LES LIVRES D’ARCHITECTURE
L’ensemble des circonstances historiques qui ont présidé à l’entrée solennelle du jeune Charles IX et de sa toute nouvelle épouse Élisabeth d’Autriche à Paris en 1571 ont été parfaitement mises en lumière par V. E. Graham et W. McAllister Johnson dans leur édition commentée de l’ouvrage (1974). Destinée à fêter le mariage du roi avec la fille de l’Empereur, la fête parisienne, entre autres savantes représentations, met en scène l’alliance de la France avec l’Allemagne par l’intermédiaire de Pharamond, fondateur mythique de la monarchie française, dont on rappelle à l’envi qu’il descend à la fois des Germains et des Troyens, par le non moins mythique Francion (f. 9v°) : De ce grand Francion vray tige des François L’entrée
du roi et celle de la reine, dont la relation suit, furent préparées
par l’un des échevins de Paris, Simon Bouquet. Personnage
atypique, étranger aux dynasties bourgeoises au sein desquelles
se recrutaient d’ordinaire les magistrats parisiens et imposé
à la ville par le roi et sa mère, Bouquet avait une belle
culture humaniste dont témoignent, outre le poème grec
que lui adresse Dorat dans le livret (f. 3 v°), des traductions
d’Alciat restées manuscrites (Imitation et traductions
de cent dix huict emblesmes d’Alciat…, BnF, ms. fr.
19143). Au reste, il reçoit à l’occasion de l’entrée
royale une aide de poids : celle des meilleurs poètes et humanistes
du moment, Jean Dorat, Antoine de Baïf, Amadis Jamin, Guy du Faur
de Pibrac et surtout Ronsard, qui, tenu à l’écart
de l’entrée de Henri II en 1549, saisit l’occasion
de se mettre au premier plan. Il en résulte un texte fort savant,
truffé de poésies et de citations françaises, latines
et grecques, qui pourrait passer pour une sorte de contrepoint aux vers
que le Prince des Poètes était en train de préparer
pour sa Franciade.
Du point de vue artistique, les réalisations sont moins novatrices qu’en 1549, lorsque Jean Martin et Jean Goujon étaient les maîtres d’œuvre. Sur le même parcours, Bouquet et ses collaborateurs ont disposé des arcs à peu près aux mêmes étapes : porte Saint-Denis, fontaine du Ponceau, porte aux Peintres et pont Notre-Dame. Des monuments portant des statues ont été érigés près de l’église du Saint-Sépulcre et de la fontaine des Innocents. L’intérieur du pont Notre-Dame évoque clairement le décor imaginé pour Henri II, de même que la perspective du Châtelet paraît une variante de la « plate peinture » imaginée par Jean Cousin en 1549 pour « Lutetia Prima Pandora ». Si les structures restent les mêmes, le style a changé. Autant les arcs gravés par Goujon révélaient très nettement l’influence des Livres III et IV de Serlio, autant ceux représentés dans le livret de 1572 évoquent le Livre extraordinaire, avec des bossages plus vigoureux et saillants, des contrastes plus appuyés entre rustique et raffiné. À la porte Saint-Denis, Henri II rencontrait en 1549 « un avant-portail d’ouvrage toscan et dorique, dédié à la Force, pour faire entendre que dedans Paris consiste la principale force du royaume » (f. 2v°), dans lequel les éléments doriques, bien identifiables, étaient renforcés de bossage vermiculé, dans une structure claire, inspirée d’une porte de Serlio. En 1571, ce même « avant-portail » « à la rustique, d’ouvrage toscan, dédié à l’antique source et première origine des Rois de France, fertilité et grandeur d’icelui Royaume » est « fait de pierre de rustique fort bien ressemblant le naturel, à cause des herbes, limaces et lézards entremêlés parmi, et dont les spectateurs étaient en singulière admiration » (f. 8). Ces décors pittoresques et expressifs sont encore plus spectaculaires au pont Notre-Dame, où « était un arc triomphal d’ordre Toscan, et d’une mode qui jamais n’avait été vue, duquel l’ouverture était de douze pieds dans œuvre sous vingt et deux sous clef, le bas jusque à la hauteur de l’architrave fait de rochers parmi lesquels étaient mêlées des coquilles de limaces, et herbages tels qu’on les voit aux bords des