LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Auteur(s) |
Vitruve
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Titre |
De architectura libri decem |
Adresse |
Venise, S. Bevilacqua, 1497 |
Localisation |
Einsindeln, W. Oechslin Bibliothek, app. 872 |
Mots matière |
Architecture |
English
L’édition vénitienne de 1497 diffère peu des deux précédentes. Dans l’ignorance où nous sommes de son auteur, diverses hypothèses ont été émises, dont celle de Francesco Pellati (1932, p. 123 sq.) qui croit y voir la main de Fra Giocondo, affirmation tout aussi indémontrable que celles qui proposent les noms de Vittor Pisano ou Giorgio Valla. Le lieu de l’impression, le nom de l’imprimeur et la date sont en revanche clairement énoncés à la fin du volume : Venise, Simone Bevilacqua de Pavie, 3 août 1497.
Les modifications formelles par rapport à l’édition florentine de l’année précédente sont les suivantes : le nombre des chapitres du livre I n’est pas le même (6 au lieu de 11) ; il est assez fréquent, cette fois, que les termes grecs soient conservés et non translittérés, même si les épigrammes du livre VIII ne sont toujours pas transcrites ; enfin deux figures nouvelles apparaissent, l’une à la fin du premier chapitre de I (exactement en I, 1, 16), qui s’efforce de donner une idée des concordances entre les éléments astrologiques et les accords musicaux (quadratures, trigones, quartes et quintes) et l’autre qui se substitue, à la fin du premier chapitre de IX (en réalité IX, praef. 5), à celle de la précédente édition, en présentant, non sans maladresse, le mode de construction des triangles égaux de cinquante pieds de surface selon la méthode platonicienne. La figure de IX, praef. 8, déjà présente dans le Vitruve de 1496, est de plus inutilement compliquée. L’impression qui se dégage de ces graphiques est que leur auteur a un peu présumé de ses compétences en géométrie. Du point de vue du texte, quelques rares lacunes encore présentes dans l’édition florentine sont comblées, comme en III, 5, 2, où l’éditeur ajoute, après « superior torus » : « quartae, reliquae tres aequaliter dividantur et una sit inferior torus », comme l’imposent les manuscrits. Lucia Ciapponi a également signalé plusieurs conjectures, dont certaines assez heureuses, comme immania (pondera) en II, 9, 10, au lieu de inania qui rendait la phrase incompréhensible. Il est donc indéniable que, comme la deuxième édition, celle-ci ne se contente pas de reproduire servilement l’édition princeps ; des amendements se font jour lentement dans la transcription, et par voie de conséquence dans l’intelligence du texte. Il reste que l’absence de toute perspective pédagogique ou opératoire laisse subsister de nombreuses obscurités, dont la plupart seront levées grâce au travail de Fra Giocondo.
Identifié par Vladimir Juren comme ayant appartenu à Guillaume Budé, l’exemplaire de la Bibliothèque nationale de France présente un intérêt éminent, puisqu’il comporte de nombreuses annotations marginales ou interlinéaires ainsi que des croquis autographes du grand humaniste, dont le même savant a pu établir qu’ils avaient été réalisés sur les conseils et à partir des éclaircissements apportés par Fra Giocondo pendant le séjour de celui-ci à Paris, c’est-à-dire au cours des toutes premières années du XVIe siècle. On admettait auparavant que l’éloge appuyé que Budé faisait de Giocondo dans ses Annotationes in libros Pandectarum (fol. 85r°), le présentant comme un très grand spécialiste de l’Antiquité (« hominem antiquitatis peritissimum »), et le meilleur interprète de Vitruve, non seulement grâce à ses lectures mais aussi au moyen de ses dessins (« graphice quoque, non modo verbis »), relevait de la rhétorique, même si L. Ciapponi, dans sa thèse milanaise de 1959, avait déjà relevé en termes généraux la dépendance du premier par rapport au second. La démonstration imparable de V. Juren a montré qu’il s’agissait tout simplement pour Budé de reconnaître la dette qu’il avait contractée à l’égard du moine véronais lors des fécondes conversations qu’il avait eues à Paris avec celui qu’il appelle son excellent maître (« praeceptorem eximium »). Mais là ne se limite pas l’apport scientifique et historique de cet exemplaire, puisqu’il permet aussi d’entrevoir indirectement l’état d’avancement de la réflexion de Giocondo sur le De architectura, à un peu moins de dix ans de sa publication de 1511. D’autre part, contemporains de la reconstruction du Pont Notre-Dame qui s’était écroulé en 1499, les notes et dessins de Budé gardent sans doute le souvenir de certaines des machines mises en œuvre à cette occasion, et à l’élaboration desquelles Giocondo ne fut pas étranger ; on lit en effet à la fin du livre V (V, 12, 5), en marge d’un texte corrigé selon les conjectures de ce dernier, une description des machines destinées à soulever l’eau (cochlea, tympanum) assortie d’un dessin qui semble préfigurer les xylographies qui illustreront le passage dans l’édition de 1511, avec de surcroît, au bas de la même page, cette notation : « Rotae aquariae sunt illae quibus usi sunt in ponte parisiensi ad exhauriendum aquam quae equis rotabantur ».
