LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Albenas, Jean Poldo d’
Titre Discours historial de l’antique et illustre cité de Nismes...
Adresse Lyon, G. Roville, 1560
Localisation Paris, Ensba, Les 1356
Mots matière Antiquités, Nîmes
Transcription du texte

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     Le Discours historial de l’antique et illustre cité de Nismes publié par le juriste et humaniste Jean Poldo d’Albenas à Lyon en 1559 et 1560, chez Guillaume Roville (seuls quelques exemplaires paraissent en 1559), s’apparente aux nombreuses publications consacrées à l’« antiquité » d’une province ou d’un royaume, dont elles faisaient l’histoire depuis les origines jusqu’au présent le plus récent, avec pour titre Antiquité(s), ou Fleur des antiquités, Histoires ou Mémoires historiques. Poldo d’Albenas s’inscrit dans une tradition historiographique où « antiquité » (autrement dit ancienneté), humanisme et histoire entretiennent des rapports subtils et étroits. Dans le cas de Nîmes, l’« antiquité » était bien établie : la cité pouvait s’enorgueillir d’un passé prestigieux car elle avait été dotée par le pouvoir impérial romain d’un ensemble urbain tout à fait remarquable, dont subsistaient l’amphithéâtre quasi intact et bien d’autres vestiges monumentaux (Maison Carrée, Tour Magne, « temple de la Fontaine », aqueducs...). Elle avait aussi donné naissance à l’empereur Antonin. Mais Poldo se distingue des autres historiens par la place accordée à l’architecture monumentale romaine. Pour la première fois figurent en tête d’un ouvrage de ce type publié en France les plans de la cité, en l’occurrence le plan orienté de l’enceinte antique et la vue cavalière de la cité moderne, où l’on voit mis en valeur les édifices antiques de la ville dégagés de toute construction parasite, et au loin le pont du Gard. Le grand format du livre (in-folio) en assurait la parfaite lisibilité. Les quatre chapitres consacrés à la Maison Carrée (XVI), au temple dit de la Fontaine (XVII), à la Tour Magne et au pont du Gard (XVIII), ainsi qu’à l’amphithéâtre (XXII), sont accompagnés de gravures hors texte et de légendes paginées. Le Nîmois y fait preuve d’une culture architecturale tout à fait remarquable pour un antiquaire de la Renaissance : il cite Vitruve, Alberti et Philandrier. Et ce n’est pas celle d’un simple érudit de cabinet ; il a mesuré lui-même l’enceinte de sa ville natale, en a arpenté le site, étudié sur le terrain les principaux monuments. Il est aussi passionné par les ruines que son père : ce dernier, premier consul, avait préservé de nombreux vestiges en les installant à la Porte de la Couronne, réalisation saluée par un antiquaire aussi averti que l’Italien Gabriele Symeoni.
Toutefois les quatre chapitres sur les antiquités nîmoises se signalent moins par la qualité du texte que par les illustrations exceptionnelles qui l’accompagnent ; seule la Tour Magne n’est pas représentée en raison de son délabrement. Il s’agit en effet des premiers relevés d’architecture publiés en France, bien avant les traités de Bullant et De l’Orme. Cotés en pouces, pieds et toises, ces relevés présentent le plan et l’élévation du monument, ainsi que les détails des ordres (bases, chapiteaux et entablements), dont chaque moulure est représentée avec ses mesures. Cette vision archéologique et architecturale est sans équivalent dans les années 1550. Même si Poldo d’Albenas n’est pas l’auteur des dessins, elle dénote une familiarité étonnante avec les recueils d’architecture italiens, notamment avec le Codex Coner ou l’une de ses copies, que révèlent les coupes générant une élévation oblique, soigneusement cotées, comme celle du piédestal du « temple de la Fontaine » ou de l’entablement de la Maison Carrée. Serlio et après lui De l’Orme recourent à ce type de représentation, mais sans cotes. Palladio ne s’y est pas trompé, qui s’est inspiré du Discours historial pour le livre IV de son traité (I quattro libri dell’architettura), où il fait figurer les deux temples nîmois parmi les plus belles réalisations des Romains. L’architecte, qui ne s’est jamais rendu en France, consacre six planches à la Maison Carrée et cinq au temple dit de la Fontaine. Cette consécration confirme l’intérêt et la modernité des planches de l’ouvrage français que l’Italien put sans peine exploiter, quitte à les compléter.
Tous les antiquaires français et étrangers qui ont lu Poldo d’Albenas ou son relais, François de Belleforest, ont été frappés par les planches. Dans sa Cosmographie universelle Belleforest reprend le plan de la cité moderne avec ses ruines. Thomas Platter II insère dans son manuscrit le calque de ce même plan qu’il a colorié à la plume. En 1635, Nicolas-Claude Fabri de Peiresc envoya lui-même l’ouvrage à Cassiano dal Pozzo.
L’incontestable réussite éditoriale du Discours historial, pour la qualité du propos comme pour la modernité de l’illustration, n’eut pour seul précédent et équivalent en Italie que l’ouvrage de Torello Sarayna sur Vérone, avec les superbes planches de Giovanni Caroto (De origine et amplitudine civitatis Veronæ, 1540). En France l’ouvrage demeure exceptionnel. L’antiquité de Bourdeaus (1565) et L’antiquité de Saintes (1571) d’Élie Vinet, humaniste non moins cultivé et passionné que le Nîmois, ne présentent pas un pareil degré de perfection, même si le professeur du Collège de Guyenne a parfaitement compris l’importance de l’image. Poldo d’Albenas, par sa connaissance du texte de Vitruve, sa familiarité avec la théorie architecturale la plus moderne et une vision très neuve des ruines, offrait au public le témoignage le plus précoce et le plus remarquable de l’archéologie nationale.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) - 2006

Bibliographie critique

H. Baudrier, Bibliographie lyonnaise : recherches sur les imprimeurs, libraires, relieurs et fondeurs de lettres de Lyon au XVIe siècle, 9, Lyon/Paris, Brun/Picard, 1912, p. 52-53, 258.

Dictionnaire des Lettres françaises, Le XVIe siècle, Paris, Fayard, 2001, p. 42 (1ère éd. : Paris, 1951).

P. Gros, « La ‘Maison Carrée’ de Palladio », R. Chevallier (éd.), Présence de l’architecture et de l’urbanisme romains : Hommage à Paul Dufournet, Paris, Les Belles Lettres, 1983, p. 179-193.

F. Lemerle, « Jean Poldo d’Albenas (1512-1563), un antiquaire ‘studieux d’architecture’ », Bulletin monumental, 160-2, 2002, p. 163-172.

F. Lemerle, La Renaissance et les antiquités de la Gaule, Turnhout, Brepols, 2005, p. 51-81.

F. Lemerle, « La réception des antiquités nîmoises (1500-1650) », V. Krings & F. Pugnière (éd.), Nîmes et ses Antiquités. Un passé présent. XVIe-XIXe siècle, Bordeaux, Ausonius, SA 53, 2013, p. 73-88.

 

 

Notice

Discours historial de l’antique et illustre cité de Nismes, en la Gaule narbonnaise, avec les portraitz des plus antiques et insignes bastimens dudit lieu réduitz à leur vraye mesure et proportion, ensemble de l’antique et moderne ville, par Jean Poldo d’Albenas.- A Lyon : par Guillaume Roville, 1560. - Titre gravé, [10]-226 p., table [14 p.], 7 planches doubles ; signatures *6 a-c4 d2 e-k4 l2 [2 planches doubles insérées] m2 [2 planches doubles insérées] n2 o [planche double] p-r4 [2 planches doubles] s-z4 aA-iI4 ; 22,7 x 34,7 cm (reliure).
École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, Les 1356.
Berlin Katalog 1843 ; Fowler 249.
*Notes :
- Reliure signée Lortic de chagrin bordeaux avec grand cadre d’ornementation végétale estampé à froid et double filet doré d’encadrement et fleuron aux angles.
- Ex-libris de Joseph Le Soufaché collé sur la garde du plat supérieur.
- Legs de l’architecte Joseph Le Soufaché à l’École des Beaux-Arts, 1883.