LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Auteur(s) |
[Van Schille, Hans] |
Titre |
Maniere, reigle, moyen et façon de bien bastir |
Adresse |
Anvers, G. de Jode, 1573 |
Localisation |
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Mots matière |
Fortifications |
Consultation de l’ouvrage
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Transcription du texte
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English
Cette étrange œuvre de Hans Van Schille est le premier livre consacré à l’architecture militaire imprimé aux Pays-Bas. Il fut publié pour la première fois à Anvers en 1573, et devance ainsi l’Architecture de guerre d’Aurelio de Pasino (Anvers, 1579) et le Sterctenbouwing de Simon Stevin (Leyde, 1594). Mais, contrairement à ces deux derniers traités, il s’agit d’un ouvrage à vrai dire modeste, simplement constitué d’une page de titre suivie de quatorze planches sans le moindre texte.
Le livre de Van Schille fut publié en 1573 par Gérard de Jode (1509-1591) simultanément en français et en allemand. De Jode en fit un retirage en 1578 et 1580. Il y eut par la suite une réédition par Théodore Galle (1571-1633). Le tirage de 1580 est celui dont on a conservé le plus d’exemplaires. Les autres éditions sont aujourd’hui très rares : on n’en connaît que deux ou trois exemplaires pour chacune.
On connaît au moins six éditions, avec pour seule différence le texte de la page de titre. Les quatorze planches sont toujours identiques, quoique l’ordre dans lequel elles apparaissent varie de l’une à l’autre. En réalité, il semble qu’il n’y ait jamais eu d’ordre déterminé, et que les gravures aient été reliées ensemble de façon un peu aléatoire pour chaque exemplaire. Ce n’est que dans la dernière édition (posthume) donnée par Galle qu’elles ont été numérotées, sans que du reste la numérotation obéisse à une logique particulière.
Comme le seul texte de ce « traité » est celui de la page de titre, il paraît utile d’en distinguer brièvement les différentes versions. La première édition présente un très long titre en français (Maniere, reigle, moyen et façon de bien bastir, edifier, fortifier et munir chasteaux, forteresses, villes et autres places. Pour defendre et offendre, empescher et enfermer, contre tous invasions et expeditions militaires... A l’instruction et utilité des amateurs d’architecture) suivi par la marque de l’imprimeur (« Antverpiae apud Gerardum de Iode. 1573 »). Toutefois, le nom de l’auteur n’est pas mentionné : le cartouche en bas de la page de titre est vide. La seconde édition (1573b) présente la même page de titre mais avec le titre en allemand (Form und weis zu bauwen...). La troisième édition (1573c) est une variante de cette dernière : le titre présente quelques changements mineurs mais surtout le nom de l’auteur est gravé dans le cartouche au bas de la page (Mr Hans van Schille Ingenieur et geographe inventor). L’édition de 1578 est quasi semblable. L’édition de 1580 quant à elle présente une page de titre différente : le titre français ou allemand imprimé avec des caractères typographiques est désormais remplacé par un titre bilingue gravé (FORM und weis zu bauwen.../MANIERE, de bien bastir...). L’ultime édition publiée sans date par Galle reprend la même page de titre mais avec sa propre adresse.
Le contenu du livre de Van Schille est moins universel que son titre veut le laisser entendre. En dépit des légères variantes qui apparaissent d’une édition à l’autre, ce titre peut être donné comme suit : Maniere, reigle, moyen & façon de bien bastir, edifier, fortifier & munir chasteaux, forteresses, villes et autres places, pour defendre et offendre, empescher et enfermer, contre tous invasions et expeditions militaires ; En differens & diverses manieres, selon la forme & usance de nostre temps, de quelque matiere qu’on veult, Soit de terre, bois, briques, pierres taillez ou de rochers naifves tout selon la situation & assiette des Provinces, A l’instruction & utilité des amateurs d’architecture. Ce long titre est présenté dans un imposant édicule all’antica avec des colonnes ioniques, tandis que le nom de l’auteur, quand il apparaît, est inscrit sur le socle à l’intérieur d’un cartouche orné de cuirs. Le dessin en est attribué à l’artiste anversois Gerard van Groeningen ; il a été gravé par les frères Joannes et Lucas van Doetecum, à qui l’on doit aussi les quatorze cuivres qui suivent.
