LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Vignole
Danti, Ignazio
Titre Le due regole della prospettiva pratica...
Adresse Rome, F. Zanetti, 1583
Localisation Getty Research Institute, NC749.V5 1583er
Mots matière Perspective
Transcription du texte

English

     Ce traité est l’œuvre du mathématicien Ignazio Danti (1536-1586). Il divulgue au public les deux règles de perspective rédigées par l’architecte Vignole et restées inédites. Quelques feuilles de ces manuscrits sont conservées aux archives de l’Accademia di San Luca à Rome dont Danti était également membre. Cependant, il ne s’agit pas d’une simple transcription et édition commentée des deux règles : Danti a composé un véritable manuel des enseignements de géométrie destinés aux artistes figuratifs et une encyclopédie des pratiques contemporaines de perspective. L’ouvrage est l’héritier du traité de Daniele Barbaro (1568) qui constituait une première tentative de regarder les méthodes de perspective à l’aune des pratiques en usage.
     La première édition voit le jour à Rome en 1583, chez Francesco Zanetti, dix ans après la mort de Vignole. Elle est suivie de nombreuses rééditions jusqu’au milieu du XIXe siècle, période qui correspond également à la fin de l’hégémonie de la perspective comme régulateur de la représentation de l’espace. Au XVIIe siècle, plusieurs traductions sont réalisées en français et en castillan mais restent à l’état de manuscrit. Les copies partielles et planches de démonstration circulant dans les ateliers sont nombreuses. Le traité a été republié en 1974, 1985 et 2007. Une traduction en français moderne est parue en 2003.
     L’ouvrage est composé d’une partie théorique et d’une autre pratique. Il s’ouvre sur une définition de la perspective qui fonde les mathématiques comme « âme et esprit qui donnent forme et existence aux arts du dessin ». Danti pose d’emblée la question de la mimèsis ; cependant, il développe par la suite la distinction entre l’imitation de la vision et celle du processus de vision. Selon lui, la perspective est un outil tant productif que cognitif. Il présente ensuite le vocabulaire et les notions employées. Cette partie lui donne l’occasion de clarifier des notions élémentaires d’optique tant géométrique qu’anatomique. Suivent les instructions géométriques, sous la forme de théorèmes pour lesquels le lecteur est invité à dessiner par lui même les figures au fur et à mesure du développement de l’exposé. Ces théorèmes sont principalement nourris d’Euclide et sont, selon Danti, utiles à la pratique de la perspective. Utiles mais non indispensables : c’est là le grand atout didactique du traité, de parvenir à proposer des cheminements différents selon les attentes de ses lecteurs. Certains estimeront nécessaire de « connaître les raisons des choses », d’autres « qui ne s’intéressent pas aux démonstrations, pourront se satisfaire de la manière de procéder ».
     Afin de mieux faire comprendre que les théorèmes ne sont rien d’autre que la traduction de la réalité, il n’omet pas de montrer l’adéquation entre théorie et pratique. Par exemple, il expose parallèlement la possibilité de déterminer géométriquement la réduction progressive des carroyages selon la distance et l’expérience conduite par le peintre Tommaso Laureti avec un instrument spécifique. Danti, professeur de mathématiques à l’université de Bologne, était issu d’une famille d’artistes et conduisit, tout au long de sa vie, des collaborations avec des artistes. Son approche théorique est fortement marquée par cette expérience.
     La première règle de Vignole relève du modo optimo d’Alberti. Elle est fondée sur l’intersection de la pyramide visuelle par le plan du tableau et sa mise en œuvre rend la géométrisation du processus de vision explicite. Danti montre que cette règle est la formulation de l’opération réalisée par Dürer dans son portillon. Il présente d’autres variantes améliorées de cet instrument, employées par des artistes et des mathématiciens. Il ajoute des cas particuliers, comme l’instrument de Baldassare Lanci, qui relève les points nécessaires au tracé perspectif sur une surface concave. La deuxième règle de Vignole est celle qui emploie un point de distance, elle est plus difficile à comprendre mais plus rapide à employer et permet de dessiner de manière fiable des sujets complexes. Malgré son caractère plus conceptuel, elle est, d’après son auteur Vignole, « la plus excellente d’entre toutes ». Selon Danti, toutefois, la règle la plus employée est celle qu’il associe au nom de Baldassare Peruzzi et qui recourt, elle aussi, au point de distance. Elle fut exposée également par Serlio (1545) et employée par Antonio da Sangallo. C’est une règle très simple qui nécessite peu de procédures et qui limite tracés et relevés.
     En complément de ces trois règles qui constituent le but de son propos, Danti présente une très grande variété de règles et méthodes qui donnent à son ouvrage un caractère unique : plusieurs règles fausses qu’il a vues employées dans des ateliers, la méthode particulière de la perspective de sottoinsù, appelée ailleurs la quadrature, la manière de peindre la perspective des plafonds, la perspective des periakton pour les scènes des théâtres, les anamorphoses et d’autres questions particulières encore. À de nombreuses reprises, il avance des descriptions et commentaires d’œuvres contemporaines. Pour chacune des règles, Danti accorde une attention particulière à la littérature précédente et montre en quoi les procédures qu’il expose sont des produits de la culture des XVe et du XVIe siècles. Il cite et commente ceux qui l’ont précédé, il montre avec clarté la distinction et les circulations entre les principes théoriques, la propédeutique mathématique et la pratique artistique. Son ouvrage n’est pas seulement le plus complet qu’on ait rédigé à la Renaissance sur la perspective, c’est aussi celui qui connut la plus grande postérité.

