LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Perrault, Claude
Leclerc, Sébastien (graveur)
Le Pautre, Pierre (graveur)
Châtillon, Louis de (graveur) |
Titre |
Ordonnnance des cinq espèces de colonnes selon la
méthode des Anciens... |
Adresse |
Paris, J.-B. Coignard, 1683 |
Localisation |
Paris, Ensba, 1273 I Fol. |
Mots matière |
Ordres |
English
L’Ordonnance
des cinq espèces de colonnes est l’expression la plus
achevée de la théorie de Claude Perrault. L’ouvrage,
placé sous le haut patronage de Colbert, qui mourut quelques
mois après la parution, s’inscrit dans la politique globale
artistique menée par le ministre. Dans ce « supplément
à ce qui n’a pas esté assez particulierement traité
par Vitruve » (Épître), Perrault entend fixer les
règles de l’architecture. Dans une longue préface
Perrault expose sa théorie de la beauté qui justifie sa
méthode géométrique et mathématique de «
la médiocrité moyenne » pour dégager des
proportions « probables et vraisemblables » fondées
sur des raison positives, sans s’éloigner pour autant de
celles en usage. Les « excès » observés chez
les Anciens comme chez les Modernes l’ont incité à
proposer une moyenne entre les extrêmes observés dans trois
sortes d’architecture, « l’Ancienne que Vitruve nous
a enseignée, l’Antique que nous étudions dans les
ouvrages des Romains, & la Moderne, dont nous avons des livres écrits
depuis six vingt ans » (p. 8), autrement dit le traité
de Vitruve, les antiquités romaines et les théoriciens
de la Renaissance.
La première partie de l’ouvrage est consacrée aux
proportions des différents membres qui composent les ordres,
piédestal, colonne (base et chapiteau) et entablement ; la seconde
traite des caractères particuliers et des proportions de chacun
des membres principaux définis dans la partie précédente.
Perrault reprend maints développements des notes de son édition
de Vitruve publiée en 1673. Pour les relevés des édifices
antiques il cite ouvertement Antoine Desgodets, qui vient de publier
en 1682 ses Edifices antiques de Rome, et Roland Fréart
de Chambray pour des monuments tels que le vestige d’Albane ou
les thermes de Dioclétien. Mais il recourt à d’autres
sources comme Serlio et Palladio, ce qui ne va pas sans difficulté
: Perrault est contraint de convertir des mesures exprimées avec
des modules différents (diamètres, demi-diamètres,
minutes ou parties, pieds parisiens). Les auteurs modernes qu’il
cite par paires (Alberti et Viola, De l’Orme et Bullant, Barbaro
et Cataneo…), dix pour les ordres grecs et quatre pour les ordres
latins, sont ceux-là même distingués par Chambray
dans son Parallèle. Perrault doit toutefois recourir
aux traités originaux pour compléter Chambray, qui ne
représente pas les piédestaux des cinq ordres. Il retient
ainsi les théoriciens les plus célèbres à
son époque, Vignole, Palladio et Scamozzi, ce dernier lui apparaissant
plus moderne que Palladio (chapiteau ionique à cornes, corniche
corinthienne sans denticule, dotée de petits modillons pour avoir
des colonnes couplées, place accordée à l’ordre
composite, entre l’ionique et le corinthien). En revanche il ne
mentionne pas Abraham Bosse, auteur de deux traités sur les colonnes
publiées en 1664, qui avait eu l’ambition de définir
« des Regles certaines et facilles, pour trouver les plus belles
proportions des Ordres de l’Architecture ».
Pour caractériser
les cinq ordres Perrault propose une augmentation de leurs hauteurs
à mesure qu’ils deviennent plus délicats. Le système
est fondé sur des proportions géométriques croissantes
simples, grâce au choix d’un nouveau module, dit le petit
module (p. m.), qui correspond au tiers du diamètre de la colonne
et équivaut à 20 minutes ou parties, pour le distinguer
du grand module ou diamètre, divisé en 60 minutes, et
le module moyen, demi-diamètre ou rayon, équivalant à
30 minutes. Grâce au choix du petit module les proportions peuvent
être exprimées en nombres entiers. Les ordres ont ainsi
une progression régulière de 3 p. m., les piédestaux
augmentent d’1 p. m., la colonne de 2 p. m. Seule la hauteur de
l’entablement est la même pour tous les ordres et équivaut
à 6 p. m. Dans un souci de rationalisation et de normalisation
les hauteurs sont la moyenne (« la médiocrité moyenne
») entre les mesures extrêmes prescrites par Vitruve, observées
dans les antiques ou proposées par les théoriciens de
la Renaissance. Pareillement la mouluration des piédestaux, des
colonnes et des entablements est d’autant plus complexe que l’ordre
est élevé et riche : la base du piédestal toscan
a ainsi deux moulures, celle du dorique, trois, etc. ; sa corniche
en a trois, celle du dorique quatre, etc. Les bases ont pour hauteur un demi-diamètre,
comme chez Vitruve. Quant aux chapiteaux Perrault n’en distingue
que trois : le toscan/dorique de même hauteur (1/2 D), le corinthien/composite
(1 D 1/6) et l’ionique dont il ne donne pas expressément
la hauteur car la proportion prescrite par Vitruve n’est pas facilement
convertible. Mais Perrault triche avec la médiocrité moyenne
car il l’établit à partir de deux extrêmes
qu’il choisit. Comme le notait déjà Wolfgang Hermann
(1980, p. 91), il a inventé d’abord le système de
proportions fondée sur la médiocrité moyenne avant
de sélectionner les mesures des ordres antiques et modernes qui
lui permettent de l’établir
Les modèles
de Perrault n’ont d’autre originalité que d’être
la combinaison de bases, chapiteaux et entablements empruntés
à plusieurs sources, Vitruve surtout, quelques antiquités
prestigieuses (théâtre de Marcellus, Colisée, arc
de Titus, thermes de Dioclétien…) et théoriciens
(Vignole, Scamozzi…). Une fois définis ces modèles,
aucune modification des proportions ne peut être envisagée,
pas même pour des raisons d’optique, selon le postulat que
la vue ne trompe pas (IIe partie, ch. 7). C’est l’occasion
de répondre à ses détracteurs (François
Blondel en l’occurrence) qui ont pu trouver plaisant qu’il
fasse une exception pour les statues colossales qui ne peuvent être
installées que dans un endroit très élevé,
ce qu’il avait déjà soutenu dans son édition
de Vitruve en 1673 (p. 194-195). Perrault lui-même est un censeur
sévère (IIe partie, ch. 8) : il condamne la pénétration
des supports, comme les colonnes de Lescot à la cour carrée
du Louvre (abus 1). Il désapprouve les métopes à
géométrie variable, dans les colonnes accouplées
doriques, comme au portail de Saint-Gervais, ou les demi-triglyphes
dans des angles rentrants, comme aux Minimes de Mansart (abus 4). La
corniche architravée est, selon lui, une aberration (abus 9)
– allusion probable à Mansart qui l’utilise à
Blois puis à Maisons et qui de fait s’inspire d’une
planche de Philibert De l’Orme (Premier tome, 1567, f.