Ces gravures sont toutes des variations sur un même thème. Chacune d’entre elles représente une forteresse régulière, avec des fortifications bastionnées modernes. Aucune d’entre elle ne peut être mise en rapport avec une place existant en réalité : il s’agit dans tous les cas de forteresses imaginaires. Le propos de leur « inventeur » est clairement de faire la démonstration du nouveau système de fortification. Tous les plans se fondent sur des polygones réguliers : deux carrés, deux pentagones, deux hexagones, deux heptagones, un octogone et un polygone à onze côtés. Dans deux exemples, l’enceinte bastionnée régulière est combinée à une forteresse secondaire : l’une des enceintes heptagonales renferme un fort carré, et le périmètre à onze côtés est attaché à une citadelle pentagonale. Il n’y a pas seulement des variations sur la disposition d’ensemble, mais aussi sur leurs éléments constitutifs : Van Schille propose plusieurs types de bastions, de remparts, d’ouvrages avancés, de structures viaires, et ainsi de suite. Ces paramètres peuvent en effet être modifiés et réarrangés en innombrables combinaisons, et, de ce point de vue, le livre dans son ensemble peut apparaître comme un exercice d’art combinatoire. Mieux, cette approche détermine non seulement la mise en œuvre de l’ensemble, mais aussi le dessin de ses éléments constitutifs, lesquels sont à leur tour des combinaisons d’éléments plus petits, eux-mêmes variables. Les bastions, par exemple, évoluent de simples plates-formes pentagonales à des constructions complexes, de tailles et de formes différentes, avec ou sans orillons (ronds ou carrés), avec ou sans cavaliers (ronds ou carrés), et ainsi de suite. De sorte que chaque forteresse présente un nouveau type de bastions, bien que chaque exemple obéisse au même principe général, celui du flanquement réciproque (comme il appert des lignes de tir dessinées sur chaque plan). De la même manière, les structures des voies explorent différentes possibilités : la place centrale peut être ronde ou polygonale ; il peut y avoir des rues qui conduisent aux portes, ou ne pas y en avoir… De cette façon, chaque place-forte est dotée d’un système de rues particulier, mais toutes suivent le même principe général : le dispositif est rayonnant plutôt qu’orthogonal, avec les rues principales conduisant d’une place d’armes centrale aux bastions.
Très remarquable aussi est le mode de représentation de ces planches : les places-fortes sont représentées en perspective axonométrique. Ce mode de représentation offre un avantage crucial par rapport à la perspective linéaire, dans la mesure où les plans au sol – qui sont d’une importance capitale dans l’art de fortifier – ne sont pas déformés. Par conséquent, il est plus facile de juger des potentialités défensives et offensives de chacun des plans en termes d’emplacements d’artillerie, d’axes de tir, d’angles morts, etc. Cela donne aussi la possibilité de prendre des mesures précises à partir de ces plans ; c’est pour cette raison que chaque planche possède une ligne d’échelle accompagnée d’explications sur l’unité de longueur utilisée. On notera que ces inscriptions sont toutes en flamand, bien que les pages de titre soient en français et en allemand (par exemple : « Dese linie is 100 passen; Van dese linien 10 maecken eenen passe van 3 voet »). Néanmoins, certaines de ces indications renvoient explicitement à des unités de mesure italiennes (« Dese Linie is 100 lanck na de mate van Rome; Dese Linie is 100 Trabuchi »), ce qui trahit l’origine italienne de ces plans ; nous y reviendrons. Il est remarquable que cette publication, quoique modeste et ne contenant pour ainsi dire aucun texte, parvienne à utiliser cinq langues (italien, flamand, français, allemand, latin). D’un certain point de vue, cette approche polyglotte est symptomatique du fait que l’architecture militaire était à cette époque une affaire internationale.
