LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Dietterlin, Wendel
Titre Architectura von Außtheilung...
Adresse Nuremberg, H. & B. Caimox, 1598
Localisation Heidelberg, Ruprecht-Karls Universitätsbibliothek, 83 B 945 Res
Mots matière Cheminées, Portes, Portails, Ordres
Transcription du texte

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     En 1598, après les deux éditions partielles de 1593 et 1595, fut publiée à Nuremberg l’édition complète de l’Architectura, qui propose plus de deux cents gravures à l’eau-forte. L’ouvrage parut sous trois formes : la présente édition en allemand avec une page de titre en rouge et noir chez Hubert et Balthazar Caimox, une autre avec page de titre imprimée en noir portant le nom du seul Balthazar Caimox, et une édition en latin et français. Le colophon (absent dans l’exemplaire en ligne de la Zentralbibliothek de Zurich) ne mentionne pas le nom d’Hubert. Il existe par ailleurs plusieurs versions des pages de titre intermédiaires ouvrant les cinq livres consacrés aux cinq ordres d’architecture.
Il s’agit d’un ouvrage essentiellement graphique : seuls quelques brefs textes commentent les planches au début du livre et introduisent chacune des cinq sections développant les ordres serliens. Pour chacun d’entre eux, Dietterlin commence par donner un schéma des proportions qui s’inspire de la méthode de Hans Blum. De façon très systématique, il complète ces données géométriques par des propositions de décors et imagine pour chacun des styles des variantes de supports (colonnes, caryatides ou termes) et d’entablements, puis des exemples de fenêtres et lucarnes, de cheminées, de portails, de fontaines et enfin de tombeaux, autels et retables. Le traitement est extrêmement riche. Peintre avant tout, Dietterlin donne la part belle aux ornements qui prolifèrent lourdement sur les parties des ordres et sur les structures architecturales, et aux détails pittoresques, personnages, animaux ou objets familiers qui viennent donner vie aux bâtiments. La classification serlienne des cinq ordres, du plus rustique au plus délicat, est l’occasion de multiples développements décoratifs souvent très originaux : au toscan sont associés des bossages de toutes sortes, mais aussi un vigneron (pl. 6), un éléphant (pl. 18) et un cerf et une licorne (pl. 24), comme autant d’images de la rusticité, de la puissance et de la nature sauvage. L’image du vigneron prend une autre signification, que Dietterlin emprunte à Hans Blum : c’est aussi un portrait de Noé, considéré par ailleurs comme l’ancêtre des Étrusques, c’est-à-dire des « Tusci » qui eux-mêmes ont donné naissance aux « Teutschen ». L’ordre toscan devient ainsi l’ordre national germanique. Les quatre autres ordres sont traités de manière similaire, avec un accroissement régulier du raffinement et de la délicatesse ornementale : le dorique est guerrier, l’ionique matronal, le corinthien virginal. Quant au composite, il laisse la porte ouverte à de nombreuses combinaisons qui font intervenir entre autres des éléments d’esprit gothique, comme les formes végétales de l’Astwerck, entrelacs de branches sculptées très populaires dans l’art d’Europe centrale (pl. 196, 197, 203).
Dans le principe de distribution des formes selon les cinq ordres, Dietterlin est parfaitement serlien. L’architecte bolonais est aussi à l’origine de ce type de publication : les Regole generali (Quarto libro) de 1537 associent de même les ordres proprement dits à des portails, des cheminées et des édicules. Mais le souci de rigueur classificatrice lié à une grande fantaisie et une grande liberté ornementale de l’Architectura est hérité du Livre extraordinaire publié en 1551, qui d’ailleurs fournit certaines structures architecturales. L’Allemand semble avoir particulièrement apprécié l’arc XVI de Serlio, avec ses deux frontons couronnant les parties latérales, qui fait l’objet de plusieurs variations (pl. 68, 71, 73, 112, 154). Il est difficile de ne pas mettre en rapport la porte XXII avec la planche 153, la porte XVIII avec la planche 155. Les niches du portail de la planche 111 viennent probablement de l’arc XIV.
Une autre source doit être mentionnée, qui met Dietterlin en rapport avec la France : Jacques Androuet du Cerceau. La présentation des entablements dans les planches 49, 50, 98 et 99 est en tous points similaire à celle adoptée par le Français dans ses « Détails d’ordres d’architecture ». Et surtout, le Second livre d’architecture publié à Paris en 1561 constitue un précédent dans la mesure où comme l’Architectura, il propose des modèles de cheminées, lucarnes, portes et fenêtres, de fontaines, puits et pavillons et de sépultures. Hormis les saucisses qu’y ajoute Dietterlin, la cheminée de la planche 21 reprend des éléments caractéristiques d’un modèle du Français, les supports en amphore avec une tête et les motifs ovales du manteau. D’autres recueils ont pu inspirer l’Allemand : l’idée du fronton aux rampants inversés utilisée dans la planche 19 peut venir d’un recueil de « meubles » où du Cerceau propose deux modèles comparables, avec dans l’un d’eux un battant de porte entr’ouvert comme chez Dietterlin.
L’Architectura se situe parfaitement dans le goût de l’Europe du nord à fin du XVIe siècle. Tout aussi ornés étaient les termes et caryatides d’Hugues Sambin (Œuvre de la diversité des termes, 1572) et les supports zoomorphes de Joseph Boillot (Nouveaux pourtraitz et figures de termes, 1592, traduit en allemand en 1604). En Flandre, Hans Vredeman de Vries avait publié son Architectura à Anvers en 1577. D’autres entreprises similaires avaient vu le jour en Allemagne à la même époque, en particulier les Etliche architectischer Portalen deVeit Ecken, publiés en 1596 à Cologne. L’esprit lourdement décoratif de l’œuvre inspira de nombreux auteurs germaniques, Johann Jacob Ebelmann (Lehr- und Kunstbuch allerhant Portalen, Reisbetten, und Epitaphien, 1600), Gabriel Kramer (Architectura, 1600), Rutger Kasemann (Seilen bochg darin gieziert seilen unt termen sin, 1616, traduit en français en 1622), Jacob Guckeisen (Seilen Buch, 1598). Dans la pratique, de nombreux édifices tirèrent parti des planches de Dietterlin : en Europe du nord au XVIe siècle, construire à l’antique revenait à créer un portail (Forssman 1956, p. 73), et l’Architectura offrait en quantité de modèles, que l’on retrouve tant en Allemagne et au Danemark (Albrecht 2002) qu’en Angleterre (Wells-Cole 1997). En Flandre et en Hollande, six planches avec les modèles des cinq ordres et des consoles toscanes (n° 6, 11, 46, 95, 272 et 176 du présent ouvrage), furent réutilisées dans des éditions bilingues du traité de Hans Blum publiées à Anvers et à Amsterdam à partir de 1619.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2012

