LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Palissy, Bernard |
Titre |
Architecture, et ordonnance de la grotte rustique... |
Adresse |
La Rochelle, B. Berton, 1563 |
Localisation |
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Mots matière |
Architecture, Grottes |
Consultation de l’ouvrage
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English
L’Architecture et ordonnance de la grotte rustique est le premier ouvrage publié par Bernard Palissy en 1563 à La Rochelle. L’auteur y fait allusion dans la Recepte véritable publiée la même année, mais son existence a été ignorée jusqu’à ce que le libraire Édouard Rahir (1862-1924) n’en découvre un exemplaire lors d’une vente réalisée à Londres en 1919 et en publie la même année le texte avec une reproduction de la page de titre.
La Grotte rustique présente la particularité d’adopter la forme du dialogue. Palissy imite sans doute Diego de Sagredo, dont la Raison d’architecture antique, traduction française des Medidas del Romano de 1526 rééditée en 1550 et 1555, accommodait cet artifice au genre du traité technique. Toutefois, les deux interlocuteurs demeurent ici anonymes, les répliques étant attribuées à « Demande » et « Responce ». L’auteur reste fidèle à cette forme pédagogiquement efficace du dialogue dans ses autres livres, la Recepte véritable et les Discours admirables de 1580.
Le propos de Palissy est de décrire la grotte qu’il réalise dans son atelier de Saintes pour l’une des résidences d’Anne de Montmorency, au service duquel il se trouvait alors avec le titre d’« architecteur et ynventeur des grottes figulines de monseigneur le Connestable ». On ne sait si le projet concernait Écouen, Chantilly ou un autre de ses châteaux ; en tout cas, il s’inscrivait dans une tradition bien ancrée en France après avoir été crée en Italie, dans la lignée de la grotte de la Bâtie d’Urfé, de la grotte des Pins à Fontainebleau ou de la grotte de Meudon. L’art de Palissy et sa maîtrise de la terre cuite et des émaux convenaient parfaitement à ce genre architectural très décoratif, où le revêtement artificiel des parois imite la nature la plus rustique : « la grotte est édifiée de terre cuite, et émaillée par dessus ». Palissy réalisera une grotte de même type pour le jardin des Tuileries, dont il ne reste rien, sinon peut-être un dessin reproduit par Berty dans sa Topographie historique du vieux Paris.
Le projet est décrit en termes d’architecture très précis : Palissy donne les dimensions de l’œuvre, précise qu’elle est ornée de termes anthropomorphes portant un entablement composé d’une architrave, d’une frise et d’une corniche ; un second niveau est ouvert de fenêtres séparées par d’autres termes. L’auteur insiste à de nombreuses reprises sur l’aspect « estrange et monstrueux » de l’ensemble. Cette étrangeté est assez paradoxale, car l’art de l’émailleur consiste précisément à imiter la nature de façon très fidèle : les vêtements portés par les termes sont ainsi si proches de la réalité que « plusieurs voyants ledict œuvre s’en sont retournez en soustenant et opiniâtrant que la toile dont lesdictz termes sont vestuz est naturelle, aussi les cheveux et poils des barbes ». Aussi la « monstruosité » de ces compositions réside-t-elle essentiellement dans leur caractère hybride : œuvres d’artifice – et de ce point de vue strictement architecturées – elles veulent donner l’apparence de la nature. La frontière devient floue entre opera di mano et opera di natura, comme dans les grands chefs-d’œuvre du maniérisme italien de la seconde moitié du XVIe siècle, la grotte de Boboli ou le jardin de Bomarzo. La nature se fait architecture en même temps que l’architecture se fond dans la nature, et la grotte est peuplée des artefacts de l’émailleur, végétaux et animaux, qui rivalisent de vérité avec la production naturelle. Dans le même esprit, Palissy imagine dans la Recepte de tailler les arbres de son jardin de telle manière que leurs branches s’étalent à la manière d’un entablement : « par tel moyen, les premières branches ainsi couchées d’une colomne à autre, feront directement une forme d’architrave, parce que je leur donneray quelque avancement, en les couchant l’une sur l’autre, pour former les mollures de l’architrave » ; et de même pour la frise et la corniche, faites de branches « mesurées par art de Geometrie et Architecture » (1563, f. I 3). Palissy propose ici un parfait contrepoint symétrique à la colonne sculptée en arbre, portant des nervures imitant les branches, que Philibert De l’Orme imagine dans le Premier tome (1567, f. 217).
Une telle esthétique de l’étrange et du monstrueux, qui s’accorde parfaitement avec l’intérêt pour le composto et le mélange des formes introduit par Serlio dans le Livre extraordinaire de 1551 est caractéristique de la France des derniers Valois. En 1571, lors de l’entrée solennelle de Charles IX et d’Elisabeth d’Autriche à Paris, se trouvait au pont Notre-Dame « un arc triomphal d’ordre Tuscan, & d’une mode qui jamais n’avoit été veüe, duquel l’ouverture estoit de douze piedz dans œuvre sous vingt & deux sous clef, le bas jusque à la haulteur de l’architrave faict de rochers parmy lesquelz estoient meslez des coquilles de limax, & herbages telz qu’on les veoid aux bordz des rivieres » (1572, f. 33), autant d’éléments décoratifs qui font écho au « nombre infini de poissons, comme sont tortues, escrevisses, chancres, grenoilles… et autres espèces de poissons rares, & estranges » qui peuplent la grotte de Palissy. Dans son Œuvre de la diversite des termes (1572), Hugues Sambin représente des termes rustiques au corps engoncé dans la pierre, sur lesquels prospèrent feuilles et touffes d’herbes et où l’on aperçoit quelques étranges bestioles, mouches ou limaçons : ces termes auraient parfaitement convenu aux grottes de l’émailleur protestant.
La tradition du rustique « grotesque » s’étend à l’Europe du nord dès la fin du XVIe siècle et perdure au siècle suivant : Wendel Dietterlin (Architectura), Salomon de Caus (La raison des forces mouvantes, 1615), ou Thomas Böckler (Architectura curiosa nova, 1644) proposent des modèles de portes, de fontaines ou de grottes dont l’esprit et le goût sont encore ceux de la Grotte rustique.
Yves Pauwels (Cesr, Tours) -– 2011
Bibliographie critique
R.-H. Bautier & G. Bresc-Bautier, « Un faux du XIXe siècle : “devys d'une grotte pour la Royne, mère du Roy” », Revue de l’art, 78, 1987, p. 84-85.
A. Berty & H. Legrand, Topographie historique du vieux Paris, Paris, Imprimerie nationale, 2, 1885, p. 40.
D. Duport, Le jardin et la nature : ordre et variété dans la littérature de la Renaissance, Genève, Droz, 2002.
A.-M. Lecoq, « Morts et résurrections de Bernard Palissy », Revue de l’Art, 78, 1987, p. 26-32.
B. Palissy, Œuvres complètes, M.-M. Fragonard (éd.), Paris, Champion, 2010.
Y. Pauwels, Aux marges de la règle. Essai sur les ordres d’architecture à la Renaissance, Wavre, Mardaga, 2008.
A. Pinelli, La bella maniera. Artisti del Cinquecento tra regola e licenza, Turin, Einaudi, 1993, p. 152-157.
É. Rahir, Architecture & ordonnance de la grotte rustique. Premier livre du célèbre potier demeuré inconnu. Paris, Rahir, 1919.
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