LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Auteur(s) |
Sagredo, Diego |
Titre |
Medidas del Romano... |
Adresse |
Tolède, R. de Petras, 1526 |
Localisation |
Bibliothèque de l’Université de Salamanque, BG/36176(2) |
Mots matière |
Architecture, ordres |
English
Les Medidas del Romano de Diego de Sagredo (1526) sont le premier texte imprimé en langue espagnole sur l’architecture et le premier texte original publié sur le sujet en dehors de l’Italie à la Renaissance. C’est aussi le premier ouvrage qui soit parvenu en Amérique et qui eut une influence sur son architecture, comme en témoignent encore certains édifices. En outre, c’est un texte imprimé en deux langues (espagnol et français) et publié dans trois pays (Espagne, Portugal et France) où il est progressivement modifié et mis à jour. Entre Tolède et Paris, il inaugura un type de « traité des colonnes » qui devait jouir d’un succès certain dans l’Europe du XVIe siècle, cité par Pieter Coecke van Aelst dans son Die inventie der colommen dès 1539. C’est pour ces raisons que nous devons parler autant d’un « Sagredo espagnol » de 1526 que d’un « Sagredo français » de 1536, intimement liés mais aussi différents.
Diego de Sagredo, originaire de Burgos, étudiant et diplômé en arts à l’université d’Alcalá de Henares était un clerc appartenant à l’entourage des cardinaux Cisneros et Fonseca (à qui il dédia son texte) ; il fut chapelain de la reine Jeanne la Folle ainsi que prébendier, horloger et bibliothécaire de la cathédrale de Tolède. Il exerça une activité architecturale en supervisant la réalisation d’œuvres destinées à l’archevêché de Tolède et en concevant des architectures éphémères pour les festivités liturgiques de l’église primatiale. Après un voyage en Italie effectué avant 1522, Sagredo termina en 1524 ses Medidas, éditées à Tolède en mai 1526, moment parfaitement propice pour l’importation du goût romanisant.
Malgré sa tonalité et sa structure littéraire humanistes, sous forme de dialogue entre Tampeso (Sagredo lui-même) et Picardo (le peintre français actif à Burgos, Léon Picard), citant également le sculpteur Felipe Bigarny « de Bourgogne » et le ferronnier Cristobal de Andino, le petit volume avait comme destinataires prioritaires les ouvriers castillans de la taille (tailleurs, appareilleurs, sculpteurs, ferronniers) avant les architectes et les maîtres d’œuvres eux-mêmes, fonction que démontreraient, dans le temps, sa renommée et son succès éditorial en termes de réception. Ainsi les Medidas ont-elles été traduites en français vers 1536 et en 1539, publiées en castillan au Portugal en 1541 et 1542 (trois éditions au total), de nouveau à Tolède en 1549 et 1564, et de nouveau à Paris en 1542, 1550, 1555 (deux éditions) et finalement en 1608, en citant le nom de l’auteur espagnol disparu depuis bien des années.
Le but de Sagredo était de rédiger un manuel, destiné davantage aux ouvriers et aux dilettantes qu’aux humanistes, qui leur permette de maîtriser ce que pour la plupart on considérait comme la partie la plus importante de l’architecture romaine qui se pratiquait en Italie : les genres de colonnes. Il développait une série de règles qui ne se trouvaient ni dans les textes ni n’étaient mises en évidence dans les ruines. En partant d’idées de base, comme le fondement mathématique de l’architecture et la proportionnalité de l’homme, il bâtit son ouvrage à partir d’informations parfois contradictoires tirées du De architectura du « Romain » Vitruve (deux éditions latines, vers 1486-1487 et 1511 et une italienne en 1521), de Pline l’Ancien (par l’intermédiaire de l’encyclopédie de Raffaele Maffei dit il Volterrano plus que par l’Histoire naturelle), de Leon Battista Alberti (De re aedificatoria, 1485 et 1512) et de Luca Pacioli (De divina proportione, 1509). Toutes ces informations concernent les formes et les mesures des différents éléments qui composent les quatre genres de colonnes, dans un système qui deviendra à partir de 1537, grâce à Sebastiano Serlio qui en donne le meilleur exemple, celui des cinq ordres classiques.
