LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
De l’Orme, Philibert |
Titre |
Le premier tome de l’architecture... |
Adresse |
Paris, F. Morel, 1567-1568 |
Localisation |
Paris, Ensba, Les 1653 |
Mots matière |
Architecture, Cheminées, Ordres, Portes, Stéréotomie |
English
Le projet
d’un traité d’architecture complet est annoncé
par Philibert De l’Orme dès 1561, dans les Nouvelles
inventions, explicitement conçues pour n’en
être qu’une partie. Ce traité parut pour la
première fois en 1567 : il est alors constitué de neuf
livres qui embrassent l’ensemble de la construction. Les deux
premiers contiennent des considérations préliminaires
relatives aux conditions générales de la construction
(choix du site, orientation, choix des matériaux, etc.)
ainsi qu’au statut de l’architecte. Les livres III et IV
voient sortir l’édifice du sol : il est question de fondations,
de caves, et plus généralement des structures de pierre
qui assurent au bâtiment stabilité et fonctionnalité,
en particulier les voûtes, trompes et escaliers (voir ci-après
la présentation de Philippe Potié). Le livre V aborde
le décor avec les ordres toscan, dorique et ionique ; le livre
VI est consacré entièrement au corinthien et le livre
VII traite des diverses manières de « composer »
des ordres originaux, ainsi que du problème, lui aussi fort important,
de l’ordre français. Les deux derniers livres s’occupent
des différentes sortes d’ouvertures, portes, fenêtres
et lucarnes, ainsi que de l’organisation des façades, puis
des cheminées. Une importante conclusion donne à l’auteur
l’occasion d’une longue réflexion sur la profession
d’architecte. Dans les éditions ultérieures, les
deux livres des Nouvelles Inventions viendront couronner l’édifice
en devenant les livres X et XI.
À
cette date, rares sont les traités aussi complets : De l’Orme
veut évidemment rivaliser avec Alberti ou Serlio, qu’il
a sans doute conscience de surpasser dans la mesure où il intègre
à son propos des développements techniques, sur l’art
des voûtes en particulier, dont les Italiens n’ont point
idée. Ses sources sont multiples : la pratique quotidienne des
chantiers lui a donné toute la science nécessaire pour
dominer les aspects les plus concrets de l’art de bâtir
; son ou ses voyages en Italie lui ont permis d’accumuler les
références artistiques les plus sophistiquées,
tandis que la fréquentation des milieux humanistes, à
Rome comme à Paris, lui a conféré le recul nécessaire
à la bonne « digestion » de cette culture protéiforme.
En témoignent les nombreuses représentations d’antiques
que propose l’ouvrage (qu’il s’agisse de relevés
réalisés sur place ou de copies de dessins et d’autres
traités comme celui de Cesariano ou de Labacco), les allusions
– volontiers critiques – à l’architecture romaine contemporaine,
ou encore les citations savantes qui parsèment l’ouvrage.
Mais tel quel, le traité n’est pas achevé : De l’Orme
n’a pas eu le temps de rédiger le Second tome
qu’il promet à plusieurs reprises, dans lequel il aurait
présenté ses propres œuvres et exposé sa doctrine
des « Divines Proportions ». Sans doute conscient qu’il
n’aurait pas le temps de mener à bien son ouvrage, Philibert
a tenté d’intégrer le matériel prévu
dans les derniers livres du Premier tome, ce qui en rend parfois
la structure un peu confuse.
Il est aussi
peu de traités si novateurs. Loin de se borner à reprendre
les formes serliennes, comme Goujon ou Bullant, De l’Orme ramène
ces modèles (présentés comme « vitruviens
») à de petites vignettes, réservant les pleines
pages soit à des antiques, qui prennent ainsi rang de paradigmes,
soit à ses propres inventions. Et sous le prétexte de
« composer », il invente des ordres totalement originaux
– quitte à les faire passer pour des antiques – préférables
selon lui aux précédents imposés par la tradition
serlienne. Tel chapiteau « composé » de l’ionique
lui semble admirable, bien que sa façon « par les ignorants
& fascheux pleins d’envie pourra estre trouvée fort
estrange, & peult estre, de mauvaise grace, pour autant qu’ils
n’ont accoustumé de voir la semblable & ne peuvent
louer ce qu’ils ne sçavent faire & oultrepasse leurs
gros esprits » (f. 208). De même, le plan ondé de
la trompe d’Anet, « lequel j’ai voulu faire de forme
étrange pour rendre la trompe de la voûte plus difficile
et belle à voir » (f. 89v°), est d’autant plus
admirable qu’il est extraordinaire. L’esthétique
du Premier tome se situe plus volontiers dans la ligne du Livre
extraordinaire de Serlio que dans la rigueur vitruvienne d’un
Bullant : c’est la même « fureur architectonique »
invoquée par l’Italien qui inspire clairement De l’Orme
dans son goût de l’originalité, de l’abondance,
de la variété de l’« excogitation ».
