LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Rusconi, Giovanni Antonio
Titre
Della architettura… libri dieci
Adresse Venise, G. & G. P. De Ferrari, 1590
Localisation Baltimore, Johns Hopkins University, The George Peabody Library, 720 R952 1590
Mots matière Vitruve, Architecture
Transcription du texte

English

En 1590 parut à Venise chez les éditeurs Giovanni et Giovanni Paolo De Ferrari un ouvrage de Giovanni Antonio Rusconi intitulé Della architettura... libri dieci, qui eut deux émissions distinctes. L’auteur, né à Venise vers 1520, était mort à la fin de l’année 1578. Cela explique sans doute le contenu singulier de ce livre posthume, réduit à 160 illustrations, brièvement commentées ou accompagnées d’une courte présentation du passage auquel elles se réfèrent suivant le découpage des dix livres du De architectura, et précédées d’une dédicace au duc d’Urbin, d’une adresse au lecteur de Giovanni De Ferrari, d’une table des matières et de la liste des figures. Manque la traduction du traité de Vitruve qui aurait dû l’accompagner.
Rusconi est le fils de l’éditeur milanais Giorgio Rusconi venu s’installer à Venise en 1500 où il poursuivit son activité jusqu’à sa mort survenue en 1522. Giovanni Antonio associé à son frère Giovanni Francesco publia vingt ouvrages entre 1522 et 1524. Puis ce fut leur mère Elisabetta qui dirigea l’officine jusqu’en 1527. Formé dans l’atelier de son père, Giovanni Antonio y fut en contact avec les artistes et graveurs et il put y développer ses talents de dessinateur et s’initier à la gravure.
Parallèlement à sa formation technique, Giovanni Antonio reçut de toute évidence une éducation soignée, comme en témoigne l’inventaire de sa bibliothèque. Il s’intéresse de près aux sciences, à la fortification, à l’architecture et possède trois éditions latines de Vitruve, dont la princeps publiée à Rome (1486-1492) et celle de Fra Giocondo (1511). Aussi le retrouve-t-on suivre l’enseignement de Niccolò Tartaglia auprès de qui il apprit l’algèbre, la balistique et les arts mécaniques. Ce dernier en effet avait succédé en 1536 au patricien Giovanni Battista Memmo à la chaire de mathématique et dispensait ses cours à la Scuola dei Santi Giovanni e Paolo ; en 1539 il compte Rusconi comme son brillant disciple aux côtés de Richard Wentworth, ambassadeur de Henri VIII à Venise.
Stimulé sans doute par les publications à Venise de Fra Giocondo et de Francesco Luci (Durantino) (1524 ; 1535), Rusconi s’est attelé dans les années 40 à une traduction italienne illustrée du De architectura dans la veine de celle de Cesare Cesariano, parue en 1521, renouvelée par Caporali, qui en 1536 en proposait une version restreinte (livres I-V) et modernisée, peut-être aussi par les Annotationes de Guillaume Philandrier (1544), ces deux derniers ouvrages figurant également dans sa bibliothèque. Mais le projet de traduction, maintes fois annoncé et différé, ne vit jamais le jour : celle-ci était pourtant achevée en 1552 puisqu’à la fin de cette année-là Gabriele Giolito De Ferrari, alors l’un des plus fameux imprimeurs-libraires de la Sérénissime, faisait réaliser les gravures et en 1553 obtenait les privilèges du Sénat vénitien et du Grand-duc de Toscane. La concurrence de la traduction commentée de Daniele Barbaro, illustrée par Andrea Palladio, publiée en 1556 ainsi que ses rééditions en 1567 puis en 1584, y fut sans doute pour beaucoup. Barbaro avait commencé ses travaux dès 1547 et les avait repris en 1551 au retour de son ambassade en Angleterre. En 1554, il se rendait à Rome en compagnie de Palladio pour parfaire leurs connaissances en visitant notamment les antiquités prestigieuses de la cité et de ses environs. Aussi Gabriele Giolito, comprenant qu’il ne pourrait rivaliser en qualité avec l’édition publiée chez son confrère Francesco Marcolini par un personnage aussi éminent et compétent, jugea-t-il sage de renoncer à une entreprise devenue risquée.
À la mort de Gabriele en 1578, ses fils Giovanni et Giovanni Paolo qui héritèrent de l’officine adoptèrent une toute autre politique éditoriale. Après la mort de Giovanni en 1590, Giovanni Paolo n’eut de cesse de liquider le « magazzino-libri », ce qui fut fait en 1606. En possession des 300 planches réalisées par Rusconi , il décida de composer un ouvrage de bric et de broc tirant parti à la fois de la grande réputation de l’auteur, même après sa mort (Della architettura di Gio. Antonio Rusconi), et du nom de Vitruve (secondo i precetti di Vitruvio) : la traduction réalisée par Rusconi est absente. Seules 160 planches sur les 300 annoncées dans les années 50 figurent, accompagnées d’un bref commentaire emprunté mot à mot à l’édition italienne de