LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Le Muet, Pierre
Titre
Traicté des cinq ordres d’architecture, desquels se sont seruy les Anciens. Traduit du Palladio Augmenté de nouuelles inuentions pour l’art de bien bastir…
Adresse Paris, F. Langlois, 1645
Localisation Paris, Ensba, Les 646
Mots matière Charpenterie, Ordres, Portes

English

     Pierre Le Muet fut le premier à diffuser en France le traité de Palladio. Contrairement à Fréart de Chambray en 1650, il ne donne pas une traduction intégrale du traité de l’Italien, mais seulement une traduction du premier livre, revue et corrigée (Traicté des cinq ordres... Traduit du Palladio Augmenté de nouvelles inventions pour l’art de bien bastir). Comme son petit Vignole publié quelques années auparavant (1632), ce manuel commode, destiné aux praticiens, est un petit format (8°) et non plus un in-folio, dont la publication a été confiée à François Langlois qui a racheté en 1644 une partie du fonds de Tavernier.
L’ouvrage s’ouvre sur une dédicace à Jacques Tubeuf, conseiller du Roi, intendant et contrôleur général des bâtiments de la Reine, et se poursuit par les chapitres du premier des Quattro libri consacré aux ordres (ch. 12-19). Il comprend aussi le chapitre 20 sur les abus (« Degli abusi »). La dédicace et l’avant-propos aux lecteurs de Palladio ainsi que les chapitres concernant les matériaux ont été logiquement supprimés. La seconde partie, avec une page de titre particulière, habille à la française les chapitres 21 à 29, qui traitent des galeries, entrées, salles, chambres, portes et fenêtres, cheminées, etc… Dans l’avis au lecteur Le Muet justifie son choix, « pource que j’ay reconnu que les mesures qu’il [Palladio] prescript en beaucoup de choses sont extremement differentes de celles qu’on pratique aujourd’huy en France, au lieu de traduire precisement ce qu’il dict, et qui seroit ce me semble inutile, je te donne seulement les reigles et preceptes de ce qui est en usage parmy nous » (p. 115). Le Muet propose donc une version partielle et une interprétation française des chapitres techniques, en un mot un « Palladio à l’usage des Français ». Sa traduction n’en est pas moins littérale et précise : l’interprète glose seulement en ajoutant les termes français traditionnels : le mot « orlo » est ainsi souvent traduit par la séquence « orle, ourlet ou plinte », etc.
Toutes les illustrations ont été regravées ; elles sont d’ailleurs inversées par rapport à l’édition italienne originale. En raison du petit format Le Muet a été obligé d’ajouter des planches particulières pour les variantes des membres, proposées de part et d’autre de l’illustration principale du piédestal et de la base dans l’in-folio original. Il supprime de même les mesures des planches illustrant le chapiteau et l’entablement et les reprend dans la planche suivante où il reproduit séparément l’entablement sans décor et le chapiteau. Pour les ordres corinthien et composite, il simplifie les gravures représentant l’entablement et le chapiteau : il en extrait le détail du soffite et l’ichnographie du demi-chapiteau auxquels il consacre une planche particulière, qui cette fois précède la planche principale.
La seconde partie du traité aborde les neuf derniers chapitres du livre I, qui traitent successivement des loggias, des entrées, des salles et des chambres (ch. 21), des planchers et plafonds (ch. 22), de la hauteur des chambres (ch. 23), des diverses sortes de voûtes (ch. 24), des portes, des fenêtres (ch. 25) et de leurs ornements (ch. 26), des cheminées (ch. 27), des escaliers (ch. 28) et enfin des couvertures (ch. 29). C’est une traduction librement adaptée, comme Le Muet l’avait annoncé dans l’avis au lecteur, puisque les demeures et les usages de construction ne sont pas les mêmes en France qu’en Italie. En outre tous les chapitres de Palladio sont eux-mêmes subdivisés en plusieurs chapitres, car le texte a été considérablement augmenté et abondamment illustré. La version originale est en effet moins corrigée que développée. Sans doute l’orientation, les mesures des galeries, les proportions des salles et des chambres sont-elles purement et simplement revues en fonction des usages de notre pays ; le traité palladien n’en fournit pas moins la trame et les préceptes fondamentaux. Mais Le Muet ne se contente pas de substituer les traditions françaises aux habitudes italiennes lorsqu’il y a divergence de pratique et de technique ; il raisonne avant tout en architecte français. La distribution du logis est une invention française, à laquelle est subordonnée la décoration. L’espace d’habitation s’organise donc autour des appartements du maître et de la maîtresse de maison et de la salle. Alors que les pièces décrites par Palladio sont peu différenciées, pavées de carreaux ou de pierres, et voûtées de diverses façons, l’appartement français, relié à la salle, regroupe des pièces de taille et de plan variable (chambre, antichambre, cabinet), d’où un long développement consacré aux proportions des chambres avec cinq cas de figures illustrés, précédé lui-même d’un bref chapitre sur la proportion de l’antichambre. Les pièces ont un sol en plancher, les dallages étant réservés plutôt aux galeries et vestibules, et un plafond en bois. Aussi tout naturellement le texte de Palladio qui mettait l’accent sur les pavements et sur les voûtes est-il considérablement remanié (p. 128-130). Les deux chapitres sur les portes et fenêtres (I, 25) et sur leurs ornements (I, 26) sont considérablement étoffés. Après la page 166 Le Muet enrichit surtout son texte, par une série de quinze planches de « Portes et Croisees selon les cinq ordres d’Andre Palladio ».
Les cheminées, moins nécessaires en Italie en raison du climat, sont traitées par le Français selon leur localisation (chambre, cabinet et garde-robe) ; les aspects techniques ne sont pas oubliés (conduits). Le Muet illustre le comble dit « à la française », en tuiles et surtout en ardoise. Les planches extrêmement détaillées qui suivent, représentant des combles, à surcroît ou non, et celle avec une maison à pans de bois sont reprises de sa Maniere de bastir (1623). Le Français ajoute des modèles plus modernes de combles brisés dits « à la Mansart », qu’il avait lui-même adoptés quelques années auparavant. En fin de compte seul le chapitre de Palladio sur les escaliers – le dernier du livre I – est assez fidèlement suivi. Pour des raisons de format déjà évoquées, Le Muet a dû isoler les différents types regroupés sur deux planches chez Palladio. Seule précision ajoutée par Le Muet – fondamentale : la place de l’escalier dans le bâtiment.
Cette traduction partielle du livre I de Palladio connut un second tirage deux ans plus tard, en 1647, chez Pierre Mariette. Trois contrefaçons hollandaises publiées à Amsterdam successivement en 1646, 1679 et 1682 attestent son succès. Dès 1646 l’ouvrage fut traduit en néerlandais ; il fut également publié à Londres, en 1663 puis sans cesse réédité (1668, 1676, 1683, 1700, etc.). La fortune du Palladio de Le Muet dans l’Europe du Nord s’explique sans doute par sa particularité même : revue et corrigée à la mode française, cette version convenait mieux que l’édition italienne à des praticiens dont les conceptions et les techniques, climat oblige, étaient proches.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2008

