LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Fournier, Georges
Titre Traité des fortifications, ou Architecture militaire...
Adresse Paris, J. Hénault, 1648
Localisation  
Mots matière Fortifications
Consultation de l’ouvrage
Transcription du texte

English

     Georges Fournier, né le 31 août 1595 à Caen, est le fils de Claude Fournier, originaire de Bourgogne, professeur en droit à l’université de Caen. Georges fait ses études dans sa ville natale, au collège du Mont alors récemment confié aux Jésuites. Ce collège n’ayant pas de classes supérieures, il est envoyé au réputé collège de La Flèche pour y faire sa philosophie. Ces années d’études au contact des Jésuites, décisives pour sa formation, éveillent chez le tout jeune homme un ardent désir d’entrer dans la Compagnie. Mais ce projet se heurte au refus catégorique de son père pour qui une carrière juridique s’impose. Georges Fournier s’y applique un temps, mais l’abandonne pour entrer à vingt-deux ans au noviciat de la Province Gallo-Belge à Tournai (1er octobre 1617) où il reste un an. Il poursuit pendant un an encore ses études d’humanités supérieures au collège de Lille, dans la province de France. Comme le veut le règlement de la Compagnie et l’ordre des études (Ratio studiorum), il occupe la charge de régent de grammaire au collège d’Eu de 1620 à 1624, puis entame ses trois années de théologie au collège de La Flèche, pour les terminer à celui de Bourges en 1627. Après sa troisième année de probation et un an de régence à Rouen, il retourne à La Flèche de 1628 à 1633 pour y professer les mathématiques. De 1633 à 1636, il est professeur de mathématiques à Dieppe. En effet, il avait été attaché dès 1633 au service d’Henri d’Escoubleau de Sourdis (1593-1645) archevêque de Bordeaux et chef du conseil du roi en l’armée navale. Fournier fait campagne avec ce prélat sur le Corail et le Saint-Louis contre les Espagnols en 1638 puis en 1640 et 1641. Fournier est un des premiers aumôniers de la Marine royale, et un des premiers Jésuites à s’intéresser véritablement à la formation des officiers de marine. De 1639 à 1644, il enseigne les mathématiques à Hesdin. Mais en 1641, la disgrâce de Sourdis le rend définitivement au collège de Hesdin, puis à celui de La Flèche. Il compose alors, tant pour les officiers de marine que pour les jeunes gens qui se destinent au métier des armes, des ouvrages d’une rare qualité pédagogique, tous publiés dans l’officine parisienne des Hénault. En 1642 est imprimée sa fameuse Hydrographie destinée aux officiers de marine, ce qui lui vaut d’être invité au collège de Clermont et d’y observer l’éclipse de lune du 13 avril 1642. Puis en 1644 paraît une édition latine, réordonnée et simplifiée des Élements d’Euclide pour les jeunes gens. En 1645-46, Fournier est nommé préfet des études du collège de Caen, puis en 1648-49 au collège d’Orléans. Il donne alors au public le premier volume de sa Geographica orbis noticia per littora maris (1648) et la première édition du Traité des fortifications ou architecture militaire, tiré des places les plus estimées de ce temps (1649). Ces ouvrages témoignent du souci d’une transmission intelligente des connaissances mathématiques nécessaires aux jeunes gens qui fréquentent les collèges. Le père Fournier meurt à La Flèche le 13 avril 1652 en laissant des manuscrits. L’un d’entre eux, transcrit par un mystérieux « L.M.S », Asiae nova descriptio in qua praeter Provinciarum situs et populorum mores mira deleguntur et hactenus inedita, sera publié en 1656 chez Mabre Cramoisy. Ce sont des notes de lecture qui témoignent d’une méthode de compilation critique exemplaire.
Il faut garder à l’esprit que les Jésuites avaient singulièrement bien adapté leur enseignement aux besoins des élèves qui fréquentaient leurs collèges. Durant les premières années du XVIIe siècle Aristote et Euclide constituaient le socle de la ratio studiorum, l’ordre des études jésuites. A côté des mathématiques pures (arithmétique, géométrie), étaient enseignées les « mathématiques mixtes » (nous dirions aujourd’hui « mathématiques appliquées ») comprenant des disciplines aussi diverses qu’astronomie, optique, perspective, mécanique, hydraulique, musique, fortifications, géographie et chronologie. Dans la société du début du XVIIe siècle, se développe en effet l’idée que la culture classique ne suffit pas à faire un bon homme de guerre, lequel reste le modèle de la société du temps. Aussi, dans le second quart de ce siècle, les Jésuites modulent-ils les programmes de la classe de mathématiques pour permettre à leurs élèves d’acquérir ce genre de connaissances et de pouvoir les appliquer.
Cette adaptation aux besoins d’une bourgeoisie montante qui vit noblement, conduit aussi à une mutation linguistique qui, encouragée par Richelieu, se généralise sous le règne de Louis XIV : le remplacement du latin par le français. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’ouvrage du père Fournier, composé en français pour une jeunesse qui se destine au métier des armes. Il se veut un outil pratique, un compendium, où le tout jeune futur militaire acquiert les bases nécessaires à l’art de fortifier. Fournier ne se contente pas d’inculquer graduellement les principes nécessaires à la compréhension des systèmes de fortification, à savoir les calculer, et « disserter » de leur intérêt, il veut former des hommes intègres, vaillants et courageux. Ne nous étonnons donc pas de voir dans la « Préface contenant plusieurs connoissances necessaires a toutes personnes qui font profession des armes » de percutantes maximes d’ordre moral. Fournier consacre trois chapitres aux duels, aux désordres qu’ils causent. Les édits royaux peuvent certes y remédier, mais le seul remède véritable est de cesser de s’en vanter ! Destinée à mettre en garde la jeunesse de France, cette préface ne figure ni dans l’édition en espagnol de 1649 parue chez Hénault, ni dans les éditions étrangères publiées après 1667 à Amsterdam, Mayence ou Leipzig.
Le Traité des fortifications a été un ouvrage de fonds du libraire Jean Hénault qui l’a repris huit fois de 1648 à 1668 et l’a fait traduire en espagnol en 1649. Ce relatif succès a conduit des libraires d’Amsterdam et de Mayence à le traduire en flamand ou en allemand, voire en latin ou même à le reprendre en français et à en contrefaire les planches pour toucher leur clientèle. Il y eut même deux éditions bilingues allemand-français à Leipzig (1670, 1686) et une à Mayence en 1688. Au total nous avons dénombré vingt-cinq éditions du livre, toutes langues confondues, entre 1648 et 1697. À partir de 1668, elles sont produites hors de France et les dernières d’entre elles voient le jour à la fin des années 1680. Le traité du père Fournier a alors perdu de son utilité : il est supplanté par l’édition de 1684 de L’ecole de Mars d’Alain Manesson-Mallet (1630-1706), ouvrage complet, parfaitement à jour et largement augmenté depuis la première édition parue en 1671.

