LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Serlio, Sebastiano
Titre [Libro sesto di tutte le habitationi...]
Adresse  
Localisation Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod. Icon. 189
Mots matière Architecture civile
Transcription du texte

English

     Dans l’introduction du Livre VII (Il settimo libro d’architettura, 1575, f. a 3v°), Jacopo Strada dit avoir acheté à Serlio à Lyon tous ses dessins avec les textes correspondants. Le manuscrit du Livre VI ainsi que celui du Livre VIII (Della castramentatione di Polibio), également conservé à la Bayerische Staatsbibliothek (Cod. Icon 190), ont dû être vendus ensemble par Serlio à Strada en 1552-1553, en même temps que le manuscrit du Livre VII conservé également à Vienne (Nationalbibliothek Codex S. N. 2649) et ses planches, aujourd’hui détruites (Jansen 1989, p. 207, 213, 215 n. 44). L’une des pages de garde en papier du manuscrit du Livre VIII présente un morceau de papier collé avec une annotation du bibliographe belge Samuel Quiccheberg (1529-1567), lequel s’est occupé de la bibliothèque d’Hans Jakob Fugger en 1558. Or Strada vendit des livres et des manuscrits à Fugger et au duc Albert V de Bavière avant de devenir, en 1564, l’antiquaire attitré de l’empereur Ferdinand Ier d’Autriche. Le duc de Bavière acquit la bibliothèque de Johann Jakob Fugger en 1571 : une autre page de garde en papier du manuscrit du Livre VIII présente les deux ex-libris des ducs de Bavière déjà observés sur le manuscrit du Livre VI. William Bell Dinsmoor a découvert que le papier de ces deux pages de garde avait été fabriqué en Lorraine et utilisé en Allemagne entre 1558 et 1570. Les manuscrits des Livres VI et VIII étaient dans la bibliothèque des ducs de Bavière à partir de 1585, date à laquelle ils furent consultés par Frederich Sustris, peintre de la cour.
Les manuscrits du Livre VI et du Livre VIII restèrent oubliés jusqu’à leur mention en 1924 par Anne-Marie Cetto dans sa thèse sur l’abbé de Saint-Hilarion (1923/24, p. 16, n. 1). L’attribution des deux manuscrits à Serlio fut confirmée à la même époque par Kurt Cassirer. Dinsmoor fut en 1942 le premier chercheur à étudier avec précision les liens entre le manuscrit de Munich et celui de New York.
Bien que Serlio ait mentionné le Livre VI dans le projet de traité détaillé dans l’introduction du Livre IV (1537, f. V) les manuscrits de Munich et de New York furent écrits en France. Dans son « Avertissement aux lecteurs » à la fin des Livres I et II (1545, f. 74), Serlio affirme que les trois quarts du Livre VI étaient terminés. Dans le Livre V (1547, f. 33), il déclare qu’il pourra le faire suivre des deux suivants : les livres sur l’habitation (Livre VI) et sur les « accidents » (Livre VII). Dans le Livre VII (p. 1, 94), composé en même temps que le Livre VI, Serlio indique que le livre sur les habitations est achevé et livré au public. Cette dernière déclaration est problématique. Serlio devait se référer aux planches conservées à Vienne (Nationalbibliothek, 72.P 20) qu’il avait préparées pour sa publication. Le Livre VI est aussi mentionné dans deux lettres envoyées au duc Hercule II d’Este en 1546, l’une écrite le 5 mai par Giulio Alvarotti, son ambassadeur auprès de François Ier, et la seconde écrite le 16 octobre par son frère, le cardinal Hyppolite II d’Este, légat du pape en France. Dans la première, Alvarotti dit que le livre sur les habitations est prêt à être publié. Le duc Hercule II d’Este, frère du cardinal, avait financé la publication de la première édition du Livre IV (1537).
Le manuscrit de Munich, exemplaire de présentation exécuté sur vélin, est conçu pour être lu comme un livre imprimé avec les pages de texte placées en face des illustrations. Il n’y a pas de page de titre. Pour désigner les différents projets, Serlio emploie les chiffres romains dans deux séries : I-XL pour les maisons rurales et I-XXII pour les habitations urbaines. Une main plus tardive a précisé les folios dans une série numérotée en chiffres arabes : ff. 1v°-44 pour les habitations rurales et ff. 44v°-73 pour les maisons urbaines. Le recto du premier folio est une introduction à la première partie sur les maisons rurales intitulée Delle habitationi di tutti li grade degli homini furoi della città. Le texte pour les projets I-II est sur le folio 1v° avec le titre « Della casa del povero cittadino per questo gradi della povertà », qui fait face aux illustrations du folio 2. Chaque illustration est placée à droite, avec le texte correspondant sur la gauche. À la différence du manuscrit de l’Avery, tous les folios de texte et d’illustrations ont des titres. Les maisons urbaines s’achèvent au folio 73 ; le verso de ce folio est vierge. On trouve un avertissement au lecteur, « Discorso sopra alcune cose lassate a drieto per la brevita » (ff. 74-74v°).