Dans le vaste contexte des traités européens d’architecture, les Medidas ne sont pas, au sens strict du terme, « architectoniques » mais en quelque sorte « pré-architectoniques », somme d’éléments d’application plus morphologique et décorative que véritablement tectonique et structurelle, ce que les architectes contemporains concevaient comme le domaine de leur véritable compétence. Néanmoins, que ce fût dans la version espagnole ou dans la version française, plus élaborée, le livre de Sagredo joua son rôle dans l’histoire de la définition du système des ordres et de ce type de texte. Certes, Sebastiano Serlio en donne la forme définitive, et Vignole la domine ; mais les « deux Sagredo » en furent les deux premiers maillons imprimés. De fait, on a pensé que Serlio lui-même s’était servi non seulement des mesures des piédestaux de l’édition française mais aussi de l’image des ordres « entiers », représentés depuis le piédestal jusqu’à la corniche de l’entablement ; de même, on a supposé que le traité français contenu dans le Codex Fol. A 45 du Staatlichen Kunstsammlungen de Kassel, attribuable à l’« Anonyme Mantouan A », un artiste flamand écrivant en français, peut-être le peintre frison Hermann Postma (Posthumus), aurait utilisé l’édition espagnole de Sagredo (volute du chapiteau ionique et dessins de profil des bases), même s’il semble plus logique qu’il ait utilisé la seconde édition française de 1539, encore après la publication du Quarto libro de Serlio.
Comme nous avons eu l’occasion de le montrer, le premier éditeur français introduisit dans le texte espagnol une série d’ajouts dont les auteurs restent jusqu’à présent à identifier (on a proposé successivement les noms de Simon de Colines pour le texte, de Geoffroy Tory, Mercure Jollat ou d’Oronce Fine pour les illustrations, ou encore de Guillaume Philandrier et de Jean Goujon). Ces ajouts concernent les ordres comme unités organiques, les rapports de proportions des entrecolonnement sous entablement ou avec des arcs, la superposition des ordres des colonnes doriques, ioniques, corinthiennes et « toscanes » et les corrections optiques nécessaires – avec une nouvelle xylographie inspirée de l’édition de Vitruve de Cesare Cesariano (1521); ces ajouts ne sont que le prolongement de la ligne déjà tracée en 1526 mais permettent aussi de composer et construire une structure architecturale dans un espace réel, mesurable et perceptif. Il existe également quelques différences entre la première et seconde édition française, des petites modifications dans la mise en page et la correction de quelques coquilles. Surtout apparaissent en 1539 de nouvelles images des bases, avec un système de cercles dans les profils, qui facilitent la perception de leurs modénatures (ff. 25-27), qui semble emprunté au Quarto libro de Serlio (1537) et qui accentuent le caractère analytique des quelques ajouts de la première édition de 1536. Dans un sens, malgré cette unité, nous devons penser pratiquement à deux « Sagredo français », et même peut-être à deux auteurs français pour les ajouts. Une seconde xylographie (f. 30), qui appartient aussi aux ajouts français, explique le système de tracé de la spirale en rapport avec la volute du chapiteau ionique, éloigné encore des propositions de Serlio, ou la modification en oblique des denticules de la structure de portail ionique (f. Eii de 1526 et f. 41vº de 1536), élément qui fut repris par l’édition en castillan de 1541, qui renouvelle ses illustrations sur le modèle des deux premières éditions françaises, mais qui disparaît dans les éditions espagnoles suivantes.
La plupart de ces ajouts, une fois traduits en castillan au Portugal, devinrent une partie apocryphe, bien que substantielle, de l’histoire éditoriale postérieure du livre, encore problématique de par le nombre limité de copies conservées de quelques-unes de ses éditions ; autrement dit, d’un « Sagredo » qui n’était déjà plus seulement le Diego de Sagredo originaire de Burgos et actif à Tolède.
Fernando Marías (Universidad Autónoma, Madrid) – 2011
Bibliographie critique
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