LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Boillot, Joseph
Titre
Nouveaux pourtraitz et figures de termes...
Adresse Langres, J. Desprez, 1592
Localisation Paris, Ensba, Masson 1068
Mots matière Animaux, Cariatides, Ordres, Termes

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     Sur la vie et l’œuvre de Joseph Boillot, nous sommes aussi bien renseignés que possible grâce aux travaux que Paulette Choné et Georges Viard ont publiés en 1995 avec le fac-similé des Nouveaux portraits et figures de termes. Bourgeois de Langres très attaché à sa ville où il exerçait dès 1571 la charge de « contrôleur au magasin et grenier à sel », Boillot en fut échevin à partir de 1587. Spécialiste par ailleurs d’art militaire, il rédigea un ouvrage de pyrotechnie (Modelles, artifices de feu et divers instrumens de guerre..., 1598). Ces diverses occupations ne l’empêchèrent pas d’acquérir une sérieuse culture humaniste, dont une écriture souvent lourde et une syntaxe parfois rugueuse montrent toutefois les limites.
Le traité publié à Langres en 1592 est un surprenant recueil de termes zoomorphes, qui se situe a priori dans la lignée de l’Œuvre de la diversité des termes de Hugues Sambin (1572). Destiné selon son titre aux architectes, il propose non sans logique de remplacer dans les supports figurés les statues humaines par des animaux. Selon Vitruve, atlantes et cariatides sont des représentations d’esclaves ou de captifs, et leur image pétrifiée sous le fardeau de l’entablement perpétue cet asservissement. Pour Boillot, ce statut ne convient plus à la dignité humaine en un temps où l’esclavage est aboli. En revanche, la Providence a donné les animaux pour accomplir les tâches pénibles et lourdes : il est donc naturel qu’ils remplacent les hommes aussi dans le travail de soutien de l’architecture. À partir de là, l’auteur propose une série de cinquante-cinq termes, dans un classement approximatif qui va des animaux les plus lourds et les plus aptes à porter les charges pénibles et, partant, à orner les rez-de-chaussée des édifices (l’éléphant, le rhinocéros ou le bœuf), pour arriver aux plus petits et les plus faibles (le porc-épic ou le singe). Se mêlent bêtes sauvages et exotiques, animaux communs et domestiques, créatures étranges et mythiques (même si la licorne ou le griffon ne l’étaient pas à l’époque). Boillot ajoute du sel au jeu en associant à chacun des animaux représentés son « antipathie et contrariété naturelle », c’est-à-dire un ou plusieurs animaux qui lui sont opposés selon les conceptions des sciences naturelles de l’époque : l’éléphant est ainsi associé au rat et au dragon, « son ennemi mortel », le cheval au chameau, le bouc au loup. Mais cette « antipathie » peut prendre d’autres formes : l’ours est représenté avec un squelette, car il déteste l’aspect des cadavres, et le tigre avec force clochettes, tambourins et trompettes car, dit-on, il hait la musique. Tout ceci donne lieu à l’invention d’images pittoresques, où s’exerce une imagination très vive et un grand sens de l’abondance décorative favorisés par une technique sûre de gravure, aussi bien sur bois que sur cuivre, puisque les deux techniques se mêlent dans le recueil.
Ces curieux termes sont le fruit d’une érudition bien peu architecturale. Boillot est plus à son aise avec Élien, Galien ou Aristote, tous abondamment cités, qu’avec Vitruve, dont le nom n’apparaît qu’une fois. Ses connaissances dans l’art de bâtir apparaissent assez rudimentaires. Les chapiteaux et les entablements dont il couronne parfois ses animaux trahissent une grammaire approximative. En outre, ses termes sont très difficilement utilisables dans la réalité : on voit mal comment les fines épines du porc-épic (f. Ivi) pourraient être réalisées dans la pierre, et, de façon générale, comment ces figures sculptées pourraient porter un véritable entablement. De fait, il n’y a pas d’exemple probant qui prouverait une mise en pratique des modèles de Boillot, sinon dans le cadre particulier des décors éphémères des entrées royales, où la peinture élimine les problèmes techniques : par exemple, l’entrée d’un « temple de Janus » prévu pour l’entrée de Marie de Médicis à Avignon en 1600 est encadrée par un terme du lion et un terme du mouton – la douceur unie à la force (Le labyrinthe royal de l’Hercule Gaulois..., Avignon, 1600). Mais cela reste très marginal.
Le livre est-il donc véritablement destiné aux architectes ? On a voulu y voir un ouvrage « hiéroglyphique », dont les images et les textes dissimuleraient en réalité une sorte de recueil de maximes édifiantes destinées à un jeune prince. C’est sans doute aller trop loin, et attribuer à l’auteur une profondeur qui l’aurait bien étonné lui-même – pourquoi diable aller cacher sous des « hiéroglyphes » des leçons de morale aussi banales que celles des Fables d’Ésope ? En revanche, la leçon est peut-être politique. La profession de foi qui occupe une grande partie de la dédicace au duc de Nevers situe clairement son auteur dans un parti certes catholique, mais favorable à Henri IV et farouchement opposé aux ligueurs accusés d’« espagnoliser » la France. Or, le monarque est le soutien de l’État, pour ne pas dire sa colonne – celle qui apparaît souvent dans les portraits des rois ou des ministres. Chez Boillot, ce soutien est produit par la réunion de deux animaux hostiles aux natures contradictoires : Henri IV ne pourrait-il pas de même réunir en lui l’opposition des catholiques et des protestants pour assurer au pays la stabilité qui lui manque depuis si longtemps ?

Yves Pauwels (Cesr, Tours) - 2004

Bibliographie critique

J. Boillot, Nouveaux Pourtraitz et figures des Termes pour user en l’architecture..., réédition en fac-similé avec présentation critique, index et glossaire par P. Choné et G. Viard, Paris, Klincksieck, 1995.

I. Bouvrande, « Les termes zoomorphes de J. Boillot : étude sur le langage hiéroglyphique », Albertiana, 5, 2002, p. 165-187.

P. Choné, « Les Nouveaux Pourtraits et Figures de Termes de Joseph Boillot, à Langres en 1592 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon Mémoire active, 2004, p. 466-469.

P. Choné, « Faire le beau pour faire la paix : considérations sur les bêtes dressées de Joseph Boillot », K. A. E. Enenkel & P. J. Smith (ed.), Early modern zoology : the construction of animals in science, literature and the visuals arts, Leyde, Brill, 2007, p. 567-601.

E. Forssman, Säule und Ornament. Studien zur Problem des Manierismus in den nordischen Säulenbücher und Vorlageblättern des 16. und 17. Jahrhunderts, Stockholm/Uppsala, Almqvist & Wiksell, 1956.

Y. Pauwels, L’architecture au temps de la Pléiade, Paris, Monfort, 2002.

 

 

Notice

Nouveaux Pourtraitz et figures de termes pour user en l’architecture, composez et enrichiz de diversité d’animaulx représentez au vray, selon l’antipathie et contrariété naturelle de chacun d’iceulx, par Joseph Boillot, Lengrois, contrerolleur pour le Roy au magasin et grenier a sel dudict lieu. - Imprime a Lengres : par Iehan des Prey, (1592). - In-fol., 124 p. sign. *6 A-H6 I8, fig.
École nationale supérieure des Beaux-Arts, Masson 1068.
*Notes :
- 1/2 reliure moderne.
- Ex-libris manuscrit : « 1693 Camille Falconet aggr. Lugd. ».
- Donation Jean Masson à l’École des Beaux-Arts, 1925.