LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Vitruve
Gardet, Jean
Bertin, Dominique (illustrateur)
Titre
Epitome ou extrait abrege des dix livres d’architecture de Marc Vitruve Pollion...
Adresse Toulouse, G. Boudeville, 1556/1559 [=1560]
Localisation Toulouse, Bibliothèque interuniversitaire, Pf. XVI. 30
Mots matière Architecture
Transcription du texte

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     L’exemplaire mis en ligne avec l’ex-libris d’André Félibien est la toute première et rarissime émission de l’ouvrage : on ne connaît que deux autres exemplaires avec le premier cahier et la page de titre portant la date de 1556. Des difficultés liées entre autres à la peste ont retardé le tirage définitif et la mise en vente qui n’eut lieu que le 20 février 1559 (1560, nouveau style). Le philologue et antiquaire Jean Gardet est l’auteur de la traduction, l’architecte du roi Dominique Bertin, chargé de l’envoi des marbres sur les divers chantiers royaux, est responsable des illustrations. L’ouvrage dédié au chancelier de France Jean Bertrand, originaire de Toulouse, est explicitement destiné aux ouvriers Il est divisé en deux parties : la première partie est l’abrégé proprement dit, illustré de trente-cinq cuivres, la seconde, paginée séparément, est dévolue au commentaire sous forme d’annotations, qui portent uniquement sur les trois premiers livres, du fait des aléas éditoriaux.
La traduction française du De architectura de Vitruve par Jean Martin, illustrée par Jean Goujon (Paris, 1547) suscita la concurrence. Comme l’avaient souhaité leurs prédécesseurs, Gardet et Bertin voulaient mettre les termes latin et grecs à la portée des constructeurs français ; mais une lecture précise suggère que leur projet est différent du Vitruve de 1547, car ils proposent de mettre en relation le De architectura et les monuments antiques qui subsistaient en France. L’œuvre semble avoir été suscitée par le besoin de concilier une perception personnelle de l’architecture antique dérivée au moins en partie par la connaissance des ruines de la France méridionale avec le système des règles classiques du vitruvianisme. De ce point de vue, le contexte littéraire, visuel et philosophique du milieu toulousain, très différent de la culture parisienne de Martin et Goujon, a dû fortement marquer la nouvelle édition. Alors que la traduction de ces derniers mettait en place un lien fondateur entre les architectures classiques en France et en Italie, l’interprétation de Gardet et Bertin établissait pour la première fois une connexion textuelle entre les antiquités françaises et les monuments de la Rome ancienne.
On ne sait presque rien sur eux. Leur association est née en partie de leurs voyages dans les Pyrénées. En même temps qu’ils repéraient et évaluaient les sites, qu’éventuellement Bertin surveillait les envois de marbres à Paris, les deux hommes parcouraient les ruines dispersées dans le sud du royaume. Leurs observations ont conditionné leur lecture des précédentes traductions. Avec l’édition de Martin en main, avec leur propre travail en cours sur les antiquités du Midi, il leur aurait été relativement simple de mettre en évidence les contradictions entre les règles vitruviennes et la réalité des bâtiments de la Gaule. Entre autres auteurs, ils citent Guillaume Philandrier et Guillaume Budé, tout comme Alberti et Fra Giocondo. Ils furent certainement influencés par Fra Giocondo en particulier, dont l’édition vitruvienne était encore utilisée dans les années 1550, et qui fut la principale source pour leur travail de traduction.
Alors que l’Epitome est un abrégé des dix livres du De architectura, les annotions restent inachevées et ne concernent que les trois premiers livres. Considérées dans leur ensemble, la traduction et les annotations constituent un commentaire hardi sur les interprétations précédentes de Vitruve. La publication du livre prit un temps considérable. Mais si l’on en juge par leurs nombreuses erreurs dans les en-têtes et dans la pagination, l’édition se fit dans la plus grande hâte, ce qui explique l’inachèvement des annotations. À partir des quatre-vingt-sept pages de commentaires, il est possible néanmoins d’entrevoir le point de vue des deux auteurs sur le traité de Vitruve, sur la traduction de 1547 comme sur leur propre vision de l’architecture à l’antique. Les annotations débutent par une dédicace à René de Daillon, évêque de Luçon (p. 1-4), une adresse au lecteur (p. 5-6). Particulièrement révélatrice est cette phrase de Gardet qui souligne « que l’utilité commune doit être préférée aux particulières affections… ». Il admet ainsi qu’une certaine dose d’imagination a influencé son interprétation. Le commentaire révèle aussi qu’il a conscience d’avoir incorporé quelques « fantaisies » à sa traduction. En même temps, il n’est pas sans ironie que tout en admettant sa propre liberté d’interprétation pour certains passages, il critique à plusieurs reprises les erreurs de Martin. De plus, Bertin utilise pour les illustrations les modèles fournis par les éditions antérieures : ainsi les gravures de 1547 représentant le chapiteau et le théâtre sont-elles ici reprises, simplement inversées et légèrement modifiées. Les deux gravures « révisées » n’apportent aucune correction, et le renversement suggère une tentative délibérée de dissimuler leur origine.
À première lecture, le projet de Gardet et Bertin semble avoir été suscité par le Vitruve de Martin et Goujon. Mais les deux auteurs originaires de Toulouse étaient indubitablement confrontés dans le Midi à une réalité fort différente, et ils ont proposé une lecture personnelle de Vitruve. Outre celui de rendre le texte accessible aux architectes et maîtres maçons qui ne savaient pas le latin, ils avaient à l’esprit d’autres objectifs. En soulignant les erreurs d’interprétation des autres versions, ils revendiquaient leur autorité. Ils offraient un ensemble d’annotations qui allaient bien au-delà les commentaires en forme de dictionnaires de quelques éditions antérieures, entreprenant ce qui aurait pu être l’ancêtre d’un apparatus criticus. Leur projet aurait pu être accéléré par le besoin qu’ils ressentaient de concilier avec les règles vitruviennes leur univers concret et leurs idées architecturales. Ce que Martin et Goujon n’avaient pas fait – établir un lien direct entre le paysage gallo-romain et le panorama de la civilisation antique – Gardet et Bertin l’ont entrepris avec leurs annotations.
Après la mort de Guyon Boudeville, exécuté comme protestant en 1562, le solde des invendus fut transporté à Paris et remis en vente par Gabriel Buon entre 1565 et 1568.

Daniel M. Millette (School of Architecture and Landscape Architecture,
University of British Columbia) – 2012

Bibliographie critique

H. Graillot, « Deux architectes-archéologues du XVIe siècle dans le Midi de la France », REA, 21, 1919, p. 290-294.

F. Lemerle, Les Annotations de Guillaume Philandrier sur le De Architectura de Vitruve, Livres I à IV, Introduction, traduction et commentaire, Paris, Picard, 2000, p. 25-27.

J. Mégret, « Guyon Boudeville, imprimeur toulousain, 1541-1562 », BHR, 6, 1945, p. 210-301.

D. M. Millette, « Vitruvius and the French Landscape of Ruins : On Jean Gardet and Dominique Bertin’s 1559 Annotations of De Architectura », CHORA V - Intervals in the Philosophy of Architecture, 2007, p. 259-284.

B. Tollon, « L’Epitome de Vitruve par Jean Gardet et Dominique Bertin, à Toulouse en 1559 [1560] », S. Deswarte-Rosa (éd.) Sebastiano Serlio à Lyon, Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 432-435.

B. Tollon, notice 69 du catalogue de l’exposition L’humanisme à Toulouse (1480-1580), 20 avril-22 mai 2004, Toulouse, 2004, p. 88.