LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s) Blondel, François
Titre Resolution des quatre principaux problemes d’architecture
Adresse Paris, Imprimerie Royale, 1673
Localisation Paris, Ensba, Les 1835
Mots matière Mathématiques, Stéréotomie, Résistance des matériaux
Transcription du texte

English

     François Blondel est assurément l’un de ces « habiles gens », selon Fontenelle,qui contribuèrent au XVIIe siècle à l’essor de la science moderne.  Ses multiples connaissances et talents, reconnus par les grands ministres successifs (Richelieu, Mazarin, Colbert) l’amenèrent à remplir de nombreuses missions au service du Royaume et à rencontrer en Europe les plus éminents savants de ce temps.  Parmi ceux-ci, le premier était Galilée (1564-1642), dont Blondel prétendra par la suite à « l’honneur d’estre de ses derniers Disciples » (p. 85). À Paris, Blondel était proche de plusieurs milieux intellectuels et scientifiques, notamment celui que rassemblait le Père Mersenne au couvent des Minimes à la place Royale.  Selon Fontenelle, Blondel fréquenta l’Academia Parisiensis de ce dernier dans les années précédant 1648 avec « MM. Gassendi, Descartes, Hobbes, Roberval, les deux Pascal père & fils ».  Blondel pourrait avoir aussi rencontré dans les mêmes séances le mathématicien Girard Desargues, avec lequel il partageait un intérêt pour les applications pratiques de la géométrie.  Il fut plus tard en relation avec deux des disciples et amis de Desargues, le graveur Abraham Bosse et l’astronome Philippe de La Hire. En plus de ses nombreux contacts contemporains, Blondel possédait une vaste culture mathématique, allant aisément des géomètres grecs (Euclide évidemment, mais aussi Apollonius, Eutocius, et Pappus) jusqu’aux savants modernes, tels que Nicolò Tartaglia (1500-1557), Federico Commandino (1509-1575) et François Viète (1540-1603). Esprit curieux, observateur attentif, inventeur habile, Blondel fut nommé Conseiller Lecteur du Roi en Mathématique au Collège royal en 1656 et associé comme « géomètre » à l’Académie des sciences à partir de 1669.
Jusqu’en 1673, le travail savant et scientifique de Blondel fut connu principalement de ses amis et correspondants. Ce fut la protection de Colbert qui transforma effectivement son profil intellectuel. À partir de cette année-là, Blondel publia une série de traités prestigieux sur des sujets techniques liés aux mathématiques, chacun portant sur différents domaines de son activité professionnelle, à savoir l’architecture, la fortification, et la balistique. Son premier grand œuvre fut la Résolution de quatre principaux problèmes d’architecture (1673), produit sous les auspices des Académies royales dans un beau volume in-folio.  Entièrement approuvé par la couronne, il faisait partie d’un plus large programme de publication commandité par Colbert pour célébrer le mécénat culturel récent de Louis XIV. Ce traité, l’un des principaux de la période, son auteur le voyait comme une réponse délibérée à l’impact de la nouvelle science sur la culture architecturale du moment. Il rassemblait les études qui avaient occupé Blondel depuis les années 1640, en particulier son travail sur la résistance des matériaux, inspiré par les célèbres Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze (1638) de Galilée.  Blondel a publié ses deux traités suivants dix ans plus tard en 1683 : L’art de jetter les bombes et la Nouvelle manière de fortifier les places.
Le titre inhabituel de la Résolution servait un double objectif.  En premier lieu, il le différenciait du corpus existant des trattati de la Renaissance en le révélant comme une œuvre de la science mathématique.  Plutôt que de fournir une interprétation personnelle des cinq ordres ou des exemples recommandés de dessin, la Résolution pose un nombre limité de questions précises et les définit comme des problèmes à résoudre, comme des obstacles à surmonter.  Intentionnellement restreint dans la portée et l’ambition, le travail met en évidence une découverte progressive et un progrès graduel dans des domaines d’enquête circonscrits.  Le Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences (1637) de Descartes offre une analogie contemporaine.  Les annexes de ce dernier livre, La dioptrique, Les météores et La géométrie, présentent une application pratique de sa méthode à trois domaines spécifiques.
Le titre de la Résolution permet aussi de situer le livre dans une tradition intellectuelle notoire, en évoquant les trois problèmes historiques de la géométrie ancienne : la quadrature du cercle, la trisection de l’angle et le doublement du cube.  Ces problèmes n’étaient pas solubles déductivement avec le compas et la règle.  Comme les solutions présentées dans le Résolution, ils exigeaient donc d’autres instruments et techniques, dont certains nécessitaient la construction de courbes complexes.  Dans un sens plus large, le propos de Blondel n’était pas tant d’offrir des solutions à des questions architecturales particulières que de montrer comment l’intervention mathématique transcende les pratiques quotidiennes de l’art de bâtir.  Il choisit donc quatre domaines où cette intervention lui semble pertinente : la définition géométrique du profil courbé des colonnes (p. 1-15), le tracé des arcs obliques, ou rampants (p. 16-54), la stéréotomie – en liaison avec le domaine précédent (p. 55-59) – et la résistance des matériaux (p. 60-86).

