, Universiteitsbibliothek, Bib. Hist 000021/3
Mots matière Jardins
Transcription du texte

English

     Charles Estienne (1504 ?-1564) est le troisième fils du célèbre imprimeur Henri I Estienne (c1470-1520). Après avoir voyagé en Allemagne et en Italie, et avant d’entamer une carrière de médecin (mai 1542), il se consacre à un projet éditorial, au premier abord éclectique, consacré aussi bien aux technologies agricoles, aux manières de se vêtir, à la diversité des navires, qu’à la variété des vases précieux. Cette entreprise, qui lui vaut une certaine renommée, est menée en contrepoint de l’œuvre de Lazare de Baïf, dédiée à la diffusion des savoirs de la culture matérielle gréco-latine.
Le De re hortensi (1535), rédigé par Charles Estienne à l’intention de ses neveux, est le premier fascicule d’une série de huit monographies didactiques écrites en latin et sans illustrations éditées à Lyon et Paris de 1535 à 1547. Cette collection de textes scolaires, écrite d’après les agronomes classiques, présente le vocabulaire, les expressions et les tournures latines à employer pour discourir au sujet des différentes « disciplines » des travaux rustiques : le jardin potager et le jardin de fleurs, le jardin fruitier et sa pépinière, le bosquet, la fontaine et la haie, le vignoble et la viticulture, le champ à labourer, la prairie, l’étang et le marais. Publiés peu de temps après la première édition en France du Libri de re rustica (1533) qui compile des écrits des agronomes latins (Caton l’Ancien, Varron, Columelle, Palladius), ces livrets sur l’économie et les travaux des champs présentent les plus profitables extraits des œuvres des scriptores rei rusticae en évitant à la jeunesse d’avoir à les lire intégralement. Assemblés et publiés par Estienne sous le titre Prædium rusticum en 1554, ilsforment une ébauche de La Maison rustique (1564).
L’abrégé des jardins imprimé par Robert Estienne en 1535 obtient un succès immédiat : il est réédité en 1536, complété en novembre 1539, puis réimprimé (1542, 1545, 1564) et traduit en italien en 1545. Ce fascicule de 99 pages présente la théorie du jardinage et la nomenclature des plantes communes des jardins à des écoliers souhaitant acquérir la copia verborum. Pour ce faire, Estienne développe une méthode archéologique et didactique qui consiste à faire correspondre le lexique vernaculaire des choses du jardinage avec une matière lexicale latine hiérarchisée en rubriques d’exempla.
L’édition de 1535 est scindée en douze parties de longueurs très inégales. Le chapitre sur l’hortus (p. 1) décrit essentiellement l’hortus instructus (jardin mis en ordre), en précisant le rôle du jardin utilitaire. La seconde rubrique est consacrée aux techniques d’aménagement et de maintenance : labour, plantation et arrosage. À la suite, les différentes clôtures et murailles des jardins (p. 10) sont présentées dans un texte assez bref étonnamment placé au même niveau que la division précédente. Estienne poursuit avec le chapitre des herbes qui germent spontanément contre les vieux murs et les haies des jardins (p. 11). Puis il aborde le sujet des haies vives, avec les différents arbres et arbustes épineux, hauts ou bas, à rameaux érigés ou sarmenteux qui les composent (p. 17). Les deux divisions suivantes concernent les circulations (p. 21) et les promenoirs, avec les végétaux ligneux ou herbacés qui les couvrent (p. 23). L’exposé qui fait suite porte sur les différentes parcelles, parterres ou carreaux (areae), divisés en couches ou planches (pulvini) (p. 39). Puis il est question de ces différentes parcelles du jardin réparties en fonction d’un classement des plantes cultivées : la parcelle des plantes pour confectionner des couronnes (p. 40), la parcelle des plantes odorantes (p. 50), la parcelle des potagères (p. 59), subdivisée en planche des salades (p. 60) et planche des espèces condimentaires (p. 72), et en dernier lieu la parcelle des plantes que l’on sert à table (p. 76), avec d’une part la planche des « fruits » (p. 77) (principalement des cucurbitacées), et d’autre part la planche des racines (p. 84).
Cette répartition thématique suscite quelques commentaires. Bien que les couronnes puissent servir à des usages médicinaux, on notera l’absence d’un « jardin des Simples » (jardin de plantes médicinales) différencié. Parallèlement, notons que des plantes du jardin odorant sont à la fois médicinales et tressées en couronnes pour l’agrément. On remarque également que le potager se limite aux salades et aux condiments. Il faut aussi souligner que l’imaginaire du jardin à l’œuvre dans le De re hortensi s’hybride volontiers avec celui des décors et des biens luxueux. Le jardin « accoustré » (p. 8 et 10) de Charles Estienne est en effet formé de parcelles et de promenoirs « Herbae vetustis », car ils sont revêtus d’une matière végétale analogue aux textiles et vêtements du De re vestiaria de Lazare de Baïf qu’il publie en 1536. De même, l’idée d’établir une catégorie pour les seules plantes des couronnes de fleurs, qui sont aussi décrites dans De re vestiaria, sous-tend une connexion artistique entre l’univers des vêtements et celui du jardin.
Ces particularités ne sont que partiellement liées aux conventions du jardinage de cette époque, car elles sont principalement la conséquence d’un système de traitement des données lexicales qui structure le plan de tous les abrégés pédagogiques publiés par Charles Estienne. Ainsi, de façon à faciliter l’apprentissage, les areæ du De re hortensi forment des répertoires de choses à mémoriser par visualisation ; elles sont en cela similaires aux différents vasa présentés dans De vasculis (1536). Les caractéristiques de ces loci sont ainsi plus déterminées par la volonté de sélectionner des critères frappants facile à se représenter mentalement que par l’observation de l’agencement des jardins réels. Les différentes parcelles décrites par Charles Estienne formeraient des lieux de mémoire artificielle, utiles pour apprendre par cœur des citations latines sur les plantes ou les pratiques horticoles. Cet opuscule, qui n’est pas un traité d’agronomie à part entière, est donc destiné à un jeune public se formant à l’art du discours.