Il est enfin
peu de traités d’architecture aussi personnels. L’homme
Philibert de l’Orme y apparaît sous tous ses visages, avec
une vérité d’autant plus forte que sa plume est
très vivante. Il ne se contente pas de nous faire part de ses
expériences de bâtisseur ; c’est sur le ton de la
confidence qu’il nous raconte telle ou telle anecdote de son voyage
de jeunesse à Rome, qu’il évoque les déboires
qu’il a connus après la mort de Henri II, son principal
protecteur, à la mémoire duquel il se montre très
fidèle. L’abbé de Saint-Serge d’Angers, qui
« possède terres et vignes », se souvient que les
pluies ont gâché la vendange de 1555 ; en même temps,
le chanoine de Notre-Dame, qui à la fin de sa vie vient habiter
près de la cathédrale et se montre assidu au chapitre,
intervient volontiers pour mettre en garde avec insistance contre le
pêché d’orgueil, et pour invoquer le véritable
auteur de toutes ses inventions d’architecture, Dieu, dont il
n’est que le fidèle serviteur.
Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2004
Philibert
De L’Orme livre en 1567 dans son traité l’intégralité
d’un savoir jusqu’alors transmis sous le sceau du secret
dans le cadre corporatif : l’art du trait. Constitué progressivement
entre le XIIe et XIVe siècles dans les pays de langue d’Oc,
l’art du tracé des épures permettant la maîtrise
de volumes complexes va donner lieu, grâce à l’ouvrage
imprimé, à la constitution d’un nouveau chapitre
des arts libéraux. La stéréotomie au XVIIe siècle,
la descriptive au XVIIIe siècle scanderont l’évolution
de ce qui deviendra une science dans les mains des mathématiciens
pendant que les architectes développeront la vision « artistique
» inaugurée dès le XVIe siècle par De L’Orme.
L’utilisation
« architecturale » que Philibert propose de l’art
du trait est perceptible dans la sélection qu’il effectue
parmi le corpus des épures médiévales. On remarque
en effet qu’il ne présente jamais à son élève
architecte les modèles de base qu’en bonne pédagogie
technicienne il aurait dû enseigner de manière préalable.
La trompe de Montpellier, la coupole simple sur plan sphérique,
ouvrages élémentaires, sont symptomatiquement absentes.
À leur place, on trouve la trompe d’Anet et la coupole
sur plan carrée, soit deux voûtements (déjà
complexes) caractérisés par leurs effets architecturaux.
De l’Orme, avec les architectes, entend se « spécialiser
» dans une opération intellectuelle qu’il dénommera
« excogitation », n’osant pas encore employer le terme
de « création » réservé à Dieu
seul. Dans cette perspective « architecturale », les épures
constituent logiquement les parties intégrantes du traité
d’architecture dont elles forment en l’occurrence les livres
III et IV (alors qu’elles feront l’objet d’ouvrages
techniques spécialisés et donc séparés dès
le XVIIe siècle).
L’exposé
de la méthode « d’excogitation » est présenté
en s’appuyant sur l’exemple de la trompe d’Anet dont
De l’Orme est l’auteur. Avec un souci de persuasion à
la mesure de la difficulté de l’exposé géométrique,
il s’évertue à expliquer par quel moyen il est possible
de faire varier les modèles médiévaux au gré
d’insertions, dans la logique de tracés des épures,
de « paramètres culturels » qui modifient la forme
finale de l’objet projeté. Dans le cas de la trompe d’Anet,
il explique par quel subterfuge on peut insérer dans le tracé
de l’épure de la trompe de Montpellier un plan centré
à l’italienne qui « onde » la surface de la
trompe. Vandelvira en Espagne ou Guarini en Italie reprendront cette
leçon qui fait de la géométrie du trait le moyen
de transformer, de courber des surfaces. Les architectes feront, fidèles
à leçon delormienne, de l’art du trait une rhétorique
permettant de développer un art savant de la variation, voire
du caprice, qu’exalteront plus particulièrement Maniérisme
et Baroque.
La position
nouvelle et ambiguë de cet art dans le dispositif des savoirs est
perceptible dès le frontispice du traité où Philibert
tente d’inscrire quatre épures, mais sans oser pour autant
les intégrer au cadre allégorique qu’éclairent
les flambeaux des corps platoniciens. Si la rupture épistémologique
se trouve ainsi affichée, le monde de l’épure semble
hésiter encore à se parer des attributs des arts libéraux
dont le livre imprimé représente un attribut symbolique.
Le statut intellectuel incertain de cet art du trait dit également
un monde en mutation qui pose « l’invention », la
« variation » comme principes. Une telle dimension opératoire
et technicienne interdirait en principe son entrée dans le monde
des arts libéraux dont l’écrit est la médiation
privilégiée et la bibliothèque la mémoire.
Pourtant, la célèbre allégorie du « bon architecte
» intronise l’architecte en le revêtant de la robe
et le coiffant du bonnet carré. Mais c’est à la
condition, pourrait-on dire, d’y lire comme inscrit au revers
la figure en contrepoint du praticien qui se servant du grand compas
d’appareilleur dirige son projet dans l’allégorie
du folio 51. Ni art au sens médiéval du terme, ni science,
la « méthode » du projet qui s’invente avec
la Renaissance découvre une démarche intellectuelle, «
l’invention », qui n’avait jusqu’alors pas d’existence
disciplinaire autonome.
