LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s)

Grapaldo, Francesco Mario

Titre De partibus ædium
Adresse Parme, A. Ugoleto, c1494
Localisation Washington (DC), National Library of Medicine, HMD Collection, WZ 230 G766d 1494
Mots matière Architecture privée
Transcription du texte

English

     Francesco Mario (Maria) Grapaldo (Grapaldi) a eu une vie tout entière placée sous le signe de l’humanisme. À la fois homme de lettres et notable dans sa ville natale de Parme, il y a enseigné, participé à la vie politique en tant que membre du Consilio degli Anziani et ambassadeur, et écrit quelques poèmes, un commentaire partiel à Plaute, une traduction d’Ésope et un lexique fondé sur l’architecture domestique, le De partibus ædium, qui bénéficient tous du travail de l’imprimeur et lettré local, Angelo Ugoleto.
Le De partibus ædium ou « Sur les parties de la maison » est un ouvrage latin détaillant minutieusement tous les mots de tous les objets et structures que l’on peut rencontrer dans toutes les pièces d’une grande maison. L’édition la plus répandue est l’édition posthume parmesane de 1516, où le De partibus ædium à proprement parler est doublé d’une liste alphabétique des mots les plus difficiles contenus dans les différentes parties du livre, liste qui a été établie a posteriori par Grapaldo lui-même. Le texte globalement n’a pas connu ce qu’on peut appeler une bonne diffusion, mais elle n’a pas été non plus confidentielle : porté par la présence française dans le Milanais, l’ouvrage a connu deux éditions parisiennes (1511 et 1517), quelques éditions isolées à Strasbourg, Turin, Venise et Bâle, deux éditions lyonnaises la même année 1535, et quelques éditions encore jusqu’au XVIIe siècle. Il a été adapté en français/ latin/gascon par Jean Le More (Maurus), sous forme d'un lexique trilingue, publié à Montauban chez Gilbert Grosset sans doute en 1519 d’après la dédicace datée du 20 février 1518 (ancien style).
Le De partibus ædium est donc un lexique thématique sur les mots de la maison, mais il s’agit d’érudition et d’encyclopédisme beaucoup plus que de construction ou de technique. En effet, Grapaldo précise dès la préface qu’il ne fait pas œuvre d’architecte, mais d’homme de lettres : il veut cerner le sens exact des mots, et, implicitement, retrouver, au-delà de « l’ignorance » si décriée du Moyen Age, toute la richesse de la langue telle que la pratiquait l’Antiquité. L’ouvrage est donc le catalogue minutieux du cadre et des objets de la vie domestique, dans une demeure de type palatial que Grapaldo ne caractérise guère cependant. Sa maison est l’archétype passe-partout du palais de la fin du XVe et du début du XVIe siècle : un parallélépipède organisé autour d’un cortile central, où le rez-de-chaussée regroupe diverses pièces de stockage des denrées, de chancellerie, avec des jardins tant d’agrément que de rapport, tandis que les pièces d’habitation et de réception se trouvent au premier étage, piano nobile ; d’autres pièces utilitaires comme cuisine, grenier et infirmerie se perdent ensuite dans un ou des niveaux supérieurs, assez vagues, qui se terminent par la tour et le toit. L’ouvrage est présenté selon le principe des « lieux de mémoire », technique qui avait déjà été employée dans certains lexiques médiévaux d’objets de la vie courante : la liste de vocabulaire est en quelque sorte mise en scène, dans une promenade pièce à pièce à travers la maison, où l’on détaille le nom et la fonction de chaque objet ou élément rencontré (vaisselle, ustensiles, tentures, mobilier, légumes, fleurs et animaux dans le jardin ou les écuries, denrées…), en l’agrémentant de citations d’auteurs antiques, qui font vite de ce catalogue une sorte de manuel de civilisation ancienne, compilation de Varron, Vitruve, mais surtout Pline. Ce procédé pédagogique, qui sera repris et perfectionné par Giulio Camillo au milieu du XVIe siècle, avait pour but dans l’Antiquité et au Moyen Age de faciliter la mémorisation ; ici il offre plutôt à Grapaldo un moyen de classement commode, qui permet à la fois les digressions et l’exhaustivité, et garde l’apparence d’une rationalité autre que l’arbitraire alphabétique. Le but de l’ouvrage est donc clairement encyclopédique : ce n’est pas un traité de construction, et le lexique technique ou les passages proprement architecturaux y sont rares. Un chapitre sur les matériaux de construction au début du livre 1, à « l’entrée » en quelque sorte de la maison, un autre sur les escaliers, planchers et pavements au début du livre 2, au moment du passage à l’étage, et un dernier enfin sur la charpenterie et les toitures à la fin de l’ouvrage réunissent le minimum nécessaire sur les structures constructives de la maison.
Grapaldo n’est pas passéiste et est surtout intéressé par la civilisation de son temps : son livre comporte plusieurs digressions sur des éléments modernes (le papier et l’imprimerie par exemple), et il cherche, en réactualisant les mots latins, à les adapter à la vie de son siècle. Ainsi, le chapitre basilica montre la grande salle d’apparat de la demeure princière. On y voit les solliciteurs en attente, les domestiques qui font les cent pas, mais aussi le rendu de la justice, et les jeux et fêtes qui s’y déroulent, avec les exercices du corps et la pratique des lettres, préconisés les uns et les autres pour l’éducation des jeunes gens. Grapaldo sait ici qu’il emploie un mot, basilica, qui désignait le palais royal en Grèce, et la place publique ou le marché à Rome : mais il en renouvelle le sens, le transposant dans le monde moderne au lieu qui lui semble le mieux réunir les notions de faste et de vie publique qui étaient éparses dans le mot ancien. Enfin, le livre, bien que sans illustrations et sans planches, peut servir comme une sorte de « manuel princier », dans le domaine de l’installation domestique au moins : quiconque réunirait tous les objets ou éléments décrits, en suivant le plan de Grapaldo, se trouverait dans une demeure seigneuriale fastueuse, mais surtout idéale.

Martine Furno (Institut d'histoire de la pensée classique,
UMR 5037, Ens, Lyon) – 2014

 

Bibliographie critique

J.-L. Charlet, « Nicole de la Chesnaye lecteur de F. M. Grapaldo et visiteur de la Sainte-Baume en 1538 », Provence historique, 44, 1994, p. 89-96.

J.-L. Charlet, « La bibliothèque, le livre et le papier d’après F. M. Grapaldo », Studi Latini in ricordo di Rita Capeletto, Urbin, Quattro venti, 1996, p. 71-89.

J.-L. Charlet, « Trois témoignages humanistes sur les débuts de l’imprimerie, N. Perotti, F. M. Grapaldi et Polidoro Virgili », Helmantica, 50, 1999, p. 97-107.

J.-L. Charlet, « Grapaldo, Francesco Maria », Centuriae Latinae II (éd. C. Nativel), Genève, Droz, 2006, p. 361-366.

M. Furno, « Le lemme Basilica dans le De partibus ædium de F. M. Grapaldo », I. Cogitore & F. Goyet (éd.), Devenir roi : essais sur les textes adressés au prince, Grenoble, ELLUG, 2001, p. 213-222 et Annexe 3 p. 274-279.

S. Rizzo, Il lessico filologico degli umanisti, Rome, Bulzoni, 1973.

A. Siekiera, « Grapaldo (Grapaldi), Francesco Mario (Maria) », Dizionario biografico degli Italiani, Rome, Istituto della Enciclopedia italiana, 2002, 58.