Laurent Paya (Cesr, Tours/Artopos, Jardin et Paysage, Montpellier) – 2013

Bibliographie critique

H. Cazes, « Charles Estienne », C. Nativel (éd.), Centuriæ Latinæ II, Cent une figures humanistes de la Renaissance aux Lumières, Genève, Droz, 2006, p. 313-318.

H. Cazes, « Jardins, vergers et maisons-bibliothèques : le grand enfermement du livre imprimé ? », Voix plurielles, 5-1, 2008.

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C. Liaroutzos, Le pays et la mémoire. Pratiques et représentations de l’espace français chez Gilles Corrozet et Charles Estienne, Paris, Champion, 1998.

C. Liaroutzos, « Charles Estienne et ses "practiciens" »,M. Furno (éd.), Qui écrit ? Figures de l’auteur et poids des co-élaborateurs du texte (XVe-XVIIe s.), Lyon, PENS, collection IHL, 2009, p. 114-126.

J.-C. Margolin, « Science, humanisme et société : le cas de Charles Estienne », Parcours et Rencontres, Mélanges de langue, d’histoire et de littérature françaises offerts à Eneas Balmas, Paris, Klincksieck, 1993, 1, p. 423-431.

A. Moss, Les recueils de lieux communs, apprendre à penser à la Renaissance, Genève, Droz, 2002 (1ère éd. : Oxford, Oxford UP, 1996).

L. Paya, Les parterres des jardins à compartiments en France et dans le monde (1450-1650) : entre figures de pensée et ornements de verdure. Thèse de doctorat sous la direction de Y. Pauwels, Tours, Centre d’Etudes Supérieures de la Renaissance, 2012.

F. Schreiber, The Estiennes : an annotated catalogue of 300 outstanding books from their 16th & 17th century publishing houses, Hanes Foundation, Rare Book Collection, University Library, University of North Carolina at Chapel Hill, 1982, p. 113-115.