
LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Mauclerc, Julien
Boyvin, René |
Titre |
Le premier livre d’architecture... |
Adresse |
La Rochelle, J. Haultin, 1600 |
Localisation |
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Mots matière |
Ordres |
Consultation de l’ouvrage
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English
Le premier
livre d’architecture avait fait l’objet en 1599 d’une
« édition à l’essai » sans nom ni lieu
mais attribuable à l’imprimeur rochelais Jérôme
Haultin, dont un seul exemplaire est aujourd’hui connu. L’édition
de 1600 est presque aussi rare car il n’en reste que deux exemplaires,
l’un conservé à la British Library à Londres
(61.g.6), signalé par Louis Desgraves dans son supplément
à la bibliographie des Haultin (p. 314-315), le second à
l’Avery Library de l’Université Columbia de New York
(AA531 M45 M 451F). Dans cette édition apparaît sur la
page de titre, recomposée pour la circonstance, le nom et la
marque typographique de Jérôme Haultin (la « Religion
Chrestienne » dans l’une de ses variantes) ; une dédicace
au Roi a été ajoutée.
Tel quel,
ce Premier livre qui ne fut jamais suivi d’un second
est évidemment imparfait. Dans le titre comme dans le «
proème », l’auteur donne le projet d’un ouvrage
beaucoup plus ambitieux que celui que nous lisons. Il y promet en effet
de traiter non seulement des ordres de colonnes, mais aussi de l’architecture
en général, les catégories serliennes étant
le prétexte à classer avec les colonnes des modèles
de portes, de fenêtres, de lucarnes, de sépultures et même
de forteresses – sans parler des machines à vis sans fin.
Mais dans l’avertissement qui conclut l’ouvrage, il laisse
entendre qu’il n’aura pas le temps de terminer cette vaste
entreprise, et donne quelques instructions (assez confuses au reste)
aux bons esprits qui voudraient, après lui, reprendre le flambeau.
Ce programme
quasi universel fait penser à ceux, plus aboutis, d’Androuet
du Cerceau ou de Vredeman de Vries, que Mauclerc devait connaître,
tant grande semble avoir été sa bibliothèque. Car
notre gentilhomme poitevin est un amateur cultivé : en témoignent
les citations érudites qui émaillent les pièces
liminaires de l’ouvrage, Empédocle, Apollonios de Rhodes
ou Flavius Josèphe. Il devait fréquenter aussi des auteurs
plus « scientifiques », renvoyant au Commentarium in
astrolabium de Juan de Rojas Sarmiento (Paris, Vascosan,
1550), au plus fameux Tractatus de sphaera mundi de Jean Dubois, et à son commentaire par le père Clavius
paru à Lyon en 1593. Toutefois, le fait que toutes les citations
soient en français peut laisser douter qu’il ait su le
latin ; quant au grec, il paraît évident que quelqu’un
écrivant « le pistille » pour « l’épistyle
» l’ignorait. Par ailleurs, les textes à prétention
philosophique qui sont censés expliquer les allégories
du frontispice ne brillent pas par leur rigueur conceptuelle, et le
« proème » n’est pas un modèle de clarté.
Ses connaissances proprement architecturales ne sont pas minces : outre
Vitruve, bien sûr, il renvoie à Alberti et Philandrier,
et il cite précisément le Livre III de Serlio. L’emploi
de certains termes (« strix » par exemple) laisse à
penser qu’il connaît la traduction française de Sagredo.
Mais les emprunts majeurs ne sont pas avoués. Le texte s’inspire
en effet du traité de Hans Blum, publié pour la première
fois en latin en 1550 à Zurich (Quinque columnarum exacta
descriptio...), et dont existaient à la fin du XVIe
siècle au moins deux éditions en français, l’une
parue à Anvers en 1551 et l’autre à Lyon en 1562.
Mauclerc le suit fidèlement, allant jusqu’à reprendre
la légende qui fait du géant toscan Tuscus l’ancêtre
des Teutscher, c’est-à-dire des Allemands –
légende qui devait paraître bien exotique au pays du Sieur
du Ligneron… Quant aux planches, elles reprennent avec une remarquable
exactitude celles de l’Allemand. Il reste beaucoup à dire
sur l’influence de Blum sur la théorie de l’architecture
en France. Jean Bullant s’était lui aussi inspiré
de sa méthode de présentation fondée sur un système
simple et clair de règles et de portions de cercles, très
efficace, comme le dit Mauclerc, pour les « pauvres simples artisans
qui n’ont été nourris aux lettres » ; mais
Bullant l’avait adaptée et développée pour
ses propres modèles, aux profils plus directement serliens. Chez
le Poitevin, le plagiat est plus évident, car les formes qu’il
propose pour les ordres sont exactement celles de Blum. Ses planches
n’en sont pas moins de grande valeur, car la gravure de Boyvin
y est d’une grande virtuosité et d’une admirable
précision.