Dans cette
quête de reconnaissance de l’Art comme discipline, le livre
imprimé occupe une position stratégique. En se plaçant
dans la perspective ouverte par Mac Luhan, tout semble se dérouler
comme si la possibilité de faire reposer sur l’imprimé
le souci de la conservation fragile de la mémoire jusqu’alors
orale autorisait la liberté et le risque de la variation. Comme
le soulignait Leroi-Gourhan, la conservation de la mémoire constituait
pour les sociétés de tradition orale une quasi-obsession
liée à la peur de l’oubli. Répéter,
psalmodier, apprendre par cœur ici les versets de la Bible, là
les tracés des épures représentaient l’effort
intellectuel premier de ces sociétés. La levée
d’une telle « inquiétude », dont la puissance
de mémorisation de l’imprimé est l’instrument,
a contribué certainement à « l’autorisation
» d’un travail plus librement réflexif permettant
à la fois l’émancipation des modèles médiévaux
et la percée dans l’univers des clercs, des livres et des
humanités.
Philippe Potié (École d’architecture de Grenoble) – 2004
Bibliographie critique
A. Ceccarelli Pellegrino, Le "bon architecte" de Philibert
De L’Orme. Hypotextes et anticipations, Paris/Fassano, Schena/Nizet,
1996.
F. Lemerle & Y. Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe, suivi d’une bibliographie des livres d’architecture (XVIe-XVIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 71-82.
F. Lemerle & Y. Pauwels (éd.), Philibert De l’Orme, un architecte dans l’histoire. Arts, sciences, techniques, Turnhout, Brepols, 2016.
M. Morresi, « Philibert de l’Orme. Le patrie della lingua
», in A. Blunt, Philibert de l’Orme,
Milan, Electa, 1997, p. 159-193.
Y. Pauwels, « Philibert De L’Orme et Cesare Cesariano :
le "piédestal dorique" du Premier Tome de l’Architecture », Revue de l’Art, 91, 1991, p. 39-43.
Y. Pauwels, « Les antiques romains dans les traités de
Philibert De L’Orme et Jean Bullant », Mélanges
de l’École française de Rome - Italie et Méditerranée,
106, 1994-2, p. 531-547.
Y. Pauwels, « Les Français à la recherche d’un
langage. Les ordres hétérodoxes de Philibert De L’Orme
et Pierre Lescot », Revue de l’Art, 112, 1996,
p. 9-15.
Y. Pauwels, L’architecture au temps de la Pléiade,
Paris, Monfort, 2002.
Y. Pauwels, Aux marges de la règle. Essai sur les ordres
d’architecture à la Renaissance, Wavre, Mardaga, 2008.
Y. Pauwels, L’architecture et le livre en France à la Renaissance : « Une magnifique décadence » ?, Paris, Classiques Garnier, 2013, p. 123-127, 175-189, 221-238.
J.-M. Pérouse de Montclos, L’architecture à
la française. Du milieu du XVe siècle à la fin du XVIIIe siècle, Paris,
Picard, 2011 (1ère éd. : Paris, 1982).
J.-M. Pérouse de Montclos, Introduction à Philibert De
l’Orme, Traités d’architecture, Paris, Laget,
1988, p. 43-44.
J.-M. Pérouse de Montclos, « Les éditions des traités
de Philibert De L’Orme au XVIIe siècle », J. Guillaume (éd.), Les
traités d’architecture à la Renaissance, Paris,
Picard, 1988, p. 355-366.
J.-M. Pérouse de Montclos, Philibert De l’Orme Architecte
du roi (1514-1570), Paris, Mengès, 2000.
P. Potié, Philibert De L’Orme. Figures de la
pensée constructive, Marseille, Parenthèses, 1996.
J. Sakarovitch, Épures d’architecture, de la coupe
des pierres à la géométrie descriptive, XVIe-XIXe siècles, Bâle/Boston/Berlin, Birkhäuser,
1998.
Notice
Premier tome de l’Architecture (Le) de Philibert de L’Orme,...
- Paris : F. Morel, 1567. - In-fol., 283 ff. (sans f. 248), épître
dédicatoire et table, frontispice, pl. et fig. gravés.
Le folio « 34 » est imprimé « 36 ». -
Le folio 176 est replié en haut et complet. - Filigrane Briquet
1122 (Avallon, 1564).
Extrait du privilège relié en fin de volume, ainsi que
le feuillet d’errata.
Certains exemplaires portent la date de 1568 (RIBA).
Cicognara 584 ; Fowler 99 ; Harvard Cat. I, 356 ; RIBA 1955.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1653.
*Notes :
- Encadrement du texte, des marges et du titre courant tracé
à l’encre brune, sans doute contemporain.
- Legs de Joseph Le Soufaché à l’École des
Beaux-Arts, 1890.
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