LES LIVRES D’ARCHITECTURE
On ne peut comprendre l’intérêt de la publication de Jean Boisseau, non répertoriée dans les bibliographies spécialisées (voir par exemple RIBA n° 2917, p. 1750-1752), sans rappeler la fortune éditoriale de l’Idea dell’architettura universale de Vincenzo Scamozzi en Europe du Nord. En 1616 en effet, soit un après sa parution à Venise, l’ouvrage avait été présenté à la foire de Francfort et des exemplaires avaient été diffusés en Angleterre et aux Pays-Bas ; à la mort de l’auteur, en août de la même année, le libraire-éditeur Justus Sadeler avait racheté à Anvers les invendus. C’est donc la version italienne qui inspira directement Jacob van Campen, l’architecte de Maurice de Nassau, et ses disciples, Pieter Post, Philips Vingboons et Arent van’s-Gravesande à La Haye et Amsterdam. Dans ce contexte favorable Cornelis Danckerts, spécialisé dans les livres d’architecture, avait publié en 1640 la traduction hollandaise du livre VI du traité, consacré aux ordres qu’il destinait aux commanditaires qui n’avaient pas accès à l’édition originale. Son fils Dancker poursuivit le projet paternel en réunissant le livre III sur les habitations au livre VI (1658). Mais ces belles éditions in-folio ne convenaient guère aux entrepreneurs et artisans qui avaient besoin d’un manuel commode et pratique avec les modèles des ordres scamozziens. Aussi le maître tailleur de pierre d’Anvers Simon Bosboom (1614-1662) eut-il l’idée de publier en 1657 dans un petit in-folio un abrégé du livre VI destiné à ses collègues, Cort onderwys vande vyf colommen, réduit aux colonnes et à leurs détails, avec un nouveau système de proportions facilement compréhensible – le module divisé en soixante parties permettant de calculer les proportions de toutes les parties de l’ordre. Cette fortune éditoriale de Scamozzi en Europe du Nord, bien étudiée (Ottenheym 1999, 2002, 2006-2007) a occulté l’influence de l’Italien en France : ce n’est pas à Amsterdam en 1658 mais à Paris en 1646 qu’a été publiée la première adaptation des livres III et VI. Sous sa forme minimaliste la publication de Jean Boisseau est le prototype de l’abrégé hollandais du livre VI de 1657. Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2014
Bibliographie critiqueA. Gady, « L’ordre ionique de Scamozzi en France au XVIIe siècle : de la diffusion à l’appropriation », S. Frommel & F. Bardati (éd.), La réception des modèles cinquecenteschi dans la théorie et les arts français du XVIIe siècle, Genève, Droz, 2002, p. 297-314. A. Hopkins & Arnold Witte, « From deluxe architectural Book to Builder’s Manual : the Dutch Editions of Scamozzi’s “L’Idea della Architettura Universale” », Quærendo, 26-4, 1996, p. 274-302. F. Lemerle & Y. Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe, suivi d’une bibliographie des livres d’architecture (XVIe-XVIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 110-112. F. Lemerle, « Le XVIIe siècle français et l’Idea dell’architettura universale (1615) de Vincenzo Scamozzi », Revue de l’art, 188, 2015-2, p. 49-55. K. Ottenheym, « Le traduzioni olandesi dei trattati di Palladio e Scamozzi », G. Beltramini (éd.), Palladio nel Nord Europa. Libri, viagiatori, architetti, Milan, Skira, 1999, p. 156-157. K. Ottenheym, « L’idea della Architettura universale de Vincenzo Scamozzi et l’architecture du XVIIe siècle aux Pays-Bas », M-C. Heck, F. Lemerle & Y. Pauwels (éd.), Théorie des arts et création artistique dans l’Europe du Nord du XVIe au début du XVIIe siècle, Lille, PUL, collection UL3 Travaux et Recherches, 2002, p. 121-139. K. Ottenheym, « A Bird’s Eye View of the Dissemination of Scamozzi’s Treatise in Northern Europe », Annali di architettura, 18-19, 2006-2007, p. 187-198.
|