On ne sait pas grand-chose ni sur l’auteur, ni sur l’audience recueillie par son livre, qui ne comporte pas de dédicace, ambitionnant simplement de se dédier « à l’instruction et utilité des amateurs d’architecture ». Par ailleurs, l’auteur se qualifie lui-même d’« ingenieur et geographe inventor », sans revendiquer le titre d’architecte. Hans van Schille fut sans aucun doute une figure importante dans le milieu artistique des Pays-Bas au XVIe siècle, mais sa vie et son œuvre ne sont que pauvrement documentées, et n’ont pas reçu une grande attention de la part des chercheurs. Son prénom est probablement Johannes, qui peut être abrégé sous les formes Hans ou Jan (Jean). Il est connu sous les noms latins de « Ioannes a Schilde » (sur les cartes de de Jode) ou « Ioannes Scillius » (dans l’Itinerarium d’Ortelius). Dans d’autres documents, par exemples les comptes de la ville d’Anvers, il est souvent nommé « Jan Van Scilde » ou « Jan Van Schille », alors que visiblement lui-même préférait la forme « Hans Van Schille », sur le frontispice de son traité ou dans l’Album amicorum de Vivianus. Certains chercheurs l’ont nommé « Jean Schilde », mais la forme la plus courante est « Hans Van Schille ». Il n’est pas douteux que toutes ces dénominations concernent la même personne. Il faut ajouter, toutefois, que les sources mentionnent aussi un certain « maître Hans », qui travailla comme ingénieur sur les fortifications d’Anvers autour de 1580, parmi d’autres au service d’Alexandre Farnèse ; mais ce « maître Hans » était probablement une autre personne, peut-être l’ingénieur Hans Snoeck.
Hans van Schille naquit probablement entre 1510 et 1515. Il reçut une formation de peintre dans l’atelier d’un artiste anversois, et il fut admis à la Guilde de Saint Luc en 1532. L’année suivante, il reçut le titre de maître, et peu de temps après il commença à former lui-même des apprentis. On ne sait pratiquement rien de sa carrière dans les trente années qui suivirent ; il ne fait pas de doute pourtant qu’il devint un membre distingué de la Guilde, car en 1561, il joua un rôle important à l’occasion du fameux festival de théâtre connu à Anvers sous le nom de Landjuweel, y apparaissant comme le messager des Violieren, la chambre de rhétorique anversoise, branche littéraire de la Guilde de Saint Luc, qui accueillit le Landjuweel en 1561. L’une de ses missions honorifiques était de chevaucher dans tout le Brabant pour inviter les autres chambres de rhétorique au festival ; et c’est dans le cadre de cette fonction que fut réalisé un précieux portrait de Van Schille, dessin à la plume attribué à Frans Floris (conservé à la bibliothèque royale de Bruxelles). Le même document le décrit comme une « personne qualifiée », pouvant se prévaloir de « longs états de service pour la Guilde ». En 1567, Van Schille, en compagnie de trois éditeurs parmi lesquels Gillis Coppens van Diest, l’éditeur des traités d’architecture de Pieter Coecke, fut accusé d’avoir imprimé des représentations hérétiques de l’Inquisition espagnole ; mais il ne semble pas qu’il ait été condamné. Il n’y a aucune information sur ses activités dans les années qui suivirent, et, par conséquent, nous n’avons aucune idée de la façon dont il fut amené à publier son livre sur l’architecture militaire en 1573. Le fait qu’il se qualifie lui-même sur la page de titre d’ingénieur et géographe laisse penser qu’il a eu une expérience conséquente dans ces deux domaines durant cette période. Aucune activité réelle dans le domaine de l’ingénierie n’est attestée avant 1577, mais nous savons qu’il travaillait alors réellement comme cartographe.