Bibliographie critique

U. Albrecht, « L’influence des traités et des ordres sur le vocabulaire décoratif de l’architecture de la Renaissance. Le cas des pays nordiques », M.-C. Heck, F. Lemerle & Y. Pauwels (éd.), Théorie des arts et création artistique dans l’Europe du Nord du XVIe au début du XVIIe siècle, Villeneuve d’Ascq, PUL, 2002, p. 33-53.

H. G. Evers, introduction à la réédition en fac-similé de l’Architectura (Nuremberg, 1598), Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft , 1965.

E. Forssman, Säule und Ornament Studien zum Problem des Manierismus in den nordischen Säulenbüchern und Vorlageblättern des 16. und 17. Jahrhunderts, Stockholm/Uppsala, Almqvist & Wiksell, 1956.

E. Forssman, « Wendel Dietterlin, Maler und Architekturtheoretiker », N. Riegel & D. Dombrowski (éd.), Architektur und Figur. Das Zusammenspiel der Künste ; Festschrift für Stefan Kummer zum 60. Geburtstag, Munich, Deutscher Kunstverlag, 2007, p. 202-215.

G. U. Großmann, « Die verschiedenen Ausgaben der Architectura des Wendel Dietterlin », Anzeiger des Germanischen Nationalmuseums, 1997,, p. 157-173.

G. Irmscher, Kölner Architektur- und Säulenbücher um 1600, Bonn, Bouvier, 1999.

M. Pirr, Die Architectura des Wendel Dietterlin, Gräfenhainichen, Schulze, s.d. [1940].

K. Skelton, « Shaping the book and the building : text and image in Dietterlin’s Architectura », Word & Image, 2007, 23, 1, p. 25-44.

S. Vieten-Kreuels, « Wendel Dietterlin », H. Günther (éd.), Deutsche Architekturtheorie zwischen Gothik und Renaissance, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1988, p. 156-163.

A. Wells-Cole, Art and Decoration in Elizabethan and Jacobean England : The Influence of Continental Prints, 1558–1625, New Haven, Yale University Press, 1997, p. 28–29.

A. von Zahn, « Wendel Dietterlins Säulenbuch », Archiv für die zeichnenden Künste, 9, 1863, p. 97-108.