LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Freitag, Adam
Titre Architectura militaris nova et aucta...
Adresse Leyde, B. & A. Elzevier, 1631
Localisation Zurich, ETH Bibliothek, RAR 94189
Mots matière Fortifications
Transcription du texte

English

          Dès sa publication en 1631, l’Architectura Militaris Nova et aucta, Oder Newe vermehrte Fortification d’Adam Freitag fut perçue comme une contribution fondamentale à la théorie de la fortification de cette époque. Le traité écrit par « le célèbre Fritach » connut jusqu’à huit éditions, quatre en allemand (1631, 1635, 1642, 1665) et quatre en français (1635, 1640, 1657, 1668). La dernière était presque identique encore à l’editio princeps allemande, qui avait été imprimée à Leyde par la très réputée maison d’édition de Bonaventure et Abraham Elsevier. Les principes exposés dans l’ouvrage, connus aussi comme « manière de Freitag », mettaient de fait en lumière le système de fortifications général et standardisé mis au point dans les anciens Pays-Bas, avec lequel l’auteur avait pu se familiariser dans le cercle des ingénieurs militaires de Leyde. Ce système avait inspiré les ingénieurs militaires de toute l’Europe, des Pays-Bas à la Pologne et la Scandinavie, de l’Angleterre au Portugal, ainsi qu’un grand nombre de réalisations dans les colonies – principalement hollandaises et portugaises – d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Dans ce cas, théorie et pratique, d’une certaine façon, se sont mutuellement renforcées : le traité de Freitag a contribué à codifier et à propager le système hollandais, et inversement, le succès des fortifications construites selon sa méthode a contribué à asseoir sa réputation.
          Adam Freitag (ou Freytag(as), Fritag et Fritach, 1608-1650) naquit à Torun, en Pologne. C’était le fils d’un mathématicien du même nom, qui enseignait dans le lycée de la ville. Dès son plus jeune âge, ses dons pour les mathématiques furent remarqués et encouragés par l’astronome et mathématicien Jan Brozek (Joannes Broscius), originaire de Cracovie, ami intime de Nicolas Copernic. Après des études menées grâce à une bourse d’études à Francfort-sur-l’Oder en 1625, Freitag s’installa dans la république de Hollande. Il rejoignit l’armée du stadhouder Frédéric-Henri de Nassau, très probablement en tant qu’ingénieur militaire. Ses années hollandaises furent déterminantes pour la suite de sa carrière. Il commença par prendre part au siège de Bois-le-Duc (’s-Hertogenbosch) en 1629, siège victorieux devenu légendaire par les gigantesques travaux de terrassement militaire et hydraulique réalisés. L’argent ainsi gagné permit à Freitag d’aller suivre ensuite des études de médecine à l’université de Leyde, où il fut reçu docteur en 1632. À cette époque, il a dû continuer à s’occuper de fortification, puisque c’est l’année précédente que parut le livre sur ce sujet qui devait le rendre fameux. Il est donc très vraisemblable qu’il a suivi aussi à Leyde les cours de la Duytsche Mathematique, institution de formation des ingénieurs militaires et arpenteurs-géomètres de renommée internationale : en tout état de cause, son traité contient une théorie des fortifications tout à fait conforme à l’enseignement qui y était dispensé. On a suggéré que Freitag assista aussi au siège de Maastricht en 1632. Deux ans avant d’obtenir son doctorat, et un an avant l’Architectura militaris, il avait publié une autre œuvre, mineure, Neu und Alter Schreib Calender auff das Jahr [...] 1630 (Wroclaw, Baumann, [1629]), qui parut aussi avec le titre Prognosticon Astrologicum Oder Practica über die Revolution dieses Jahres [...]. Cet almanach qui comprend toute sorte de conseils pratiques pour l’année à venir fondés sur des prédictions astronomiques et astrologiques démontre de sa part de réelles compétences dans ce domaine. La dédicace de l’opuscule au conseil municipal de Torun montre que Freitag avait gardé d’étroits contacts avec sa ville natale. En 1633, le turbulent prince polonais Janusz Radziwill (1612-1655) revint faire une visite à Leyde, où il avait fait des études à l’occasion de son « Grand tour » en Allemagne et aux Pays-Bas. C’est à cette occasion que Freitag entra à son service comme médecin personnel et comme conseiller en matière de fortifications : il participa à ses cotés à la guerre de Smolensk (1632-1634). Durant ces années, il expertisa les projets des ingénieurs de Gdansk pour les nouvelles fortifications de Torun. Lorsque son maître devint gouverneur de Vilnius, pour le compte de la République des Deux Nations polonaise et lithuanienne, Freitag le suivit et s’établit à sa cour de Kiejdany. C’est dans ce milieu calviniste, dans une région où les progrès de l’Église catholique étaient rapides, que mourut le luthérien Freitag à l’âge de quarante-deux ans. Une première esquisse biographique rédigée par Szymon Starowolski parut en 1655.
          Nombreux sont les exemplaires des huit éditions de l’Architectura militaris conservés aujourd’hui dans les bibliothèques européennes. Pour l’édition originale allemande de 1631, les libraires Bonaventure et Abraham Elsevier ont collaboré étroitement avec Freitag en personne. Ils réimprimèrent l’ouvrage en 1635 et 1642, et publièrent la traduction française de Toussaint Quinet en 1635. La branche amstellodamoise des Elsevier publia une autre édition allemande en 1655, pendant que trois éditions françaises voyaient le jour à Paris en 1640, 1657 et 1668. Certains catalogues et quelques bibliographies anciennes mentionnent des éditions en 1630, 1639, 1654, 1695 et même 1732 : ces dates doivent provenir d’erreurs de lecture.