Pascal Dubourg Glatigny (Cnrs, Centre Koyré, Paris) – 2015


Bibliographie critique

E. Danti, Les deux règles de la perspective de Vignole, traduction de P. Dubourg Glatigny, Paris, CNRS éditions, 2003.

F. Diaz Moreno, « De arquitectura y perspectiva: Felipe Lázaro de Goiti, traductor de Barbaro y Vignola-Danti », Anales de Historia del Arte, 2003, 13, p. 191-210.

P. Dubourg Glatigny, « Egnatio Danti as the founder of the authentic theory of artistic perspective as compared to late Renaissance ideas on the authenticity of texts », South African Journal of Art History, 19, 2004, p. 48-68.

P. Dubourg Glatigny, Il disegno naturale del mondo : Saggio sulla biografia di Egnatio Danti con l’edizione del Carteggio, Pérouse, 2011 (avec la description bibliographique de toutes les rééditions).

F. Fiorani, « Danti edits Vignola : the formation of a modern classic on perspective», Studies in the History of Art, 59, 2003, 127-159.

J. Kuhn, « La buona squola di Badassare : Vignola’s Due Regole as a source for Peruzzi’s perspective techniques », C. L. Frommel et al. (éd.), Baldassarre Peruzzi (1481-1536), Venise, Marsilio, 2005, p. 411-442.

P. Roccasecca, « Per una storia del testo de ‘Le due regole della prospettiva pratica’ », R. J. Tuttle, B. Adorni, C. L. Frommel, C. Thoenes (éd.), Jacopo Barozzi da Vignola, , Milan, Electa, 2002, p. 367-372.

P. Roccasecca, « La ‘Portione del manoscritto originale diGiacomo Barozzi da Vignola della sua propposettiva’ », R. J. Tuttle, B. Adorni, C. L. Frommel, C. Thoenes (éd.), Jacopo Barozzi da Vignola, Milan, Electa, 2002, p. 372-377.

P. Roccasecca « Danti e le due regole », C. L. Frommel, M. Ricci, R. J. Tuttle (éd.), Vignola e i Farnese, Milan, Electa, 2003, p. 161-173.