154), censée représenter un antique et qui n’est
autre que la corniche du troisième ordre inventé par Michel-Ange
pour le cortile du palais Farnèse. En revanche quelques pratiques
qui passent pour des abus tel l’accouplement des colonnes, critiqué
par Blondel (Cours d’architecture, 1675, p. 233 sq.)
est une « invention d’une grande beauté et commodité
» (p. 115-116), qu’il a lui-même utilisée pour
la Colonnade de Louvre. Il conseille aussi l’ordre colossal pour
les grands palais comme le Louvre (abus 6) (p. 118-119).
L’Ordonnance
est un manifeste où Claude Perrault affirme clairement sa supériorité
sur les Anciens comme sur ses prédécesseurs immédiats.
Les ordres qu’il propose sont les meilleurs puisqu’ils sont
la synthèse rationnelle des plus beaux modèles du passé.
Mais la « médiocrité moyenne » débouche
sur une architecture figée. Comme Fréart de Chambray en
son temps, Perrault a le projet d’imposer une architecture française
frappée au coin de sa propre théorie. Il défend
ses réalisations marquées par la modernité et le
progrès scientifique, c’est-à-dire par la rationalisation
de la conception du bâtiment et par une certaine idée de
la beauté en architecture. La théorie globale du médecin
architecte creuse de fait le fossé entre l’amateur qu’il
est et les praticiens, qui ne peuvent accepter une théorie aseptisée
qui leur ôterait toute liberté et prérogative ;
en même temps elle annonce des thématiques qui seront développées
au XVIIIe siècle. L’Ordonnance fut traduite en
anglais en 1708 et connut une réédition en 1722 dont Thomas
Jefferson possédait un exemplaire (Sowerby 4182).
Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) –
2008
Bibliographie critique
G. Germann, Vitruve et le vitruvianisme. Introduction à l’histoire
de la théorie architecturale, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires
romandes, 1991 (1ère éd. : Darmstadt, 1987).
W. Herrmann, La théorie de Claude Perrault, Bruxelles/Liège,
Mardaga, 1980 (1ère éd. : Londres, Zwemmer, 1973).
F. Lemerle, « Claude Perrault théoricien : l’Ordonnance
des cinq espèces de colonnes (1683) », D. Rabreau & D. Massounie (éd.), Claude-Nicolas
Ledoux et le livre d’architecture en français / Étienne
Louis Boullée, L’Utopie et la poésie de l’art,
Paris, Monum romain, Éditions du patrimoine, 2006, p. 18-29.
C. Perrault, Ordonnance for the five kinds of columns after the
method of the Ancients, introduction d’A. Pérez-Gomez,
traduction de I. McEwen, Santa Monica, CA, Getty Center Research for
the History of Art and the Humanities, 1993.
C. Perrault, L’ordine dell’architettura, présentation
de M. L. Scalvini et S. Villari, Aestetica Preprint, Palerme, Centro
internazionale studi di estetica, 1991.
A. Picon, Claude Perrault, 1613-1688 ou la curiosité d’un
classique, Paris, Picard, 1988.
Notice
Ordonnance des cinq espèces de colonnes selon la méthode
des anciens / par M. Perrault. - A Paris : chez Jean-Baptiste Coignard,
1683. - 80 feuillets, à savoir [8]-XXVII-[1]-124 p., 6 planches
gravées sur cuivre : 1 vignette, 1 cul de lampe p. 67, 1 lettrine
gravée sur cuivre ; quelques figures gravées sur bois dans
le texte ; in-folio.
Pièces liminaires : dédicace à Colbert, privilège,
préface, table des chapitres.
Marque de Coignard sur la page de titre, bandeau aux armes de Colbert.
Planches gravées par Pierre Le Pautre, Louis de Châtillon,
Sébastien Leclerc.
Berlin Katalog 2386 ; Cicognara 607 ; Comolli, IV p. 206 ; Fowler 247
; Millard, I, 138 ; RIBA 2497.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 1273 I
*Notes :
- Une phrase manuscrite sur la page de titre (écriture du XVIII e
siècle) a été rayée.
- Reliure de veau d’époque, en mauvais état. 37,7
x 25 cm.
- Achat de l’École des Beaux-Arts en 1841.
|