          La mise en page de toutes les éditions est remarquable de constance. Il s’agit d’in-folio de 194 pages de texte en allemand (179 pages en français), reliées avec huit tableaux qui font la synthèse des dimensions, des angles et des distances entre les remparts, les bastions et les fossés, et trente-cinq gravures sur cuivre en pleine page contenant 185 figures. Le texte est précédé par huit pages liminaires : une page de titre allégorique richement décorée, avec sans doute un portrait du prince Maurice représenté en dieu Mars, une dédicace au roi Ladislas-Sigismond de Pologne, datée du 1er juillet 1630, la table des matières, un poème en l’honneur de l’auteur par le savant hollandais Daniel Heinsius, poète et bibliothécaire de l’université de Leyde, et un privilège d’impression signé par le secrétaire général des États Cornelis Musch du 5 août 1630 dans les versions allemandes (du 4 mars 1631 pour les traductions françaises). Les illustrations à la gravure très nette et très soignée ont été réalisées par le graveur hollando-polonais Willem Hondius (vers 1598- avant 1658) ; les cuivres sont imprimés d’un seul côté de feuillets intercalés entre les cahiers de texte. La dernière gravure (Mm) est signée. Les livres II et III sont pourvus de dédicaces particulières aux comtes et aux conseils des villes de Torun (datée du 24 juillet 1630) et de Gdansk (5 août 1630).
          La théorie de Freitag est exposée en trois livres qui traitent de manière traditionnelle dans le livre I du dessin des fortifications régulières et des procédures pour régulariser celles qui ne le sont pas, dans le livre II des situations particulières et des ouvrages avancés ; le livre III est consacré à l’art des sièges. Au lieu de commencer avec les principes de la géométrie, Freitag se limite exclusivement à l’architecture militaire. Un rappel historique, plus ou moins obligatoire, est suivi par une série de définitions et d’un glossaire fort utile en français, allemand, néerlandais et latin. Le livre I expose la théorie fondamentale, c’est à dire le dessin proportionné de forteresses régulières, du plan carré au plan dodécagonal , ainsi que des profils des remparts de terre et des fossés en eau, système qui s’est développé dans le paysage plat et humide des Pays-Bas. Dans le livre II, c’est le système hollandais qui est développé, avec ses angles droits caractéristiques entre les flanquements des bastions et les courtines. Freitag propose en outre un catalogue des diverses formes d’ouvrages avancés tels que les ravelins, ouvrages à cornes, ouvrages couronnés, tenailles et traverses. Il décrit aussi les plans irréguliers les plus classiques, et pour finir il aborde le cas particulier de la citadelle. Le livre III concerne la tactique des sièges, et les nombreux ouvrages temporaires exécutés par les ingénieurs et les sapeurs sur le terrain : tranchées, approches, techniques de sape et de mine des forteresses, d’inondation des territoires alentours. Des illustrations particulières montrent des ponts et des camps conçus d’après les sources romaines classiques, ainsi que les outils et les constructions des assiégeants. L’influence du livre de Samuel Marolois, Fortification ou architecture militaire (La Haye, 1615) est ici évidente. Bien qu’il ait eu une vaste expérience du terrain, Freitag ne fait allusion qu’à deux véritables forteresses, celles d’Anvers et de Heusden, dans les Pays-Bas du sud et les Pays-Bas du nord, et celle de Wesel près de la frontière allemande.
          La popularité du livre de Freitag n’est pas un phénomène isolé. De fait, nombreux furent les auteurs de ce type de traité à connaître le succès et à voir de nombreuses rééditions de leur œuvre. Les années 1625-1675 furent l’âge d’or des livres de fortification hollandais. Tout avait commencé dès 1594 avec le Sterckten-Bouwingh publié à Leyde par Simon Stevin, suivi par les Opera mathematica du mathématicien de Leyde Samuel Marolois (La Haye, 1614-1615) et le Maetconstigh-Liniael d’Adriaen Metius (Franeker/Leyde, 1626). On peut considérer que Freitag fait partie de la seconde génération, influencée par les leçons de la Duytsche Mathematique à Leyde ; son livre est tout à fait comparable à ceux de Nicolaus Goldmann (Leyde, 1643), Andreas Cellarius (Amsterdam, 1645) et Matthias Dögen (Amsterdam, 1647). Il est remarquable que tous ces auteurs sont originaires des pays de l’Est de l’Europe, respectivement de Wrocław (Pologne), Neuhausen (Allemagne) and Drawsko Pomorskie (Poméranie, Pologne), alors que la première génération avait été dominée par des émigrés venus de France et des Pays-Bas espagnols. Il faut souligner aussi que ces livres ont continué à être utilisés pendant des décennies dans de nombreux pays, alors qu’en 1654 l’ambitieux ingénieur militaire et officier hollandais Henrick Ruse avait déjà sérieusement remis en cause la validité du système. Il n’en reste pas moins que Niclas Bethlen, aristocrate originaire de Transylvanie (1642-1716) écrivit dans son autobiographie qu’il avait traduit le livre de Freitag (en latin ou en hongrois) (Ottenheym, De Jonge 2013, p. 122). Le système de Freitag fut repris dans de nombreux traités établissant des comparaisons, comme ceux d’Alain Manesson Mallet, Les travaux de Mars (Paris, 1671-1672), de Leonhard Christoph Sturm, par exemple dans l’Architectura militaris hypothetico eclectica (Nuremberg, 1702) et de Johann Heinrich Behr, Die bey den Europäern jetzt übliche Kriegs-Baukunst [...] (Leipzig, 1714). Les tables de calcul et les dimensions données par Freitag servirent à calibrer le compas à secteur de fortification, un outil fascinant conçu pour dessiner facilement les fortifications à l’échelle, décrit dans le Logometron architecturae militaris, Freitagianae (Arnhem, 1665). On citera pour finir une déconcertante publication liée à Freitag, le Compendium Fortificatorium oder Kurtze Anleitung nach heutiger Art Städte und Oerter zu befestigen, meist nach Adam Freytags Architectura militari gerichtet (Schleswig, Holwein 1660), dont l’unique exemplaire peut être attribué à Adam Olearius (« Zusammengetragen durch Adonis ») : il fait partie de la bibliothèque historique Hollstein/Herberstein, aujourd’hui conservée à la bibliothèque universitaire de Graz, en Autriche (cote SOSA Herberstein Bibl. 19099). Le titre complet mentionne un compas à secteur, ou compas proportionnel construit selon la coutume, c’est à dire suivant la méthode de Freitag, probablement copiée en l’occurrence d’Alexander. Un autre compas à secteur, un instrument ordinaire spécialement adapté au dessin des fortifications, a été développé avant 1656 par Nicolaus Goldmann, le collègue de Freitag à Leyde.

