LES LIVRES D’ARCHITECTURE

Notice détaillée

Auteur(s)

Boyceau de la Barauderie, Jacques

Titre Traité du jardinage...
Adresse Paris, M. van Lochom, 1638
Localisation Paris, Ensba, Les 1536
Mots matière Jardins
Transcription du texte

English

     Jacques Boyceau de la Barauderie (1560-1633 ?) est originaire de Saint-Jean d’Angély près de La Rochelle. Issu de la petite noblesse, huguenot et homme de guerre, il est d’abord honoré pour ses faits d’armes et de diplomatie en devenant en 1596 « trésorier garde général » de l’artillerie. Ayant obtenu la confiance d’Henri IV, il reçut du roi en 1602 le titre de « Gentilhomme ordinaire de la Chambre du roi ». La paix civile revenue, Boyceau entame une carrière de créateur de jardins au service de Jacques-Nompar de Caumont, duc de La Force, grand serviteur de la Couronne et rescapé de la Saint-Barthélemy. Après l’assassinat d’Henri IV, tandis que son premier mécène se met à la tête de la révolte des protestants de Montauban, il est le maître d’œuvre du jardin de le palais du Luxembourg de Marie de Médicis. Au service de Louis XIII, il redessine les parterres du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, du Louvre et des Tuileries. Lorsqu’en 1620 environ Louis XIII décide de transformer son pavillon de chasse de Versailles, l’aménagement du premier jardin est confié à Boyceau, qui s’associe à son neveu Jacques de Menours pour mener à bien cette tâche. La carrière en deux temps de Boyceau est ainsi résumée par son neveu et héritier : « […] comme il avait employé la première & plus vigoureuse partie de son aage au service du Roy Henri le Grand, de très-glorieuse memoire, en affaires de la plus grande importance, il se croyait aussi obligé d’en consacrer la dernière aux plaisirs de Vostre Majesté en l’embellissement de ses Jardins ». La nature de sa collaboration avec Claude I Mollet, jardinier du roi, qui ne le mentionne pas dans le Theatre des plans et jardinages (1652), est mal connue.
C’est à presque soixante ans, en 1620, que Jacques Boyceau obtient la charge d’« Intendant des jardins du roi ». À partir de cette date, ou dix ans plus tôt selon certains, il rédige le Traité du jardinage selon les raisons de la nature et de l’art publié à titre posthume en 1638 grâce aux soins de Menours et réédité en 1640, 1688 et 1689. Au verso du frontispice signé par le graveur et libraire Michel van Lochom se trouve un célèbre portrait en buste du grand homme. Dans cette gravure de Grégoire Huret (1609-1670) d’après un tableau d’Adrien de Vries (1545-1626), Boyceau, âgé et portant la calotte, apparaît dans un assemblage ornemental, allégorique et antiquisant. Une profusion cornucopienne de fleurs et de fruits environne ainsi l’ovale du tableau que couronne un mascaron grimaçant un peu lourd, enguirlandé de fleurs.
Rédigé dans un style limpide, le Traité est divisé en trois livres présentant des théories et des idées pour la conception, la mise en œuvre et l’entretien des grands jardins aristocratiques. