LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Baldi, Bernardino
Titre Scamilli impares Vitruviani...
Adresse Augsbourg, [Prætorius], 1612
Localisation Dresde, SLUB, Lit. Rom. B. 4361, misc 2
Mots matière Vitruve, Architecture
Transcription du texte

English

Bernardino Baldi est l’une des figures les plus remarquables de la culture de la fin de la Renaissance italienne en ce que sa passion pour l’art et la littérature apparaît chez lui inséparable de celle qu’il nourrissait pour la science et la technique, l’une et l’autre s’appuyant sur une profonde connaissance des sources antiques, d’Euclide à Archimède, d’Aristote à Vitruve. Ce savant, qui maîtrisait, selon ses biographes, de douze à seize langues, parmi lesquelles, outre le grec et le latin, l’hébreu, l’arabe, le persan et le hongrois, fut un fécond polygraphe auquel on attribue l’ébauche d’une centaine d’ouvrages, dont la plupart ne furent jamais publiés, mais qui a tout de même laissé un nombre important d’études traitant des sujets les plus variés (théologie, mathématiques, géographie, histoire ancienne et moderne, architecture, etc.). Il est aussi l’auteur de poèmes didactiques sur l’artillerie, le compas de navigation et l’art nautique. Il traduisit le traité sur les Automates de Héron d’Alexandrie et prépara un commentaire sur les Quæstiones mechanicæ attribuées à Aristote qui paraîtra à titre posthume en 1621. Ces Exercitationes sui problemi mecanici revêtent en fait une importance décisive, puisqu’elles inaugurent un nouveau filon de recherche sur la mécanique appliquée à l’architecture ; on a pu dire qu’elles constituaient une anticipation des thèmes qui seront repris par Galilée (Becchi 2004).
Né le 5 juin 1553 à Urbino, dans une famille noble de la région des Marches, il s’inscrit à l’université de Padoue dès 1573, mais doit regagner sa ville natale à cause d’une épidémie de peste. C’est là qu’il suit les enseignements du célèbre mathématicien Federico Commandino, et rédige ses Vite de’ Matematici (le premier d’entre eux étant Commandino), qu’il termine en 1587, au terme de douze ans de travail. Cette œuvre, qui contient une somme d’informations sur l’histoire des mathématiques, du Moyen Age au XVIe siècle, ne sera publiée sous une forme abrégée qu’en 1707, mais nous disposons aujourd’hui d’une édition complète, due à Elio Nenci. Dans le même temps, choisi comme précepteur par Ferdinand de Gonzague, duc de Mantoue (1587-1626), qui en fit l’un des personnages les plus brillants de sa cour, il est nommé à la tête de la riche abbaye de Guastalla où il exercera la charge d’abbé pendant vingt-cinq ans avant de rentrer à Urbino. En 1612, le même duc Ferdinand le désigne comme son ambassadeur à Venise. Il meurt le 10 octobre 1617 à Urbino.
Mais si Baldi s’est intéressé à Vitruve, c’est à l’instigation de Vespasien Gonzague, duc de Sabbioneta, issu d’une branche cadette des ducs de Mantoue. Ce prince lettré, féru d’architecture et d’urbanisme, « elegantioribus huiuscemodi studiis addictissimus », comme le dit Baldi dans la préface des Scamilli impares Vitruviani,son premier ouvrage, chez lequel il séjourna en 1584, lui fit lire en effet le théoricien latin qu’il consultait lui-même d’une main diurne et nocturne, et, connaissant les compétences de son hôte en lexicographie et en mécanique, lui demanda d’expliquer la pensée du vieux maître, rendue obscure sur bien des points par la technicité terminologique du De architectura. C’est ce que nous apprend un passage célèbre de l’oraison funèbre de Baldi, prononcée par Marc’Antonio Battiferri :

quivi [Baldi] più si occupὸ negli studi di Matematica e di Architettura, venendo anche richiesto a leggere, e spiegare i passi più difficili di Vitruvio all’Eccellentissimo Sig. Vespasiano Gonzaga Duca di Sabioneta, che li diede occasione di far poi quelle bella, e util Fatica sopra Vitruvio.