C. Bousquet-Bressolier (École pratique des hautes études, Paris) – 2009

Bibliographie critique

W. Audenaert, Prosopographia iesuitica Belgia antiqua, Louvain-Heverlee, College S. J., 1, 2000, p. 356.

C. Bousquet-Bressolier, « Pédagogie de l’image jésuite : de l’image emblématique aux emblemata mathématiques », C. Bousquet-Bressolier (éd.), François de Dainville, un géographe pionnier de l’histoire de la cartographie et de l’éducation, Collection Études et rencontres de l’École des Chartes 15, 2004, Paris, École des Chartes, p. 143-166.

C. Chabaud-Arnault, « Un aumônier de la flotte sous le règne de Louis XIII », L’université catholique (Lyon), 11, 1892, p. 375-391.

F. de Dainville, La Géographie des humanistes, Bordeaux, Beauchesne, 1940, p. 257-276.

F. de Dainville, « L’enseignement des mathématiques dans les collèges jésuites de France au XVIe et XVIIIe siècle (II) », Revue d’histoire des sciences, 1954, 7, 2, p. 109-123.

P. Delattre, Mélanges biographiques, Archives jésuites de la Province de France, Vanves, Mss. SP1, t. 1, f° 122 (dossier personnel Georges Fournier : note de A. Ledoux).

É. d’Orgeix, « Alain Manesson Mallet: portrait d’un ingénieur militaire dans le sillage de Vauban », Bulletin du comité français de cartographie, 195, mars 2008, p. 67-74.

M. Jähns, Geschichte der Kriegswissenschaften, vornehmlich in Deutschland, Munich/Leipzig, R. Oldenbourg, 2, 1890 (rééd. : New York, 1966).

K. Jordan, Bibliographie zur Geschichte des Festungsbaues von den Anfängen bis 1914, Marburg, Deutschen Gesellschaft für Festungsforschung e. V., 2003.

L. Marini, Biblioteca istorico critica di fortificazione permanente, Rome, Mariano de Romanis e Figli, 1810 (rééd. : Bologne, Libreria Antiquaria Bringenti, 1971).

M. D. Pollak, Military Architecture Cartography and the Representation of the Early Modern European City : A Checklist of Treatises on Fortification in the Newberry Library, Chicago, Chicago University Press, 1992, n° 23.

M. Prevot, R. d’Amat & H. Tribout de Morembert, Dictionnaire de biographie française, Paris, Letouzey et Ané, 14, 1979, col. 833-835.

Ratio Studiorum. Plan raisonné et institutions dans la Compagnie de Jésus, édition bilingue présentée par A. Demoustier et D. Julia, traduite par L. Albrieux et D. Pralon-Julia, annotée et commentée par M.-M. Compère, Paris, Belin, 1997.

C. Sommervogel, Bibliothèque de la Compagnie de Jésus, Bruxelles/Paris, Schepens/Picard, 3, col. 909-912.