Si Blum
est la principale source, elle n’est pas la seule. Au Livre
extraordinaire de Serlio, Mauclerc emprunte la porte XIV, qui,
adaptée et ornée pour la circonstance, lui sert de frontispice,
et encadre un portrait de l’auteur dont la pose est évidemment
celle de Vignole sur la page de titre de la Regola.
Au Libro appartenente a l’architettura d’Antonio
Labacco (Rome, 1559, p. 21), il prend la colonne corinthienne du temple des
Dioscures et celle, composite, d’un temple
situé entre le Capitole et le Quirinal (p. 37) ; rappelons que
ces deux planches avaient déjà été utilisées
par De l’Orme pour le Premier tome de 1567 (f. 194v°
et 206). Philibert a du reste lui aussi inspiré notre auteur,
puisque le superbe pied d’acanthe, à la fin du livre, est
une réinterprétation du modèle proposé par
De l’Orme au folio 214v° de son traité.
En dépit
de cette indéniable culture, le texte de Mauclerc n’est
pas d’un penseur du tout premier plan. Les formes décrites
n’ont strictement rien de nouveau, et sa paraphrase de Blum se
limite à un exposé assez fastidieux et répétitif
sur les proportions et les « membres particuliers » des
ordres, avec les traditionnelles anecdotes sur leur origine. L’aspect
le plus original de l’exposé est l’idée
de présenter non pas cinq mais sept ordres de colonnes, en dédoublant
l’ionique et le corinthien en deux versions, avec et sans piédestal
; mais là encore, Mauclerc ne fait que reprendre la présentation
de Blum. Cette dernière lui convient parfaitement du reste, car
il a prévu sept plans différents pour ses forteresses
(cercle, triangle, quadrangle, pentagone, hexagone, heptagone et octogone),
et les sept catégories fonctionnent parfaitement pour sa présentation
« en ordre » de l’ensemble de l’architecture.
Peut-être a-t-il été conforté dans cette
idée par la lecture de Philibert De l’Orme, qui fait l’éloge
d’une architecture idéale constituée de sept parties
(bien qu’il ne s’agisse pas des ordres), que dans sa perfection
il assimile au système des sept planètes.
Le terme
de « plagiat », que l’on est tenté d’utiliser
pour qualifier les procédés de Mauclerc, ne doit pas être
pris au sens dépréciatif qu’on lui donne aujourd’hui.
En effet, ces emprunts deviennent courant à une époque
où l’inventivité, dans le domaine des ordres d’architecture,
a fait son temps ; De l’Orme est sans doute le dernier à
proposer des formes nouvelles. Au XVIIe siècle, on n’inventera
plus guère : comme Mansart dans l’architecture réelle,
les théoriciens se contenteront de mettre en parallèle
les formes de Palladio, de Scamozzi et de Vignole, choisissant celles
qui leur conviennent le plus, ou, comme Perrault, tenteront de faire
la synthèse d’un répertoire formel désormais
acquis. De sorte que Mauclerc, par le contenu de sa culture architecturale,
peut apparaître comme le dernier des théoriciens de la
Renaissance, et comme le premier de ceux du XVIIe siècle par
l’éclectisme de sa méthode.
Le traité
n’eut, semble-t-il, aucun écho. Louis Savot ne le mentionne
pas dans sa « bibliographie » de 1624, et le privilège
de la seconde édition, en 1648, précise que « Pierre
Daret, notre graveur ordinaire en tailles-douces, nous a fait très
humblement remontrer que depuis trois ans en çà, il a
recouvert les planches d’un livre in-folio, intitulé L’architecture
de Mr Julien Mauclerc, gentilhomme poitevin, composé de
cinquante planches en taille-douce, avec les explications d’icelles,
qui n’a encore été mis en lumière et par
lui augmenté, lequel livre, pour l’utilité publique,
ledit Daret désirerait mettre en lumière par notre permission
qu’il nous a fait supplier lui accorder ». Daret lui-même
dira qu’il a « recouvré depuis quelques années
un ouvrage d’architecture », comme si le livre avait été
perdu. La rareté de l’ouvrage s’explique peut-être
par la mort de l’imprimeur survenue le 16 novembre 1600. Ses héritiers,
qui poursuivirent leurs impressions de 1601 à 1622, n’en
donnèrent pas de rééditions.
Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2006
notice révisée 2008
Bibliographie critique
L. Châtenay, La vie intellectuelle en Aunis et Saintonge
de 1540 à 1610, La Rochelle, Éditions du Quartier Latin, 1959.
L. Desgraves, L’imprimerie à la Rochelle, Les Haultin
(1571-1623), Travaux d’Humanisme et Renaissance, 34-2, Genève,
Droz, 1960.
L. Desgraves, « Corrections et additions à la bibliographie
des Haultin », Bibliothèque d’humanisme et Renaissance,
Travaux et documents, 28, 1965, p. 304-317.
J. Levron, René Boyvin, graveur angevin du XVIe siècle,
Angers, Petit, 1941.
M. Marrache-Gouraud, « Cabinets et curieux du Poitou, aux XVIe et XVIIe siècles », P. Martin & D. Moncond'huy (éd.), Curiosité et cabinets de
curiosités, Neuilly, Atlande, 2004, p. 93-108.
Y. Pauwels, « Hans Blum et les Français, 1550-1650 », Scholion. Meitteilungsblatt der Stiftung Bibliothek Werner Oechslin,
6, 2010, p. 77-88.
D. Thomson, « Architecture et humanisme au XVIe siècle.
Le Premier Livre d’Architecture de Julien Mauclerc », Bulletin monumental, 158, 1980, p. 7-40.
D. Thomson, « Le Premier Livre d’Architecture de Mauclerc, à La Rochelle, chez Jérôme Haultin
en 1600 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio
à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire
active, 2004, p. 471.
Notice
LE / PREMIER LIVRE / D’ARCHITECTVRE DE IVLIEN / MAVCLERC GENTIL-HOMME
POITEVIN,/ SEIGNEVR DV LIGNERON MAV/clerc, La Brossardiere & Remanguis,
pres / Aspremont sur Vie, Parroisse de / Coex & du Fenoiller, / Traictant
tant de l’ordre Tuscanique, Doricque, Ionique, / Corinthe, que composite/
Aux cinq premiers Chapitres duquel se verra la vraie proportion des Colomnes
de chacun ordre,/ selon l’usage des plus memorables Antiques:/ACCOMPAIGNÉ
ledict premier Liure traictant de ladicte Tuscanique, premiere en ordre,
de tous les / membres particuliers requis à vn Temple, Chasteau,
Palais, Forteresse, ou Logis particulier, bien / ordonné, comme
de Portes, Croisees, Lucarnes, Cheminées, Toit ou Entable-/ment,
ou Couverture, comme aussi des Puits, Fontaines & Sepultures./ LE
TOVT distingué par pourtraicts particuliers en perspective, accompaigné
chacun d’iceux, de leur / Chapitre propre pour l’intelligence
desdicts pourtraicts à taille douce : œuvre de tresbelle erudi-/tion
& inestimable vtilité & profit à toute sorte de
gens, depuis les plus grands Mo-/narques, iusques aux moindres & plus
petits, de quelque estat & condition / qu’ils soient : sur la
fin duquel se trouuera les pourtraicts en / perspectiue des deux propositions
suyvantes./ La premiere ;/ D’AVOIR trouué l’inuention
certaine de faire une Forteresse ronde, qui se pourra flanquer de toutes
parts, sans Bastion, Plateforme, ne Te-/naille, et composée de
tel artifice, qu’elle ne pourra estre recogneüe, ne les deffences
abbattuës, et par consequant imprenable de force./ La seconde une
autre belle et admirable inuention ;/ L’adjonction de deux Viz sans
fin, auecques trois Ydrauliques, menees par vne simple-double-triple roüe,
composee de tel ar-/tifice qu’elle se mouuera de soy-mesme, par
revolution perpetuelle, tant que la matiere, de laquelle elle / sera fabricquee,
pourra durer, & mouuera lesdictes Viz, pour eslever les eaux / dormantes
à telle hauteur que l’on voudra./ A LA ROCHELLE,/ Par Hiesrome
Haultin./ M. DC.
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