LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Desargues, Girard
Bosse, Abraham
Titre La pratique du trait a preuves, de Mr Desargues Lyonnois...
Adresse Paris, P. Des Hayes, 1643
Localisation Tours, Musée des Beaux-Arts, 1950-7-1
Mots matière Stéréotomie

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     En 1643 Abraham Bosse et Girard Desargues sont amis depuis au moins un lustre. Ils sont déjà considérés par leurs contemporains comme « excellents » dans leur domaine, la gravure en taille-douce pour l’un, les mathématiques pour l’autre. À cette date, Girard Desargues (1591-1661) a publié l’essentiel de son oeuvre scientifique et Abraham Bosse (1604 ?-1676) a gravé ses estampes les plus fameuses. Leur amitié, outre l’inclinaison sincère de deux caractères bien trempés, est scellée par une communauté de vue sur la primauté de la raison en tout domaine. Ils vont prendre part, l’un et l’autre, au mouvement général de rationalisation qui, en France, tente de réformer les pratiques d’ateliers notamment celles des tailleurs de pierre, des traceurs de cadrans solaires, des peintres et graveurs. En préconisant des solutions nouvelles, universelles et mathématiques à des problématiques déjà résolues par la tradition (parfois « tâtonnante », il est vrai !) ils vont contribuer, consciemment pour Bosse, peut-être moins pour Desargues, à modifier les statuts de ces métiers assimilés aux « arts mécaniques » et les élever au rang « d’arts libéraux ». La création des diverses académies dans la deuxième moitié du XVIIe siècle sera l’aboutissement de cette stratégie d’intellectualisation à laquelle ils participeront pleinement.
En 1636 Desargues publie un très court opuscule (12 p., 1 pl. double) sur la pratique de la perspective. En 1640 il fait paraître deux autres ouvrages encore plus succincts, l’un de gnomonique (1 p.), l’autre de stéréotomie, Brouillon projet d’exemple d’une manière universelle du S.G.D.L. [Sieur Girard Desargues Lyonnais] touchant la pratique du trait à preuves pour la coupe des pierres en l’Architecture… (4 p., 5 pl.). Même si ces trois sujets semblent très différents, dans l’esprit de Desargues ils relèvent en fait d’un même traitement géométrique.
Cette unité profonde est conservée par Bosse. Dans ce traité de 1643 (qui est son premier traité) il indique : « ... dans mon Privilège qui est du mois de novembre 1642, il y a, que j’ai tout prêt à mettre en lumière des exemples du trait, pour la coupe des Pierres, des Cadrans, et de la Perspective, par les manières universelles de Monsieur Desargues... ». En conséquence après ce traité arguésien de stéréotomie, il publie, toujours en 1643, un deuxième traité, tout aussi arguésien, de gnomonique. En revanche, les ouvrages les plus connus de Bosse, dans lesquels il met en lumière non seulement la méthode universelle pour pratiquer la perspective de Desargues mais aussi des développements plus personnels, paraissent nettement plus tard. Le troisième traité, annoncé dès 1642, est édité en 1647-48 sous le titre Manière universelle de M. Desargues pour pratiquer la perspective par petit pied, comme le géométral... Il sera suivi de deux autres ouvrages de perspective édités l’un en 1653, l’autre en 1665.
L’opuscule de stéréotomie de Desargues présentait une méthode universelle de coupe des pierres exposée à partir d’un seul exemple (« une descente biaise dans un mur en talus ») suffisamment compliqué pour que la méthode ne soit pas polluée par des situations particulières trop simplificatrices. Il s’adressait à « des savants géomètres », à « des excellents contemplatifs » et non à « des ouvriers de la main ».
« Si Monsieur Desargues eût voulu », écrit Bosse dans son ouvrage, « je vous assure qu’il avait moyen de vous donner la pratique du trait par des manières particulières de son invention, en des pièces précises détachées et sans suite, comme les ouvriers ont été accoutumés jusqu’ici de l’apprendre entre-eux ; et vous en verrez ici quelques-unes seulement en passant : mais il a jugé que cette façon-là d’enseigner n’était pas la meilleure pour instruire promptement et pleinement de cette matière, et il en a fait une manière universelle et méthodique à mon avis autant qu’il se peut ». Mais Monsieur Desargues ne l’a pas voulu !
Bosse, persuadé que la méthode arguésienne apporte aux praticiens un soulagement intellectuel et une plus grande rapidité d’exécution se propose de rédiger un traité qui leur soit plus accessible. Pour ce faire, il utilise une pédagogie toute cartésienne (de plus en plus affirmée dans les traités suivants). Partant des connaissances de base des appareilleurs, il élève par degrés son lecteur vers des savoirs plus compliqués en divisant chacune des difficultés rencontrées en petites parcelles où chaque problème élémentaire est résolu en termes presque évidents. Il décompose donc en étapes successives ce que Desargues s’était ingénié à présenter globalement. « Puisque les géomètres et les ouvriers de plusieurs arts ne parlent pas souvent le même langage », il traduit le vocabulaire mathématique universel des savants en termes de métier. Par exemple il indique : « ce que les géomètres nomment l’inclinaison de deux plans entre-eux, ces ouvriers le nomment beveau, etc. » Mais ce travail linguistique n’est pas socialement innocent. Comme le note Christèle Assegond, Bosse « en ramenant la langue technique à un folklore local, en insistant sur le caractère normalisé et universel du langage scientifique, engage un travail de recomposition des valeurs ». Ainsi apparaît à travers cette œuvre un nouveau maître de l’œuvre, plus spéculatif, qui préfigure l’architecte moderne.
Ceci suffirait déjà à justifier les critiques parfois vives qui ont opposé Desargues et Bosse aux appareilleurs et maîtres-maçons parisiens et notamment à Jacques Curabelle (on en trouve un faible écho dans la « Reconnaissance de Monsieur Desargues » insérée dans ce livre). Mais les réticences à l’encontre de la méthode arguésienne ont d’autres raisons. Comme le souligne Joël Sakarovitch, Desargues déstabilise son lecteur « en l’obligeant à raisonner à partir d’un plan qui, dans l’espace, n’est ni horizontal ni vertical. Or pour un objet pesant – et qu’y a-t-il de plus pesant qu’une pièce d’architecture clavée ? – une telle gymnastique intellectuelle est beaucoup plus délicate que pour une figure géométrique abstraite ».
Pour rendre plus aisé l’effort conceptuel imposé par la méthode arguésienne, Bosse va utiliser ses talents de graveur. Il est, on le sait, l’un des plus excellents graveurs en taille-douce de ce premier XVIIe siècle et sa maîtrise du dessin perspectif est exceptionnelle. Il multiplie donc les planches d’explication, cent quatorze au total, dont certaines de belle valeur artistique. Malgré ses efforts pédagogiques la réception de cet ouvrage parmi les praticiens, plus soucieux de la faisabilité des ouvrages que de la pertinence des procédés géométriques, fut assez médiocre. Si on compare le sort de ce traité de stéréotomie à la fortune, encore actuelle, du Traité des manières de graver en taille douce écrit par Bosse en 1645, on peut même dire que c’est un échec.
Desargues et Bosse n’en eurent cure. Ils continuèrent à travailler ensemble à la résolution de problèmes stéréotomiques complexes, sollicitant au passage l’avis du jeune et talentueux mathématicien Philippe de la Hyre, fils du peintre Laurent de la Hyre. Si l’on en croit Fontenelle, « Desargues, qui était du petit nombre des mathématiciens de Paris, et Bosse, fameux graveur, avaient fait une première partie d’un traité de la coupe des pierres, matière alors toute neuve ; mais quand ils voulurent travailler à la seconde partie, ils sentirent que leur géométrie s’embarrassait ; et ils s’adressèrent à de la Hyre, qui, dans leur besoin, les secourut de sept propositions tirées de la théorie des coniques. Bosse les fit imprimer en 1672 dans une brochure « in-folio ».
Bosse s’est toujours intéressé à l’architecture, ne serait-ce que comme « dépendance de l’art de la portraiture ». S’il a d’abord étudié l’architecture à travers les préoccupations stéréotomiques de Desargues, il ne s’est pas limité à ce domaine. En 1659, 1664 et 1666, il fait paraître cinq traités d’architecture, notamment sur les ordres de colonnes, qui connurent pour certains un succès important et plusieurs rééditions. En 1671, deux ans avant sa mort (14 février 1676), il avait encore en projet sa « seconde partie de la coupe des pierres et un traité d’architecture ».