En avril 1573 Van Schille fut invité par le duc Charles III de Lorraine à dresser la carte du duché. Il fit des travaux d’arpentage en Lorraine pendant les mois suivants, et demeura impliqué dans le projet pendant deux ans encore. Il est possible que cette connaissance de la Lorraine ait donné à Van Schille l’occasion d’accompagner le cartographe Abraham Ortelius et l’antiquaire Johannes Vivianus pendant leur fameux voyage « archéologique » d’Anvers à Francfort, en passant par le Brabant, Liège, le Luxembourg et la Lorraine pour visiter et réunir des informations sur les monuments antiques. Ortelius et Vivianius publièrent plus tard un compte-rendu de ce voyage sous la forme de lettre dédiée à Gerardus Mercator, sous le titre Itinerarium per nonnullas Galliae Belgicae partes, publiées chez Plantin à Anvers en 1584. Il y a d’autres preuves des liens étroits entretenus par Van Schille avec Ortelius et Vivianus. Quelques années auparavant, il avait acheté par l’intermédiaire d’Ortelius des cartes du graveur anglais Nicholas Reynolds (Nicolaus Reinoldus). Et l’Album amicorum de Vivianus (conservé à la bibliothèque royale à La Haye) contient une dédicace par Van Schille datée du 17 juillet 1577, accompagnée d’un remarquable dessin à la plume – le seul dessin de Van Schille qui soit connu à ce jour. Il la signa, encore une fois, en se qualifiant d’« ingénieur et géographe » (« ingenieur en geographe »), et le dessin lui-même paraît faire référence à ces deux activités, montrant un probable autoportrait sous la forme d’un buste surmontant un globe terrestre, comme flottant au-dessus de la cité d’Anvers, avec sa citadelle au premier plan. Mais apparemment, l’œuvre cartographique de Van Schille ne se limite pas à la Lorraine. En 1578 Gerard de Jode publia une carte de la principauté de Liège, et une autre de l’archevêché de Trèves, toutes deux signées par Van Schille et gravées par Joannes van Doetecum. Elles furent rééditées en 1593 par Cornelis de Jode, fils de Gerard, dans son Speculum orbis terræ.
La seule activité attestée de Van Schille en tant qu’ingénieur concerne les fortifications d’Anvers, et plus particulièrement la transformation de la citadelle pendant l’été 1577. Le 3 novembre 1576, en tant qu’ « ingénieur du Roi et des États », il prit part, de concert avec l’ingénieur Abraham Andriessens et l’architecte de la ville Peter Frans, à un conseil de guerre dirigé par le gouverneur d’Anvers, Frédéric Perrenot de Granvelle, seigneur de Champagney ; il s’agissait de discuter de la défense de la cité contre les attaques de la garnison espagnole qui tenait la citadelle. Mais dès le lendemain, les soldats mutinés mirent brutalement la ville à sac dans ce qui fut depuis connu sous le nom de « furie espagnole ». En conséquence de cet événement désastreux, les troupes espagnoles furent retirées du pays quelques mois plus tard. Une autre conséquence fut que les Anversois décidèrent de démanteler la citadelle. En avril 1577, les États généraux prolongèrent les appointements de Van Schille, et à partir de ce moment, il joua un rôle central dans les travaux d’ingénierie à Anvers. Au début d’août 1577, les derniers soldats étrangers furent chassés de la citadelle, et les travaux de démolition commencèrent presque aussitôt. Les deux bastions qui faisaient face à la ville furent démantelés, et le reste de la citadelle incorporé au système de fortification de la ville. Les archives municipales d’Anvers attestent l’implication directe de Van Schille dans ces travaux d’août 1577, en collaboration avec d’autres ingénieurs et maîtres d’œuvre, parmi lesquelles on compte Abraham Andriessen, Peter Frans, Lieven van Paesschen, Dierick van Mol et Hans Vredeman de Vries. Les mêmes documents montrent qu’en réalité, Van Schille était le principal ingénieur en charge des travaux, et que les autres experts, dont Vredeman de Vries, étaient ses assistants. Davantage, le 8 septembre 1577, le conseil de la ville d’Anvers le promut explicitement « surintendant et ingénieur en chef » (« superintendant ende opperingeniaire ») des fortifications d’Anvers, avec un salaire de trois florins par jour.
La collaboration de Van Schille avec Vredeman de Vries est particulièrement intéressante. On conserve aux archives municipales d’Anvers un dessin très connu relatif aux travaux d’ingénierie mentionnés ci-dessus, signé par Vredeman de Vries et daté de 1577. C’est une perspective très soignée montrant six projets alternatifs pour le démantèlement de la citadelle, plus précisément pour les défenses le long de l’Escaut. Puisque Van Schille était l’ingénieur en chef, tandis que Vredeman n’était que son assistant (adjoinct), on peut présumer que ce dernier n’était que le dessinateur, et que ce dessin montre des projets conçus par Van Schille. Il y a quelques autres dessins anonymes datant de la même période, pour des ouvrages similaires à la citadelle d’Anvers, et bien qu’il n’y ait pas de preuves, il n’est pas impossible que certains d’entre eux aient été dessinés par Van Schille, ou montrent certains de ses projets.