Bibliographie critique

M. Préaud, P. Casselle, M. Grivel & C. Le Bitouzé, Dictionnaire des éditeurs d’estampes à Paris sous l’Ancien Régime, Paris, Promodis, 1987, p. 378-379.

F. Lemerle, « L’Accademia di architettura e il trattato di Palladio (1673-1674) », Annali di architettura, 12, 2000, p. 117-122.

F. Lemerle, « Vitruve, Vignole, Palladio et les autres: traductions, abrégés et augmentations au XVIIe siècle », Architecture et théorie. L'héritage de la Renaissance, Tours, Cesr, 3-4 juin 2009/Paris, École d’architecture de Paris-Malaquais, 5 juin, 2009.

F. Lemerle, « À l’origine du palladianisme européen : Pierre Le Muet et Roland Fréart de Chambray », Revue de l’art, 178, 2012-4, p. 43-47.

F. Lemerle & Y. Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe, suivi d’une bibliographie des livres d’architecture (XVIe-XVIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 116.

C. Mignot, « Palladio et l’architecture française du XVIIe siècle », Annali di architettura, 12, 2000, p. 107-115.

 

 

Notice

Traicté des cinq ordres d’architecture desquels se sont servy les anciens. Traduit du Palladio, augmenté de nouvelles inventions pour l’art de bien bastir, par le Sr Le Muet. - A Paris : chez F. Langlois, dit Chartres, 1645. - Page de titre, [bl.], frontispice, [bl.], dédicace au président Tubeuf (3 p.), [bl.], privilège (2 p.), 114 pages, nouveau frontispice, [bl.], nouveau titre, [bl.], p. 115-166, 16, p. 167-229, [bl.], entièrement gravées sur cuivre : figures ; in-8°.
Première édition par Le Muet de sa libre traduction de Palladio, suivi des « Nouvelles inventions pour l’art de bien bastir » : deux traités publiés ensemble, chacun avec leur page de titre et leur frontispice, mais avec une seule pagination (interrompue dans la seconde partie par une série de 15 planches, pourvue de leur propre numérotation). La seconde partie, annoncée sur la première page de titre comme « Nouvelles inventions pour l’art de bien bastir », commence après la page 114 avec pour nouveau titre : « Traicté des galleries, entrées, salles, antichambres et chambres, avec la manière de trouver la hauteur de chacunes pièces, proportionnées selon leur grandeur... par le Sr Le Muet », et pour titre de frontispice : « Divers traictez d’architecture pour l’art de bien bastir, par le Sr Le Muet ».
Numérotation erratique et complexe : la page 154 est répétée, la suite de 15 planches est en 16 pages (page 5bis blanche), deux pages blanches entre les pages 174 et 175, une entre les pages 226-227, une entre les pages 228 et 229.
Le privilège est accordé pour vingt ans à François Langlois, le 7 juillet 1645, et porte la mention : « achevé d’imprimer pour la première fois, ce dernier jour de juillet. Les exemplaires ont été fournis ». Le deuxième frontispice est signé de Grégoire Huret.
Berlin Katalog 2595 ; Cicognara 573 ; Fowler 216 ; Bibliothèque nationale, Inventaire du fonds français XVIIe siècle, « Huret », n° 475.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 646.
*Notes :
- Reliure de veau clair, avec double filet doré, un fleuron dans les entre-nerfs, et une pièce de titre de maroquin rouge au dos, gardes blanches et tranche racinée, 18,7 x 14 cm.
- De la collection de l’architecte Joseph Lesoufaché (1804-1887) donnée par sa veuve à l’École des Beaux-Arts, 1889.