Et c’est ce que confirme Ireneo Affò dans sa biographie de Baldi (1783, p. 45).
On ne s’étonnera pas dans ces conditions que Baldi se soit d’emblée attaqué à la notice réputée la plus difficile à comprendre de tout le traité latin, en l’absence du dessin explicatif annoncé dans le texte mais perdu comme presque tous les autres, qui avait déjà donné lieu avant lui à de très nombreuses interprétations, celle qui expose en peu de mots le mode de compensation de l’apparente concavité du stylobate des temples en III, 4, 5 et en V, 9,4. Sous le titre Scamilli impares Vitruviani, il publia en 1612 un petit livredédiéà Marco Velsero de 53 pages in-4°, où il s’emploie à rectifier ou à réfuter, comme l’indique clairement le titre (nova ratione explicati, refutatis priorum interpretum Guglielmi Philandri, Danielis Barbari, Baptistæ Bertani sententiis) qui sonne comme un défi, les interprétations proposées avant lui par Philandrier, Barbaro, Bertani et d’autres, et où il évoque également l’hypothèse de Palladio. Il semble d’abord se rallier au modèle interprétatif prédominant qui voyait dans les scamilli des panneaux verticaux appliqués sur le tronc des piédestaux des colonnes, rompant ainsi l’uniformité visuelle du podium. Mais ensuite, notant l’absence de ce genre de solution dans les monuments antiques, il émet l’idée (p. 17-22), riche d’avenir, que les scamilli seraient de petites assises placées entre le stylobate et la base de la colonne, dont l’insertion permettrait à l’observateur placé au bas du podium de voir les plinthes des colonnes malgré la saillie du stylobate. Il avait en fait compris que ce problème d’optique engageait une réflexion sur la vision en perspective et nécessitait le recours à des figures géométriques dont il avait acquis par sa formation antérieure une parfaite maîtrise.
La même année il publia son grand ouvrage, connu dans la bibliographie vitruvienne comme le Lexicon sous le titre De verborum Vitruvianorum significatione.

Pierre Gros (Paris, Institut de France) – 2023

I. Affò, Vita di monsignore Bernardino Baldi da Urbino, Abate di Guastalla, Parma, Carmignani, 1783.

AA. VV., Séminaire d’étude sur l’Urbinate Bernardino Baldi (1553-1617), a cura di Giacomo Cerboni Baiardi, Urbino, Academia Raffaello, 2006.

A. Becchi, Leonardo, Galileo e il caso Baldi: Magonza, 26 marzo 1621, Venezia, Marsilio, 2004.

M. Biffi, « Sul lessico architettonico : Alcuni casi controversi di derivazione vitruviana », Studi di lessicografia italiana, XVI, 1999, p. 31-161 (sur les scamilli, p. 105-123).

G. Ferraro, « Le matematiche, l’architettura », in F. P. Di Teodoro (a cura di), Saggi di letteratura architettonica da Vitruvio a Winckelmann, 1, Firenze, Olschki, 2009, p. 207-220.

P. Gros, Vitruve. De l’architecture, livre III, Paris, Les Belles Lettres, 1990, p. 139-145.

F. Lemerle, Les Annotationes de Guillaume Philandrier sur le De Architectura de Vitruve. Livres I à IV, Paris, Picard, 2000, p. 166-167.

E. Nenci (éd.), Bernardino Baldi. Le Vite de’ Matematici, Milano, Angeli, 1998.

W. Oechslin, « Bernardino Baldi », in W. Oechslin, T. Büchi, M. Pozsgai (éd.), Architekturtheorie im deutschsprachigen Kulturraum 1486-1648, Einsiedeln, Bibliothek Werner Oechslin, 2018, Bâle, Colmena, p. 503-508.

A. Serrai, Bernardino Baldi. La vita, le opere. La biblioteca, Milano, Bonnard, 2001.

A. Siekiera, Anna, « L’ingéniosité et la manière de Bernardino Baldi », in F. P. Di Teodoro (a cura di), Saggi di letteratura architettonica da Vitruvio a Winkelmann, 1, Firenze, Olschki, 2009, p. 299-312.

L. Vagnetti (a cura di), 2000 anni di Vitruvio (Studi e documenti di architettura 8), Firenze, Edizione della Cattedra di Composizione Architettonica, 1978, p. 89-90.

V. Zoubov, « Vitruve et ses commentateurs , La science au XVIe siècle, Paris, Hermann, 1960, p. 69-90.