            Premier problème
            Décrire Géometriquement en plusieurs manières, & tout d’un trait, le Contour de l’enflûre &             diminution des colonnes.

Dans ce chapitre, Blondel montre que la construction point par point, donnée par Vignole, du contour d’une colonne, produit une courbe connue dès l’antiquité, à savoir la conchoïde de Nicomède.  Celle-ci avait été décrite par Eutocius et par Pappus en apportant des solutions pour la duplication du cube.  Ce chapitre reprend les circonstances de cette découverte et donne la description d’un traceur capable de dessiner le profil d’une colonne d’un seul trait continu.  Cette partie du discours fut saluée par les contemporains, notamment par Abraham Bosse dans son Traité des manières de dessiner les ordres de l’architecture antique (1664) et par Claude Perrault dans son Vitruve,  qui paraît la même année que la Résolution.  Un peu trop doctoral, Blondel ajoute des considérations annexes sur la chute des corps où il prétendra retrouver aussi la « première conchoïde ».  Pour finir, il propose de dessiner d’un seul trait, avec des traceurs appropriés de son invention, des profils de colonnes paraboliques, elliptiques, circulaires et hyperboliques « afin que l’on en puisse faire l’expérience » au cas où ces contours fussent du « goût de quelques-uns ».  On retrouve dans cette dernière partie l’attrait des savants de l’époque pour les coniques et la construction d’instruments (ou compas) mathématiques.

            Second problème
            Trouver une section conique qui touche trois lignes droites données en un même plan, & deux de ces             lignes en un point donné chacune : ou bien, décrire Géometriquement les arcs rampans sur toutes             sortes de pieds droits & et de hauteur.