Barbaro, sans toujours leur correspondre. Certaines sont purement décoratives pour rendre attrayante cette étrange publication (arbres, p. 41, 42, 43, 44 ; plantes, p. 114, 115, 116). Les xylographies se signalent par leur qualité : finesse et élégance du trait, extrême précision dans les détails (décor inférieur de la tour des vents, p. 19 ; appareillage de pierres, p. 11, 12, 13… ; huttes et cabanes primitives ; divers instruments et machines de guerre). Ce n’est pas pour rien que Rusconi avait travaillé comme graveur chez Gabriele Giolito, illustrant notamment des ouvrages de Ludovico Dolce. Il excelle naturellement dans son champ de compétence des sciences et techniques, illustrant avec réalisme les scènes de chantiers dans leurs diverses phases (p. 9, 100), diffusant aussi des techniques constructives plus vénitiennes que romaines comme en témoignent certaines planches (p. 61, 75, 99, 100...). Les planches purement architecturales ou techniques comportent des lettres qui devaient renvoyer à des légendes détaillées ou à un court commentaire plus général. De fait ont été écartées des illustrations qui concernaient les édifices publics (forums, basiliques, théâtres, thermes, palestres relevant du livre V), les maisons (livre VI) et plus curieusement les aqueducs (livre VIII), les instruments qui servent à mesurer le temps (livre IX), diverses machines pour élever l’eau, les moulins, la vis d’Archimède, l’orgue hydraulique qui intéressaient au premier chef l’ingénieur qu’était Rusconi, sans parler des diverses machines de guerre (catapultes, balistes), au point que l’on peut se demander si les trois cents illustrations annoncées en 1553 avaient bien été toutes réalisées.
Si Rusconi s’est inspiré de ses prédécesseurs, tels Cesariano (figures vitruviennes : homo ad circulum, homo ad quadratum, p. 46 et 47, tour des vents, p. 19 ; chapiteau dorique, p. 81), ou encore de la planche des caryatides de Marcantonio Raimondi qui avait illustré le passage de Vitruve dans le cercle de Raphaël – Rusconi dissocie toutefois les caryatides des Perses qu’il dispose par trois dans une planche distincte comme chez Giocondo (1511, f. 2-2v). Il a manifestement tenu à être le plus fidèle possible au texte vitruvien : il est de fait le seul trattatiste à illustrer l’origine du triglyphe de l’entablement dorique (p. 74-75). Quand le décor n’est pas décrit par l’architecte antique il fournit des exemples maniéristes empruntés à Serlio (colonnes cannelées et baguées de la tour des vents) fort éloignés de la pureté palladienne. Quant à la présentation en perspective oblique d’édifices (p. 8, 36, 49, 52, 53, 61) ou de fragments d’architecture tels les entablements (p. 74, 76, 78), comme le Codex Coner en avait donné les premiers exemples au début du Cinquecento à Rome, elle est anachronique en 1590, mais l’était déjà dans les années 1550. Ces représentations si semblables à celles qui figurent dans le Discours historial de l’antique et illustre cité de Nismes... de Poldo d’Albenas, publié en 1559-1560 chez Guillaume Roville laissent penser que Rusconi peut être l’auteur de ces dernières, d’autant que Roville (1518 ?-1589) avait été formé à Venise chez les Gioliti di Ferrari et surveillait personnellement les illustrations des ouvrages qu’il imprimait. Mais en 1590 l’apparente méconnaissance de l’architecture antique dont Rusconi pouvait cependant avoir une idée à travers les ruines voisines de Vérone ou de Pola limite la portée de ses propositions concernant les ordres.
Quoi qu’il en soit, ce « Vitruve » tronqué de 1590, sans le texte du De architectura, ne saurait rendre justice aux multiples compétences de Rusconi qui fut à la fois ingénieur, architecte, illustrateur et graveur talentueux mais aussi un lettré, membre de l’Academia Peregrina fondée par Giovan Francesco Doni dont Francesco Marcolini fut le secrétaire et l’éditeur et qui eut à cœur de traduire en « volgare » le corpus des auteurs latins et grecs. Il y fréquenta en autres Jacopo Sansovino, Enea Vico, Titien, Giuseppe Salviati. Souvent associé à Palladio pour divers projets et parfois son concurrent direct dans la Sérénissime, Rusconi n’en eut pas la renommée. De fait il a peu construit. Néanmoins la publication posthume du Della architettura en l’état atteste le dynamisme des recherches vitruviennes menées en Vénétie depuis la première moitié du Cinquecento par Fra Giocondo (1511), Francesco Durantino (1524), Sebastiano Serlio (1537), Daniele Barbaro (1556) et dans le duché de Mantoue voisin avec Giovan Bartista Bertani (1558) qui se sont affranchies peu à peu de la tutelle romaine.
L’ouvrage rencontra un beau succès éditorial et fut aussitôt réimprimé (1590-2).