rivières […] à l’endroit de laquelle eau répandue, étaient force petits arbrisseaux et quantité de mousse entremêlés avec plusieurs petits Lézards et limaces gravissant » (f. 33). Cet arc « toscan » entremêlé de rustique faisait le pendant de l’arc composé de 1549, avec un répertoire ornemental beaucoup plus original ; néanmoins, le thème iconographique restait le même, Castor et Pollux, images du roi et de son frère, prenant la vedette à un Typhis relégué à la dernière strophe du sonnet de Ronsard qui commente l’œuvre (f. 34). Nous passons du style de Pierre Lescot au style plus franchement maniériste, qui devait s’épanouir dans les grands projets inaboutis de Charleval et de Verneuil, ainsi que dans les recueils d’Androuet du Cerceau ou d’Hugues Sambin, pour se perpétuer au début du XVIIe siècle dans les fontaines et les grottes des châteaux. Nous disposons pour cette entrée d’un important matériel d’archives, en particulier les Devis et marchés passés par la ville de Paris, qui, avant d’être transcrits par V. E. Johnson et W. McAllister, avaient été en partie publiés par Louis-Claude Douet d’Arcq en 1848. Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2007 Bibliographie critique L.-C. Douet d’Arcq, Devis et marchés
passés par la ville de Paris pour l’Entrée solennelle
de Charles IX, en 1571, Paris, Leleux, 1848 (extrait de la Revue
archéologique, Ve année, 2e partie, 15
octobre-15 mars 1848). Y. Pauwels, L'architecture et le livre en France à la Renaissance : une "magnifique décadence" ?, Paris, Garnier, coll. "Arts de la Renaissance", 2013, p. 214-216. Y. Pauwels, « L’architecture et ses représentations : miroirs de Charles IX ? », L. Capodieci, E. Leutrat et R. Zorach (éd.), Miroirs de Charles IX. Images, imaginaires, symbolique, Genève, Droz, 2018, p. 125-134. M. Simonin, Charles IX, Paris, Fayard, 1995, p. 249-259.
Notice Bref et sommaire recueil de ce qui a esté faict, & de l’ordre tenüe à la joyeuse & triumphante Entree de tres-puissant, tres-magnagnime & tres-chrestien Prince Charles IX. de ce nom Roy de France, en sa bonne ville & cité de Paris, capitale de son Royaume, le Mardy sixiesme jour de Mars. Avec le couronnement de tres-haute, tres-illustre & tres-excellente Princesse Madame Elizabet d’Austriche son espouse, le Dimanche vingtcinquiesme. Et Entree de ladicte dame en icelle ville le Jeudi XXIX. dudict mois de Mars, M. D. LXXI. – A Paris : de l’Imprimerie de Denis du Pré, pour Olivier Codoré, 1572. 53-[1]-10-26-[2]-9[1] f. (sig. A-N4 O2 a-b4 c2 A-G4 A-B4 C2) : ill. (14 pl.), 2 f. de planches gravées sur bois ; in-4 (157x233 mm) Première édition. Il existe plusieurs états de cette édition (fol. G3 imprimé en italique ou en roman). L’édition comprend trois parties en un volume, chaque partie ayant une foliotation propre. La deuxième partie a une page de titre propre portant la date d’édition de 1571. Partie 2 : « C’est l’ordre et forme qui a esté tenu au sacre et couronnement de tres-haute, tres-excellente et tres-puissante princesse Madame Elisabet d’Autriche roine de France : faict en l’Eglise de l’abbaie Sainct-Denis en France le vingt cinquiesme jour de mars, 1571. » Partie 3 : « L’ordre tenu à l’entrée de tres-haute et tres-chrestienne princesse Madame Elizabet d’Austriche Royne de France. » Erreurs de pagination : [f. 4] numéroté f. 2 ; f. [16] ; [f. 44] numérotée 49. Les feuillets de planches sont inclus dans les cahiers, excepté 2 entre les 32-33 et 36-37. Dans cet exemplaire, le fol. G3 est imprimé en italique. Harvard College Library, French sixteenth century books, I, 206 ; IFF XVIe siècle, II, p. 268-270 ; Ruggieri 276 ; Vinet 474 ; Watanabe 1649. Paris, Bibliothèque de l’Inha, Collections Jacques Doucet, 8 Res 548. *Notes : - Reliure veau brun tacheté, décor doré à la roulette sur la coupe. Dos à 5 nerfs orné de fleurons, titre doré. Tranche mouchetée. - Cachet de la Bibliothèque d’art et d’archéologie, 18, Rue Spontini Paris XVIe. Estampille BAA. - Entré dans les collections de l’Inha avant 1912. |