LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Consultation de l’ouvrage

Transcription du texte

English

     En 1645, le marchand libraire François Langlois, dit Chartres, obtint un privilège du roi pour « faire graver et imprimer en telle forme, grandeur et caractère, et autant de fois que bon luy semblera, un livre intitulé Manière de bien bastir pour toutes sortes de personnes, par Pierre le Muet, Ingénieur & Architecte ordinaire du Roy. Reveuë & augmentée en cette seconde edition de plusieurs figures de beaux bastimens & edifices, de l’invention & conduite dudit sieur le Muet : & ce durant le temps de vingt ans, à commencer du jour que le dit livre aura été imprimé ». Le volume parut au début de l’année 1647. À l’exception du frontispice et du titre retouchés pour inclure l’annonce de ces « augmentations », la première partie reprend sans changements le contenu et la mise en page de la première édition de la Manière de bâtir publiée en 1623. La seconde partie, inédite, est la première grande manifestation du talent de Jean Marot, comme graveur d’architecture.
Elle est une anthologie des œuvres de Le Muet. On y trouve les dessins de trois demeures parisiennes (maison Tubeuf, hôtels Coquet et d’Avaux) et de trois châteaux (Pont-sur-Seine, Tanlay, Chavigny), soit l’ensemble des bâtiments en ville et aux champs dessinés par Le Muet avant 1645, à l’exception de l’hôtel Marin de la Châtaigneraie, rue Paradis (1642). Ils constituent un complément de la Manière de bâtir, à laquelle se rattache explicitement la « maison de M. Tubeuf », légendée « distribution de la neuvième place » (pl. 2), tandis que les plans des trois châteaux et du grand hôtel d’Avaux viennent compléter, par le haut, la gamme des modèles de petit ou de moyen état (pour reprendre une expression de Jacques Androuet du Cerceau) présentés dans la première partie.
Comme il le fera pour les planches de ses deux célèbres recueils, Marot travaille à partir de dessins fournis par Le Muet, et non de relevés, ce qui explique les décalages entre ses gravures et les édifices bâtis. Cet écart peut être très important, masquant une irrégularité subie (pl. 16-17 : plans de Tanlay avec une cour régularisée), ou révélant un projet écarté (pl. 1 et 30 : élévation et coupe d’un projet de portail non retenu pour l’hôtel d’Avaux).
La planche 1, non légendée, représente un projet pour la porte de l’hôtel d’Avaux (visible aussi en coupe, pl. 30). Les planches 2 à 5 concernent le « Petit bastiment de Monsieur le président Tubeuf, rue des Petits champs à Paris », c’est-à-dire le petit hôtel bâti en 1643-1644, à l’angle de la rue de Richelieu et de la rue des Petits champs, pour Jacques Tubeuf, lorsque ce dernier loue à Mazarin le grand hôtel qu’il a racheté à Duret de Chevry (détruit lors de la construction de la Bibliothèque impériale par Henri Labrouste). Dans les planches 6, 7 et 8, Le Muet représente un « bastiment sciz rue Vivien », soit le petit hôtel bâti entre 1639 et 1642 pour Jacques Coquet, 18, rue Vivienne à Paris (augmenté par Jacques Bruand en 1658-1661 ; transformé de manière plus profonde au XIX^e siècle). Viennent ensuite les châteaux. Le « chasteau de Pontz en Champagne » (pl. 9-15), autrement dit le château de Pont-sur-Seine (Aube), est bâti pour Claude Bouthillier en 1638-1648 (incendié en 1814 ; subsistent une basse cour et le canal du jardin). Le « Chasteau de Tanlay en Bourgogne » (pl. 16-21), resté inachevé après une première campagne de travaux (1555-1568), fut achevé par Le Muet pour Michel Particelli d’Hemery entre 1643 et 1649 (il subsiste presque intact). Le « Chasteau de Chavigny en Touraine » (pl. 22-25) fut bâti à Lerné (Indre-et-Loire), pour Claude Bouthillier, de 1637 à 1646 (subsistent la plate-forme, le portail, la chapelle et l’escalier). Enfin, les planches 26-31 représentent l’« Hostel Davaux à Paris », demeure édifiée pour Claude d’Avaux, 78, rue du Temple à Paris, de 1644 à 1650 (aujourd’hui Musée d’art et d’histoire du judaïsme).
La Manière de bâtir avec ses Augmentations fut rééditée à Paris en 1663-1664 par Jean Du Puis et en 1681 par François Jollain. Une traduction anglaise de la première partie est publiée en 1670 à Londres par Robert Pricke : The art of fair Building. Les six planches de hauts combles droits, publiés en 1623, sont remplacés par des planches de combles brisés, plus modernes, empruntées au petit « Palladio, habillé à la française » publié par Le Muet en 1645. La deuxième édition, publiée en 1675 et 1679, contient, elle, les 31 planches des Augmentations.

Claude Mignot (Université de Paris-IV, Centre André Chastel) – 2005
notice revue en 2008

Bibliographie critique

P. Le Muet, Manière de bastir pour toutes sortes de personnes..., avec introduction et notes par Claude Mignot, Aix-en-Provence, Pandora, 1981.

C. Mignot, Pierre Le Muet, architecte (1591-1669), Thèse de doctorat, Paris-Sorbonne, 1991 (éd. microfichée, Université de Lille 3).

C. Mignot, « L’hôtel de Saint-Aignan », Guide des collections du Musée d’Art et d’Histoire du judaïsme, Paris, Musée d’art et d’histoire du judaïsme, 1999, p. 14-19 (1^ère éd. 1998).

C. Mignot, « Le château de Chavigny à Lerné », Congrès archéologique de France, Touraine (1997), 2003, p. 153-168.

C. Mignot, « Bâtir pour toutes sortes de personnes : Serlio, Du Cerceau, Le Muet et leurs successeurs en France. Fortune d’une idée éditoriale », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 440-447, 474.

C. Mignot, « Le château de Pont en Champagne, la ‘maison aux champs’ de Claude Boutillier, surintendant des finances de Louis XIII », Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot, 94, 2005, p. 173-212.

C. Mignot, « Les modèles de Pierre Le Muet à l’épreuve du temps : l’hôtel Coquet, puis Catelan, à Paris », Bulletin de la Fédération des sociétés historiques et archéologiques de Paris et de l’Ile-de-France, 2007, p. 189-238.