Frédérique Lemerle (CNRS, CESR, Tours) – 2023

A. Bedon, « Il ‘Vitruvio’ di Giovan Antonio Rusconi », Ricerche di Storia dell’Arte, 19, 1983, p. 84-90.

A. Bedon, « Giovan Antonio Rusconi : illustratore di Vitruvio, artista, ingegnere, architetto », in Della Architettura di Gio. Antonio Rusconi, fac-simile (CISA, Vicence), Vérone/Vicence, Colpo di fulmine Edizioni/CISA, 1996, p. IX-XXI.

A. Bedon, « L’Architettura di Giovan Antonio Rusconi », in S. Deswarte-Rosa (dir.), Sebastiano Serlio à Lyon, Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 403-405.

S. Bongi, Annali di Gabriel Giolito de’ Ferrari da Trino di Monferrato. Stampatore a Venezia, Rome, Presso il principali librai, 1890-1895, I, p. 397 ; II, p. 445-446 (fac-similé : Rome, Bibliopola Vivarelli & Gullà, 1963).

G. Cadorin, Pareri di XV architetti e notizie storiche intorno al Palazzo Ducale di Venezia, Venise, Milesi, 1838, p. 14-19.

L. Cellauro, « La biblioteca di un architetto del Rinascimento : la raccolta di libri di Giovanni Antonio Rusconi », Arte Veneta, 58, 2001, p. 224-237.

L. Cellauro, « La famiglia dell’architetto Giovanni Antonio Rusconi: un ambiente di stampatori nella Venezia del Cinquecento », Venezia Cinquecento, 14, 2004, p. 223-237.

A. Favaro, « Per la biografia di Niccolò Tartaglia », Archivio Storico Italiano, 71, 1913, p. 335-372.

B. Guthmüller, « Nota su Giovanni Antonio Rusconi illustratore delle ‘Trasformazioni’ del Dolce », Umanesimo e Rinascimento a Firenze e Venezia. Miscellanea in onore di Vittore Branca, Florence, Olschki, 1983, III, 2, p. 771-779.

F. Lemerle, « Giovanni Antonio Rusconi, illustrateur du Discours historial de l’antique et illustre cité de Nismes ? », Ausonius, à paraître.

L. Olivato, « Giovanni Antonio Rusconi. Della architettura (), in L. Puppi (a cura di), Architettura e Utopia nella Venezia del Cinquecento, Milan, Electa, 1980, p. 181, notice 182.

P. N. Pagliara, « Vitruvio da testo a canone », in S. Settis (a cura di), Memoria dell’antico nell’arte italiana, Turin, Einaudi, 1986, p. 82-83.

M. Piasentini, Un architetto dimenticato del secolo XVI : Giovanantonio Rusconi, tesi di laurea, Istituto Universitario di Architettura di Venezia (dir. : A. Foscari & L. Puppi), 1978-1979.

M. Tafuri, L’architectura del Manierismo nel Cinquecento europeo, Rome, Officina Edizioni, 1966, p. 211-212.

F. Salatin, « Lavoro e cantiere nelle illustrazioni vitruviane di Giovan Antonio Rusconi », in A. von Kienlin & G. Schulz-Lehnfeld (dir.), Design Practice in the Age of Michelangelo, actes du colloque (Braunschweig, 1-3 avril 2019), à paraître.

F. Salatin, « Erudizione classica e prospettiva locale. Le illustrazioni vitruviane di Giovan Antonio Rusconi », Vitruvius, à paraître.