En 1600, François Viète publia son Apollonius Gallus, une restitution du De tactionibus, œuvre perdue de l’auteur grec. Viète y étudiait de façon magistrale le problème de la construction d’un cercle tangent à trois cercles donnés.  C’est sur ce modèle que Blondel a fondé sa seconde « solution », intitulée « Apollonius François des Tactions », qui examine le problème de la construction d’une conique tangente à trois droites ou tangente à deux droites données en deux points donnés.  Ce problème est d’actualité ; Philippe de La Hire vient de publier en 1672 ses Observations sur les points d’attouchement de trois lignes droites qui touchent la section d’un cone sur quelques-uns des diametres, & sur le centre de la même section mises en lumière par A. Bosse.  Bien que la question fût formulée ici d’une manière académique, elle était souvent soulevée par les architectes ou les appareilleurs qui doivent tracer des arcs rampants, c’est-à-dire les arcs qui départent de chaque côté d’une hauteur différente.  Dans ces cas concrets, deux de ces lignes représentent les piédroits, tandis le tiers donne la hauteur et l’inclinaison de l’arc.  Né de ses tangentes avec les deux lignes inférieures, l’arc pouvait donc être fait pour suivre une ligne continue (une ellipse par exemple) à partir de ses piédroits. Il s’agit bien de donner aux praticiens des règles précises et rationnelles pour des situations de cette sorte.
Après une assez longue digression, Blondel résout le problème posé à partir de deux propositions de la Collection Mathématique de Pappus (8e livre, propositions 13 et 14). La première explique comment trouver les diamètres conjugués d’une ellipse (c’est-à-dire deux diamètres tels que chacun d’eux est le lieu des milieux des cordes parallèles à l’autre).  La seconde proposition donne une méthode pour trouver les foyers et les axes majeurs et mineurs à partir d’un couple de diamètres conjugués. Une fois ces éléments déterminés, l’architecte peut tracer l’ellipse en utilisant soit un traceur spécial, soit une corde tendue, attachée aux foyers. Comme les sections coniques partagent plusieurs propriétés, la démonstration pour l’ellipse peut être étendue à d’autres courbes de la même famille. En montrant comment déterminer les diamètres conjugués, Blondel présente tous les cas possibles qu’un praticien peut rencontrer sur le terrain. Mais, comme Blondel en rend compte, le langage visuel de la preuve géométrique rigoureuse n’était pas bien adaptée aux exécutants : « l’austérité de la démonstration m’a obligé à quantité de lignes inutiles pour la pratique, & qui peuvent embarrasser les ouvriers, qui ne sont pas accoutumez à les démesler ». Bien qu’il ait prit soin d’inclure une « méthode universelle » simplifiée pour trouver des diamètres conjugués, le nombre et la complexité de ses démonstrations doivent avoir intimidé même le constructeur le plus résolu.

            Troisième problème
            Trouver Géometriquement les joints de teste de toutes sortes d’Arcs rampans.

La résolution de ce problème tient en peu de pages car il est le prolongement naturel du précédent. Blondel montre d’abord que la pratique la plus courante pour déterminer les joints de tête lorsque l’arc est circulaire ne s’applique pas à tout arc rampant.  Il fournit ensuite deux manières alternatives en s’appuyant sur la méthode décrite dans la solution précédente. Une fois le tracé de l’arc rampant établi, les méthodes servent à établir une série de tangentes à l’arc. Les joints de têtes, comme pour les voussoirs, sont simplement prolongés à partir de ces tangentes sous forme de perpendiculaires. Contrairement aux méthodes courantes pour résoudre ce problème, celles de Blondel servent, selon lui, « tant pour la sûreté & solidité de la liaison des voussoirs, que pour la beauté & l’élégance du trait ».

            Quatrième problème
            Trouver la ligne sur laquelle les Poutres doivent estre coupées en leur hauteur & largeur, pour les             rendre par tout également fortes & résistantes.