Dans l’introduction des maisons rurales (f. 1v°), Serlio signale qu’il est au service du roi Henri II. À la différence de Vaughan Hart et de Peter Hicks, je pense que Serlio avait dû commencer le manuscrit de Munich en avril 1547 à Fontainebleau, avant d’être remplacé par Philibert De l’Orme comme architecte du roi le 3 avril 1548. Serlio en effet fait plusieurs fois référence à François Ier lorsqu’il mentionne les bâtiments qu’il a conçus pour lui : projet XL, une villa ovale (f. 42), projet XXIX, une petite maison de plaisance (f. 31), et projet XXII pour le Louvre (f. 66). Dans la description du projet XV, une variante du Grand Ferrare (f. 14), Serlio évoque François Ier au passé, de même qu’au folio 31v°. Dans un autre projet (XXXIV, f. 38v°) une villa construite pour François Ier dans le manuscrit de l’Avery (projet 29, pl. XL-XLII) est désormais attribuée à Henri II. Serlio continua à travailler sur le manuscrit de Munich à Lyon où il s’était rendu avec le cardinal d’Este pour participer aux préparatifs de l’entrée de Henri II à Lyon le 23 septembre 1548. Le Grand Ferrare (1542-1546), demeure bellifontaine du cardinal dont celui-ci n’avait pas voulu qu’il fût inclus dans le manuscrit de New York, est représenté en deux versions dans le manuscrit de Munich (XV, ff. 14v°-15 et XVI, ff. 15v°-16). Serlio imagine une loggia toscane sur la façade de la première variante (XV, f. 15) ; la façade de la demeure telle qu’elle a été construite est conforme à celle du manuscrit de l’Avery (pl. XI), sans ordres. Marco Rosci pense que Serlio conçut ces deux versions du Grand Ferrare entre 1549 et 1550, années où le cardinal quitte Lyon et où Serlio achève son manuscrit.
Dans l’avertissement au lecteur placé à la fin des Livres I et II (1545, ff. 73v°-74), Serlio écrit qu’il voulait voir chaque illustration disposée face au texte et les illustrations en pleine page avec des retombes. Toutefois ces livres ne furent pas imprimés comme il le souhaitait. Si le manuscrit du Livre VI de Munich avait été édité, il aurait été le premier traité architectural publié en Europe avec des illustrations en pleine page face au texte sur une page séparée. Rosci a remarqué que dans l’introduction du manuscrit de Munich (f. 1), Serlio soulignait l’importance des illustrations soigneusement dessinées pour transmettre les idées de l’architecte. Pour mettre en avant cet aspect, Serlio utilise le mot gréco-latin « grafica » en plus du mot italien « disegno ».
Comme dans le manuscrit de l’Avery, Serlio présente les maisons urbaines et rurales selon un ordre hiérarchique, de la demeure du citoyen le plus pauvre au palais du roi. Il y a trente-deux maisons rurales. Par erreur, Serlio numérote la dernière maison rurale XL dans le manuscrit de Munich. Les numéros des projets I à XIX sont corrects de même que ceux des projets XXVI à XXIX. Cependant, pour chaque projet de XX à XXV, Serlio donne deux numéros, faisant trois projets au lieu de six. Les projets XXX à XXXI sont un seul bâtiment. Serlio a omis les numéros XXXV à XXXVIII et passe du projet XXXIV au projet XL.
Dans le manuscrit de Munich, Serlio change la hiérarchie des habitations rurales. Il fait correspondre les variantes d’une maison pour le cardinal de Ferrare (projets XV-XVI), le château d’Ancy-le-Franc (projet XVII) et sa variante (projet XVIII) à un niveau social plus élevé, en les destinant à des princes et non plus à des gentilshommes. Le nombre de villas pour les princes est accru, passant à dix (XV à XIX) contre sept dans le manuscrit de l’Avery ; en revanche, il ne reste que trois villas pour les gentilshommes (XII à XIV). Le nombre de villas fortifiées pour les princes passe de trois dans le manuscrit de l’Avery à cinq (XVII-XVIII, XXVI-XXVIII). Il s’agit peut-être d’une réponse à la montée des hostilités entre protestants et catholiques qui débuta dans les années 1540 et mena aux guerres de religion à la fin du règne d’Henri II.
Il y a vingt-deux habitations urbaines, une de plus que dans le manuscrit de New York, car Serlio ajoute une variante au projet P du manuscrit de l’Avery, la maison pour un gentilhomme : il s’agit des projets XV et XVI pour des palais urbains. Lorsque l’on compare les deux manuscrits du Livre VI, on peut constater que Serlio fait de nombreux changements dans le texte et les illustrations. Il harmonise également la mise en page. Comme il n’avait pu publier la première version, écrite sous François Ier, il l’a révisée sous Henri II en prenant en compte certaines critiques. Il ajoute des références aux traités d’Alberti et de Vitruve dans l’introduction sur les maisons rurales (f. 1) et dans l’avertissement au lecteur, supprime des éléments décoratifs irréguliers observés sur les façades du manuscrit de l’Avery, tels que les colonnes de la maison de campagne pour le roi (projet 29, pl. XL du manuscrit de New York). Serlio réagit au changement de goût qui s’était produit après qu’il eut commencé la réalisation de son projet. Entre 1548 et 1553 apparaît une position beaucoup plus orthodoxe envers les théories de Vitruve et d’Alberti. En 1547, Jean Martin avait publié à Paris la traduction française du traité de Vitruve (Architecture ou art de bien bastir) ; sa traduction d’Alberti suivit en 1553 (L’architecture et art de bien bastir). Entretemps, en 1552, était parue à Lyon chez Jean de Tournes une édition de Vitruve en latin, avec les annotations de Guillaume Philandrier (M. Vitruvii Pollionis de architectura libri decem... Accesserunt, Gulielmi Philandri... annotationes).
Sans doute le Livre VI ne fut-il jamais publié car même la seconde version ne répondait pas au désir des architectes et des commanditaires d’adhérer plus strictement aux théories classiques et d’avoir des édifices dans le dernier goût italien. Dans ses projets, Serlio n’utilise ni les proportions harmoniques pour les dimensions des pièces ni les proportions des cinq ordres présentés dans le Livre IV (f. VI). Non sans ironie, comme l’a remarqué Marco Rosci, il justifie la « discordia concordante » de ses habitations rurales et urbaines par son adhésion aux principes vitruviens de firmitas, utilitas et venustas. Dans l’introduction des maisons rurales et dans la conclusion, il indique que les besoins spécifiques des Français pour la distribution (« commodità »), la décoration (« decoro ») et le climat justifiaient son éloignement des normes classiques de l’architecture. En outre, dans un bâtiment bien conçu, le « decoro » doit venir après la « commodità ».

