LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Vitruve
Perrault, Claude
Titre Abregé des dix livres d’Architecture...
Adresse Paris, J.-B. Coignard, 1674
Localisation Heidelberg, Ruprecht Karls Universität, 64 D 6 Res
Mots matière Architecture, Hydraulique, Machines
Transcription du texte

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     Après l’édition intégrale commentée et illustrée des Dix livres d’architecture (1673) Claude Perrault propose l’année suivante un Abregé de Vitruve publié également chez Jean-Baptiste Coignard, destiné plus exclusivement aux professionnels, les « apprentifs » mais aussi les « maîtres ». Il s’agit cette fois non plus d’un luxueux in-folio mais d’un petit livre, de format in-12°, vendu seulement 3 livres, illustré de 11 planches rejetées à la fin, facultatives si l’on en croit le Privilège (« et mesme sans figures »), avec leur explication en vis-à-vis au verso de la page précédente. Ce manuel commode comporte à la suite des planches un glossaire « des mots difficiles », en réalité le vocabulaire basique d’architecture (abaque, métope, bossage, triglyphe, etc.).
L’Abregé de Perrault est très différent du traditionnel compendium. Au siècle précédent Jean Gardet et Dominique Bertin avaient publié en 1556/59 à Toulouse un Epitome pour les professionnels de la construction, qui débarrassait le texte vitruvien de son fatras mythologique et des allusions antiques superflues et l’illustrait de gravures sur cuivre quelquefois décalées par leur modernisme, comme celle de l’ordre composite (non décrit par Vitruve), preuve qu’ils avaient regardé avec attention les planches de Goujon dans le Vitruve de Martin (Paris, 1547). Mais alors que Gardet et Bertin suivaient l’ordre du De architectura, Perrault en refond totalement la matière en remplaçant le découpage en dix livres par un texte en deux parties, elles-mêmes subdivisées en chapitres et articles : la première « contenant l’Architecture qui [...] est commune avec les Anciens », la seconde « contenant l’architecture qui étoit particulière aux Anciens ». En cela il s’inspire de l’abréviateur antique de Vitruve (connu plus tard sous le nom de Faventinus) qui avait réorganisé, complété et actualisé, voire corrigé le discours vitruvien sur l’architecture privée à la lumière d’autres sources pour un large public. L’inspiration est probable vu la bibliographie titanesque réunie par Perrault pour son édition de Vitruve. Peut-être même est-ce lui qui a annoté l’exemplaire de l’editio princeps établie par Guillaume Postel (Paris, Vascosan, 1540) possédé par Colbert (Medvekova 2008, p. 44).
Perrault procède donc à une remise en ordre des matières traitées confusément et de façon dispersée, comme l’atteste la table des matières, très détaillée, qui suit le bref avertissement. Dans la Préface qu’il émaille de rares indications fournies par Vitruve lui-même, il présente le traité antique et célèbre le mérite de son auteur. La première partie de l’Abregé traite de l’architecture en général (ch. 1), de la solidité des bâtiments (matériaux, fondations, murs, planchers, enduits) (ch. 2), de la commodité des bâtiments (situation, exposition des bâtiments) (ch. 3), de la beauté des édifices (entrecolonnement, ordres) (ch. 4), et la seconde des édifices publics (ch. 1) et privés (ch. 2) des Anciens, enfin de ce qui appartient aux deux types de bâtiments (fontaines, puits, citernes, machines civiles et militaires) (ch. 3). La mécanique qui a tant intéressé Perrault en 1673 est ici réduite au strict nécessaire. Les 11 planches sont réduites à l’essentiel : types de maçonnerie (pl. I), dispositions des édifices (pl. II-III), temple hexastyle (pl. IV), ordres toscan, dorique, ionique et corinthien (pl. V à IX), théâtre (pl. X) et catapultes (pl. XI).
Perrault présente les cinq ordres modernes dont le composite, selon la terminologie et la progression serliennes, c’est-à-dire du plus simple au plus riche (toscan, dorique, ionique, corinthienne et composite). C’est un ajout significatif car Vitruve ne décrit que quatre types (genera) de colonnes. Goujon avait déjà ouvert la voie dans ses planches en 1547, suivi par Gardet et Bertin. En l’occurrence Perrault va bien au-delà de la simple remise en ordre que Philibert De l’Orme, son devancier à qui il rend hommage dès les premières lignes de l’« Avertissement », aurait souhaité faire « avec l’ayde de Dieu » et « moiennant l’ayde & le labeur des doctes » (1567, III, f. 62). Car paradoxalement il augmente le texte de remarques, souvent longues, signalées en marge par des guillemets, qui permettent de donner au texte vitruvien toute sa cohérence grâce à des liaisons pertinentes ou des explications nécessaires qui lui paraissent manquer. Dans cet exercice Perrault s’efface devant Vitruve, le cas mérite d’être noté. En 1674 en effet on ne trouve point les critiques sévères sur les pratiques contemporaines et celles du siècle passé, ni les élogieuses digressions sur les réalisations du clan Perrault ou sur les ingénieuses inventions des Modernes dans le domaine de la mécanique ou de l’hydraulique. En cas d’obscurité, Claude se contente de renvoyer le lecteur à son édition intégrale de Vitruve.
La modernité et l’efficacité du discours assurent à l’Abrégé un succès international : il est publié à Amsterdam en 1681 [1691]. Une traduction anglaise paraît en 1692 à Londres : elle est encore rééditée au XVIIIe siècle. L’ouvrage est également traduit en italien (Venise, 1711), en espagnol (Madrid, 1761) et en russe (1789).

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2011

Bibliographie critique

Catalogue des livres imprimez à Paris, chez Jean-Baptiste Coignard..., [Paris, J.-B. Coignard, 1687].

G. Germann, Vitruve et le vitruvianisme. Introduction à l’histoire de la théorie architecturale, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 1991 (1ère éd. : Darmstadt, 1987).

W. Herrmann, La théorie de Claude Perrault, Bruxelles/Liège, Mardaga, 1980 (1ère éd. : Londres, Zwemmer, 1973).

F. Lemerle, « Vitruve, Vignole, Palladio et les autres : traductions, abrégés et augmentations au XVIIe siècle », Architecture et théorie. L’héritage de la Renaissance, Tours, Cesr, 3-4 juin 2009/Paris, École d’architecture de Paris-Malaquais, 5 juin 2009.

F. Lemerle, « D’un Parallèle à l’autre. L’architecture antique : une affaire d’État », Revue de l’Art, 170, 2010-4, p. 31-39.

O. Medvedkova, « Un Abrégé moderne ou Vitruve selon la méthode », La construction savante. Les avatars de la littérature technique, Paris, Picard, 2008, p. 43-63.

A. Picon, Claude Perrault, 1613-1688 ou la curiosité d’un classique, Paris, Picard, 1988.