En cette même année 1577, la relation entre les deux artistes a été aussi soulignée par la publication à Anvers du traité d’architecture de Vredeman, l’Architectura, qui peut être considérée comme l’équivalent civil du traité plus ancien de Van Schille sur l’architecture militaire. Les deux ouvrages sont publiés par le même éditeur, Gerard de Jode, et leurs cuivres gravés par les mêmes artistes, les frères Van Doetecum. Et, de même que le livre de Van Schille, l’Architectura était destinée à une audience internationale, et parut simultanément en allemand, français et néerlandais. Le traité de Vredeman fait deux fois allusion à Van Schille. Dans le chapitre « Tuschana », Vredeman explique que l’ordre toscan est le plus convenable pour « toutes sortes & formes des citadelles, forteresses, bastillons, bouleverts, tuitions, voire pour bastir des chasteaux », puis il ajoute qu’il n’est pas nécessaire de dire plus sur le sujet « pource que de cela est composé un livre a part ». Il n’en dit pas plus dans les versions allemandes et néerlandaises, mais l’édition française affirme que ce livre est « faict par M. Iean van Schille Ingeniaire & Geographe du Roy & des Estats ». Une autre référence est faite dans la dédicace de l’Architectura au comte Pierre-Ernest de Mansfeld : dans la version allemande, Gerard de Jode écrit que la dédicace au comte a été faite sur la suggestion de l’ « éminent maître Hans Schille, ingénieur et géographe de sa Majesté royale (« der fhurnehmste Mayster Hanss Schille Ingenieur undt Geographus Con. Ma.teyt »), qui avait fait l’éloge de Mansfeld pour son amour de l’architecture et ses compétences en la matière. Nous savons de fait que Van Schille devait avoir une bonne idée de l’intérêt que Mansfeld portait à l’architecture, car deux ans plus tôt, en 1575, il avait visité avec Ortelius et Vivianus la splendide résidence de « La Fontaine » à Clausen, non loin de Luxembourg, et y avait admiré sa collection d’antiquités et autres œuvres d’art. On se sait rien des activités de Van Schille après 1577, si ce n’est que son livre fut réédité en 1578 et 1580. Il mourut à Anvers en avril 1586. Pour résumer, Van Schille, bien qu’il eût reçu une formation de peintre, travailla surtout en tant que cartographe et ingénieur, et c’est ainsi qu’en fait il se qualifiait lui-même. Certains chercheurs ont émis l’hypothèse qu’il était aussi architecte, ou graveur, mais rien ne peut l’attester.
Les planches de son ouvrage présentent une forte ressemblance avec l’œuvre bien connue de Francesco De Marchi (1504-1576). Certains ont même décrit les livres de Van Schille comme de simples plagiat, et non sans raisons. Bien que le fameux traité de De Marchi, Della architettura militare (Brescia, 1599), n’ait été publié que vingt-six ans après celui de l’Anversois, il est évident que les planches de ce dernier s’inspirent de celles de l’Italien. Au moins sept de ses forteresses reprennent clairement des dessins de De Marchi, et trois autres, quoique n’étant pas des copies fidèles, présentent un grand nombre d’évidentes similitudes. Les quatre planches restantes sont plus originales, et peuvent être de l’invention de Van Schille, à moins qu’elles ne copient des plans de De Marchi que nous ne connaissons pas. D’un autre côté, il faut souligner qu’il existe des différences significatives. L’Italien représente toujours ses fortifications en plan, quand l’Anversois dessine toujours ses fortifications en perspective. Il est vrai que parfois De Marchi offre en complément du plan une vue de profil, et que d’autres fois il représente à l’intérieur des enceintes le tissu urbain en perspective ; mais jamais il ne donne de l’ensemble une vue perspective cohérente. De fait, les dessins de Van Schille peuvent être totalement dépourvus d’originalité, mais au moins a-t-il fait l’effort de transposer les plans de l’Italien dans un mode de représentation beaucoup plus convaincant, avec la vue de l’ensemble de la forteresse dans son environnement : ceci justifie, dans une certaine mesure, qu’il puisse se proclamer l’inventor de ces planches.