Jean-Pierre Manceau - 2005

Bibliographie critique

C. Assegond, Socialisation du savoir, socialisation du regard. Les usages techniques et sociaux du savoir géométrique et de la stéréotomie chez les compagnons tailleurs de pierre, Tours, Université François Rabelais, thèse de doctorat en sociologie, 2002.

A. Blum, L’œuvre gravé d’Abraham Bosse, Paris, Morancé, 1924, n° 206-228.

J. Dhombres & J. Sakarovitch (éd.), Desargues en son temps, Paris, Blanchard, 1994.

G. Duplessis, « Catalogue de l’œuvre d’Abraham Bosse », Revue universelle des arts, Paris, 1859, n° 356-472.

M. Le Blanc, D’acide et d’encre. Abraham Bosse (1604 ?- 1676) et son siècle en perspective, Paris, CNRS Éditions, 2004.

J. Lothe, « Les livres illustrés par Abraham Bosse », S. Join-Lambert & M. Préaud (éd.), Abraham Bosse savant graveur, Tours, vers 1604-1676, Paris, Paris/Tours, Bibliothèque nationale de France/Musée des Beaux-Arts de Tours, 2004, p. 41-52.

J.-P. Manceau, « Abraham Bosse, un cartésien dans les milieux artistiques et scientifiques du XVIIe siècle », S. Join-Lambert & M. Préaud (éd.), Abraham Bosse savant graveur, Tours, vers 1604-1676, Paris, Paris/Tours, Bibliothèque nationale de France/Musée des Beaux-Arts de Tours, 2004, p. 53-63.

J.-P. Manceau, notice 228 du catalogue d'exposition, Abraham Bosse savant graveur, Tours, vers 1604-1676, Paris, S. Join-Lambert & M. Préaud (éd.), Paris/Tours, Bibliothèque nationale de France/Musée des Beaux-Arts de Tours, 2004.

R.-A. Weigert, Inventaire du fonds français. Graveurs du XVIIe siècle, 1, Paris, Bibliothèque nationale, 1939, p. 471-534.

 

Notice

LA PRATIQUE DU TRAIT A PREUVES DE Mr DESARGUES LYONNOIS Pour la Coupe des Pierres en l’Architecture. Par A. BOSSE, Graveur en Taille Douce, en l’Isle du Palais, à la Roze Rouge, devant la Mégisserie. A PARIS, De l’Imprimerie de PIERRE DES-HAYES, Rue de la Harpe, à la Roze Rouge. M.DC.XLIII. AVEC PRIVILEGE.
In-8°, (8)-284, 114 pl. gr.
Ouvrage dédié à Monseigneur Séguier, Chancelier de France
Berlin Kat. 2540 ; Fowler 55 ; RIBA 339
Tours, Musée des Beaux-Arts, 1950-7-1.
*Notes :
- Reliure en vélin blanc
- Achat février 1950