Jeroen Goudeau (Radboud University, Nijmegen, NL) – 2015

Bibliographie critique

J. Bogdanowski, « De school der oudnederlandse versterkingskunst in Klein-Polen », Jaarboek Stichting Menno van Coehoorn 1984-1985, p. 15-48 (en particulier p. 19).

S. Bürger, Architectura Militaris : Festungsbautraktate des 17. Jahrhunderts von Specklin bis Sturm, Munich, Deutscher Kunstverlag, 2013, p. 312-318, 382.

J. Goudeau, Nicolaus Goldmann (1611-1665) en de wiskundige architectuurwetenschap, Groningen, Elchers, 2005 (en particulier p. 93, 95-96, 155-156).

J. Goudeau, « Harnessed Heroes : Mars, the Title-page, and the Dutch Stadtholders », R. van Leeuwen & V. Manuth (éd.), Portrait Historié [...], sous presse (2015).

K. Jordan, Bibliographie zur Geschichte des Festungbaues von den Anfängen bis 1914, Marbourg, Deutsche Gesellschaft für Festungsforschung e.V., 2003, p. 95.

K. J. C von Landmann, « Freitag, Adam », Allgemeine Deutsche Biographie, 1878, p. 350.

H. Neumann, « Architectura Militaris », U. Schütte (éd.), Architektur und Ingenieur : Baumeister in Krieg und Frieden, Ausstellungskataloge der Herzog August Bibliothek 42, Wolfenbüttel, Herzog August Bibliothek, 1984, pp. 281-405 (en particulier p. 365-368).

K. Ottenheym, K. De Jonge (éd.), The Low Countries at the Crossroads : Netherlandish Architecture as an Export Product in Early Modern Europe (1480-1680), Turnhout, Brepols, 2013, p. 222.

E. Paar, « De ‘Nederlandse school’ der fortificatieleer : De theoretische en praktische invloeden op de Portugese militaire architectuur in de zeventiende eeuw », Bulletin KNOB 97, 1996, 1, p. 12-23.

M. Pollak, Military Architecture, Cartography & the Representation of the Early Modern European City :A Checklist of Treatises on Fortification in The Newberry Library, Chicago, The Newberry Library, 1991, p. 48-51.

J. Serczyk, « Adam Freytag (1608-1650) : Matematyk i inżynier wojskowy », dans M. Biskupa (éd.), Wybitni ludzie dawnego Torunia, Varsovie, Poznan and Toruń, Państwowe Wydawnictwo Naukowe, 1982, p. 75-80.

S. Starowolski, Monumenta Sarmatarum, Viam universae carnis Ingressorum, Cracovie, F. Cezary, 1655, p. 315-316.