LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Vignole
Titre Reigle des cinq ordres d’architecture...
Adresse Paris, P. Firens, s.d. [1620-1630]
Localisation Munich, Bayerische Staastsbibliothek, Res/2 A.civ. 245
Mots matière Ordres
Transcription du texte

English

     Les artistes flamands tels Thomas de Leu, Gabriel et Melchior Tavernier qui vinrent s’installer à Paris à partir de 1575-1585, fuyant Anvers et ses troubles, importèrent une technique de la taille-douce poussée à sa perfection. C’est à eux que l’on doit les premières éditons de Vignole en France. Si l’on connaît bien la version de Pierre Le Muet, publiée et gravée en 1632 par Melchior II Tavernier, il n’en va pas de même de celle de Pierre I Firens (c1580-1638) publiée sans date. Firens, fils de Guillaume Firens, apparenté à une famille de libraires de Middelbourg, a travaillé dans sa jeunesse à Anvers avant de rejoindre la France avec son père en 1604. Naturalisé en 1607, il exerça à Paris comme graveur en taille-douce, éditeur et marchand d’estampes, souvent associé à d’autres libraires et marchands. Installé rue Saint-Jacques, Aux Trois Brochets en 1619-1620, il se serait établi ensuite dans la même rue à l’enseigne de L’Imprimerie de Taille douce, après un bref passage rue des Juifs en 1623 (Préaud, Casselle, Grivel, Le Bitouzé 1987, p. 125-126). C’est donc après cette date qu’il a donné la première traduction parisienne de Vignole, mais contrairement à ce que l’on peut lire, avant 1632, date où Le Muet publie sa version « revue, augmentée et réduite de grand en petit », autrement dit en format de poche (in-8°) et même sans doute bien avant comme le révèle la traduction française qu’a suivie Firens.
     Depuis 1562 la Regola delli cinque ordini di architetura n’a pas cessé d’être éditée en Italie dans des versions augmentées. Traduite en espagnol en 1593, elle aurait connu une version allemande en 1617 publiée à Nuremberg dans un format in-8 (Walcher Casotti 13), avant de faire l’objet la même année à Amsterdam d’une édition quadrilingue in-folio (français, allemand, néerlandais, italien) due à Willem Jansz Blaeu, retirée en 1619, et rééditée en 1620 par Johannes Janssonius. Une autre édition quadrilingue suivit avec une traduction anglaise à la place de la version allemande (Utrecht, 1629), puis une édition en cinq langues publiée à Amsterdam en 1640, rééditée en 1642. Il est assez naturel que les versions françaises imprimées aux Pays-Bas aient inspiré les traductions publiées à Paris par les graveurs d’origine flamande Firens et Tavernier, à une époque où Vignole a définitivement supplanté Serlio.
L’édition Firens (Fowler 361 ; Walcher Casotti 35 ; RIBA 3447, n° 22) est très différente dans le contenu comme dans le format de celle de Tavernier/Le Muet. À l’instar des publications néerlandaises, c’est un in-folio : Firens y reproduit fidèlement le texte de l’édition néerlandaise de 1617/1619, affichant clairement sa source en reproduisant sur la page de titre au-dessus du fronton la marque de Jansz Blaeu, où sont représentés les instruments de l’architecte (équerre, niveau, compas). Dans la planche XXVIIII, il reproduit le texte français lacunaire de la première édition de 1617, ou de son retirage de 1619 : « Ce que se peut juger par le present ici desseigné, lequel ayant quatre Aigles en lieu de tigettes, & en lieu de frutage quatre faces de Jupiter. Tout ainsi l’on peut dire de cest autre, qui a quatre Grisons en lieu de tigettes... etc. » (p. 66), alors que les éditions de 1620 ou 1629 restituent le texte manquant, conformément à la version italienne. Autre similitude, le texte de la planche XXIX parle de « demi-montée » alors que dans les éditions ultérieures de 1620 et 1629 il est question de « montee ». Toutefois l’édition Firens ne comporte que trente planches, sans compter la page de titre et l’avis aux lecteurs, soit celles de l’édition princeps publiée à Rome en 1562 (la courte dédicace figurant juste avant l’avis aux lecteurs a été supprimée) : elle n’a donc pas les ajouts des versions italiennes, soit les douze gravures reproduites dans toutes les éditions néerlandaises multilingues (quatre portes et une cheminée prévues par Vignole sans doute pour une nouvelle édition et sept autres apparues dans les éditions de la Regola au début du XVIIe siècle). On peut enfin noter par rapport au modèle amstellodamois l’inversion de la planche des cinq ordres (pl. I), qui reproduit l’ordre composite, puis le corinthien, l’ionique, le dorique et le toscan, de gauche à droite.
     De fait l’édition Firens n’eut pas le retentissement de la version de poche si personnelle de Le Muet, qui fut un best-seller aussi bien en France qu’en Europe du Nord où elle fut l’objet de contrefaçons puis de traductions en allemand, néerlandais et anglais. Elle fut pourtant retirée en 1664 par Nicolas I Berey (1610-1665) sous le titre nouveau et fallacieux, Le grand Vignol augmenté...) (Welcher Casotti 64, RIBA 1447, n° 53).

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2016

 


Bibliographie critique

M. Grivel, Le commerce de l’estampe à Paris au XVIIesiècle, Genève, Droz, 1986, p. 45-47, 301.

F. Lemerle, « Les versions françaises de la Regola de Vignole au XVIIe siècle », In monte artium, 1, 2008, p. 101-120.

F. Lemerle & Y. Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe (XVIe-XVIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 89, 107-109.

M. Préaud, P. Casselle, M. Grivel, C. Le Bitouzé, Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Promodis, 1987, p. 125-126.

M. Walcher Casotti, « Giacomo Barozzi da Vignola : Regola delli cinque ordini d’architettura », in E. Bassi(éd.), Pietro Cataneo, Giacomo Barozzi da Vignola : trattati, Milan, il Polifilo, 1985, p. 497-540-553.