Les conjectures et amendements dus à Giocondo qui figurent dans le texte ou dans ses marges, et dont V. Juren a dressé une liste, sont nombreux. Mentionnons seulement en I, 5, 3, taleae pour tabulae, avec un dessin qui évoque sommairement celui du Vitruvius de 1511 (fol. 7v°) ; en III, 2, 6, Hypethros (au lieu de Hypaethros) pour Hypteros, avec diverses esquisses, dont un plan du temple pseudodiptère assez mal conçu, mais une base attique correcte ; en III, 4, 5, lysis pour laesis, et, à peine lisible aujourd’hui, scamillos pour scabellos, avec, en bas à droite, un croquis maladroit mais efficace du temple à podium pourvu de son escalier de façade ; en III, 3, 12, un dessin placé transversalement par rapport au texte, qui présente sous une forme assez soignée une colonne corinthienne montée sur un piédestal quadrangulaire défini comme le stylobate, de la même façon qu’au folio 28r° ; en IV, 2, 1, l’illustration du difficile passage sur les charpentes de comble cité dans les Pandectes, qui annonce, avec les noms des composantes du dispositif, les xylographies du folio 35v°, etc. Parfois l’interprétation graphique de Budé se distingue de celle que donnera plus tard Giocondo, comme par exemple en III, 5, 3, où le mot astragalus conduit l’érudit français à placer dans sa base ionique un astragale au sens propre, avec ses perles et pirouettes, à la différence de ce qu’on observera folio 29r° ; mais il arrive aussi, rarement à vrai dire, que Budé comprenne mieux le texte de l’incunable que le savant moine : ainsi en V, 1, 6, il propose pour la basilique de Fano une colonnade interne, ce qui correspond à la description vitruvienne, alors qu’elle apparaîtra pourvue, d’une façon aberrante, fol. 46v°, d’une péristasis extérieure.
C’est aussi, selon toute apparence, sur le conseil de Giocondo que Budé supprime au livre VII, en les barrant, les interpolations qui alourdissent le chapitre 6 sur les marbres, et qui proviennent d’une inversion de l’ordre des folios ; l’édition de 1511, suivie par la plupart des éditeurs postérieurs, fera de même.
Notons enfin que si les commentaires marginaux ne sont pas toujours faciles à déchiffrer, on y retrouve en filigrane certains des aspects les plus caractéristiques de la méthode qu’utilisera Giocondo pour la préparation de sa propre édition. Significatives à cet égard sont les références à de nombreux auteurs latins, pour éclairer tel ou tel terme technique (Caton, Varron, César, Tite-Live, Columelle) ou à certains modernes (Leon Battista Alberti, Giovan Battista Pio, entre autres).
Pierre Gros (Aix-en-Provence, IUF/ Institut de France) – 2012
Bibliographie critique
L. A. Ciapponi, « Fra Giocondo da Verona and his edition of Vitruvius », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 47, 1984, p. 88 et appendix IB.
L. A. Ciapponi, « Agli inizi dell’umanesimo francese : Fra Giocondo e Guglielmo Budé », Forme e Vicende. Per Giovanni Pozzi (Medioevo e Umanesimo, 72), Padoue, Antenore, 1989, p. 101-117.
V. Juren, « Fra Giovanni Giocondo et le début des études vitruviennes en France », Rinascimento, sér. 2a, 14, 1974, p. 102-116.
F. Pellati, « Vitruvio nel Medioevo e nel Rinascimento », Bollettino del reale istituto di architettura e di storia dell’arte, 5, 1932.
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