Myra Nan Rosenfeld (Victoria University Centre for Reformation and Renaissance Studies, University of Toronto) – 2012

 

Bibliographie critique

A. Cetto, Der Proportionstraktat des Abbé de Saint-Hilarion und seine Bedeutung innerhalb der französichen Architectur des XVII Jahrhunderts, Cologne, Faculty of Philosophy, 1923/24.

W. B. Dinsmoor, « The Literary Remains of Sebastiano Serlio », The Art Bulletin, 24, 1942, p. 54-91, p. 115-154.

F. P. Fiore, « Le manuscrit du Sesto Libro conservé à Munich », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 167-170.

F. P. Fiore & T. Carunchio (éd.), S. Serlio, Architettura Civile, Libri Sesto, Settimo e Ottavono nei manoscritti di Monaco e Vienna, Milan, Il Polifilo, 1994.

S. Frommel, Sebastiano Serlio architetto, Milan, Electa, 1998 (tr. fr. : Paris, Gallimard, 2002).

D. J. Jansen, « Jacobo Strada editore del Settimo Libro », C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, Milan, Electa, 1989, p. 207-215.

M. N. Rosenfeld, « Sebastiano Serlio’s Contribution to the Creation of the Modern Illustrated Architectural Manual », C. Thoenes (éd.), Sebastiano Serlio, Milan, Electa, 1989, p. 102-111.

M. N. Rosenfeld, « Recent Discoveries about Sebastiano Serlio’s Life and his Publications », préface à Sebastiano Serlio: On Domestic Architecture (réédition du fac-similé de 1978 du manuscrit de l’Avery), New York, Dover Publications, 1996.

M. N. Rosenfeld, « Le dialogue de Serlio avec ses lecteurs et mécènes en France dans le Sesto Libro », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire active, 2004, p. 145-154.

M. Rosci, Il trattato di architettura di Sebastiano Serlio ; Il Sesto libro, delle habitationi di tutti li gradi degli homini (fac-similé du manuscrit du Livre VI de Munich), Milan, ITEC Editrice, 1966.

Sebastiano Serlio on Architecture, Volume Two, Books VI-VII of ‘Tutte lopere d’architettura et prospetiva’ with ‘Castrametation of the Romans’ and ‘The Extraordinary Book of Doors’ by Sebastiano Serlio, translated from the Italian with an introduction and commentary by V. Hart and P. Hicks, New Haven/Londres, Yale University Press, 2001, p. xxvi-xxxii, xlviii-xlix, liv ; 1-155, 513-541, 617-620.