Dans son traité Discorsi e dimostrazioni paru en 1638, Galilée aborde une science nouvelle : la « résistance des solides ». Au cours de la deuxième journée du dialogue, l’auteur examine les effets structurels posés par une poutre cantilever encastrée à son extrémité dans un mur, démontrant comment et dans quelles proportions la longueur de la poutre, sa largeur et son épaisseur déterminent sa résistance à la fracture. À un certain point, Galilée introduit l’idée d’un « solide de résistance égale », c’est-à-dire, une poutre formée de telle sorte qu’elle conserve la même résistance à tous les points sur sa longueur, c’est-à-dire juste d’épaisseur nécessaire pour l’empêcher de s’écrouler sous une force donnée. Il trouve que la poutre cantilever de résistance égale (abstraction faite du poids de la poutre elle-même) conserverait une largeur constante, tandis que son épaisseur diminuerait en proportion de la racine carrée de la longueur de l’extrémité libre, formant ainsi une demi-parabole.
C’est ce problème que Blondel aborde dans la quatrième et dernière partie de la Résolution. Dans ce chapitre, il montre que la preuve de Galilée n’est valide que pour les poutres en porte-à-faux, et non pour les poutres supportées à leurs deux extrémités. Il montre que le profil pour une telle poutre devrait plutôt suivre une courbe uniforme de bout en bout avec le même ratio au carré entre l’épaisseur et la longueur. La courbe de la poutre pourrait donc être soit semi-circulaire soit elliptique. La solution est présentée sous la forme de deux lettres réimprimées. La première, en latin, fut écrite en 1657 au mathématicien suédois Paul Wurz et publiée sous forme de petite brochure en 1661. La seconde, adressée à l’académicien Jacques Buot la même année, répond à certaines objections et fournit des éclaircissements sur certains passages de la première lettre. Réimprimer les lettres dans leur forme originale est certainement destiné à rappeler aux lecteurs la priorité de sa découverte.
Bien que publiés beaucoup plus tard, les travaux de Blondel sur la résistance des matériaux le placent dans le milieu des disciples français de Galilée de la première moitié du siècle. Descartes, par exemple, ayant pris connaissance des Discorsi à une date rapprochée, a peut-être été jusqu’à reconnaître la même erreur.  Dans une lettre à Mersenne, datée du 11 octobre 1638, il écrit : « Ce qu’il [Galilée] dit des bois qui doivent estre coupez en demi-parabole, pour résister partout également, est vray à peu près… ». La traduction de Mersenne des Discorsi, intitulée Les nouvelles pensées de Galilée (1639), parut un an après l’original. Comme Blondel le mentionne dans sa lettre à Buot, son travail sur le sujet commença dans les années 1640, inspiré probablement par ses contacts dans ce cercle.  Sa contribution par ailleurs fut très lue et généralement reconnue comme faisant autorité. Christian Huygens, Leibniz, Robert Hooke, et Vincenzo Viviani sont tous connus pour l’avoir lue et la plupart des éditions modernes des Discorsi sont aussi en accord en attribuant à Blondel la découverte et la correction de l’erreur de Galilée.
La Résolution illustre, plus que ses autres traités, l’autorité de Blondel comme savant dans les cercles érudits de la fin du XVIIe siècle.  Son but était de combiner les acquis de la géométrie grecque et les derniers développements des sciences physico-mathématiques, afin d’amener les praticiens à une vision moderne du progrès scientifique.  Pour Blondel, une orientation renouvelée vers les mathématiques supérieures servirait à sortir par le haut l’architecture du domaine de la pratique routinière, mécanique, tout en fournissant des solutions utiles à des problèmes généralement rencontrés par les praticiens.  Blondel est souvent opposé à Claude Perrault en tant que partisan des Anciens, mais le point de vue défendu dans ce traité est consciemment moderne.  Son avis était que l’architecte doit se détacher des règles d’atelier pour accéder à des procédures fondées sur des lois mathématiques certaines, en intégrant à sa réflexion la science la plus avancée de son époque.

Anthony Gerbino (Worcester College, University of Oxford)
Jean-Pierre Manceau (Tours) – 2010

 

Bibliographie critique

A. Birembaut, « Blondel, Nicolas-François », C. Coulston Gillispie (éd.), Dictionary of Scientific Biography, New York, Scribner, 1970-1980, 2, p. 200-202.

M. Chaboud, Girard Desargues, bourgeois de Lyon, mathématicien, architecte, Lyon, Aléas, 1996.

J. Dhombres & J. Sakarovitch (éd.), Desargues et son temps, Paris, Blanchard, 1994.

J. V. Field & J. J. Gray, The Geometrical Work of Girard Desargues, New York, Springer, 1987.

A. Gerbino, « François Blondel and the Résolution des quatre principaux problèmes d’architecture (1673) », Journal of the Society of Architectural Historians, 64, 4, 2005, p. 498-521.

A. Gerbino, François Blondel : Architecture, Erudition, and the Scientific Revolution, Londres/New York, Routledge, 2010.

J.-P. Manceau, « Abraham Bosse, un cartésien dans les milieux artistiques et scientifiques du XVIIe siècle », S. Join-Lambert & M. Préaud (éd.), Abraham Bosse, savant graveur, Paris/Tours, Bibliothèque Nationale de France/Musée des Beaux-Arts de Tours, 2004, p. 53-63.

R. Taton, L’œuvre mathématique de G. Desargues, Paris, Presses Universitaires de France, 1951.

R. Taton, « La première œuvre géométrique de Philippe de La Hire », Revue d’histoire des sciences, 6, 2, 1953, p. 93-111.

R. Taton, « La Hire, Philippe de », Dictionary of Scientific Biography, 7, p. 576-579.