De Marchi a lui-même déjà dénoncé cette forme de plagiat dans l’introduction de son traité, bien qu’il n’ait pas explicitement nommé Van Schille (« alcuni hanna defraudato à me alcuni miei disegni, con diminuire, e aggiungere d’ogni poca cosa, e d’essi si sono fatti Cavallieri d’esser stato loro gli inventori ». Luigi Marini, responsable de la très belle réédition du Della architettura militare en 1810, relaya cette plainte en dénonçant ouvertement Van Schille comme l’auteur d’un acte de piratage, et lui déniant tout mérite. Le sévère jugement de Marini fut nuancé plus tard par Henri-Emmanuel Wauwermans (1825-1902), officier et historien des fortifications belge, lequel, dans ses ouvrages très patriotiques mais aujourd’hui tout à fait dépassés, tentait de démontrer l’existence d’une école « flamande » d’architecture militaire et présentait Van Schille comme l’un de ses plus éminents représentants.
On ignore la façon exacte dont Van Schille eut accès aux illustrations inédites de De Marchi, mais on peut avancer une hypothèse raisonnable. De Marchi résida dans les Pays-Bas entre 1559 et 1567 à la cour de la gouvernante Marguerite de Parme, et, bien qu’il n’ait jamais concrètement travaillé à des chantiers réels, il y a consacré la majeure partie de son temps à l’étude de l’architecture militaire. La composition de son ambitieux traité était déjà bien avancée à cette époque, et, à plusieurs reprises, il a engagé des graveurs pour transformer ses dessins de fortifications en plaques de cuivre. Certains chercheurs ont émis l’hypothèse qu’il aurait demandé à Van Schille d’en graver certains : mais cette hypothèse, souvent reprise dans la littérature critique, n’est qu’un produit de l’imagination partisane de Wauwermans, et, faute de preuves, elle doit être écartée. Il n’y a pas de témoignage d’un lien direct entre les deux hommes, et il semble plus probable que les plans de l’Italien soient venus en possession de Van Schille par l’intermédiaire de l’agence de l’un des imprimeurs anversois impliqué dans le projet.
Quelques documents montrent qu’entre 1566 et 1567 De Marchi avait fait graver un grand nombre de planches de cuivre à Anvers, et que plusieurs imprimeurs étaient concernés. En 1566, le graveur et cartographe Cornelis de Hooghe fut payé pour avoir réalisé pour l’Italien pas moins de 166 plans de fortifications. En même temps, la lecture des épreuves fut confiée à Giovan Battista Guicciardini (le frère de Lodovico Guicciardini, auteur de la Descrittione di tutti i Paesi Bassi). Quelques mois plus tard, De Hooghe apparemment abandonna le projet, vola un lot d’épreuves des plans de De Marchi et s’enfuit à Londres. De Marchi s’adressa alors à deux autres graveurs qui travaillaient pour la célèbre maison d’édition de Hieronymus Cock. Ce dernier fut payé en novembre 1567 pour la livraison de huit cuivres, comprenant cinq plans de fortifications et trois autres illustrations destinées au traité de l’Italien : les armes de Philippe II, un portrait de De Marchi lui-même et une figure féminine allégorique. Ces trois illustrations peuvent être identifiées avec des estampes existant toujours, conservées à la Biblioteca Nacional à Madrid. Le portrait de De Marchi est signé par le graveur anversois Pieter van der Heyden, qui travaillait effectivement pour Cock.
Mais au moment même où les planches de De Marchi étaient gravées à Anvers commençait la révolte contre Philippe II, et l’arrivée dans les Pays-Bas du duc d’Albe empêcha l’achèvement du projet de publication. De Marchi retourna en Italie en même temps que Marguerite de Parme, en décembre 1567, emportant avec lui toutes ses planches. Mais l’on peut affirmer avec assez de certitude qu’une partie de son matériel resta à Anvers : les planches que l’on disait volées par De Hooghe, peut-être, ou encore d’autres épreuves ou dessins préparatoires qui avaient dû circuler dans le milieu des imprimeurs anversois, et qui ont pu aboutir entre les mains de Van Schille.
Pieter Martens (KU Leuven – Université catholique de Louvain) – 2015
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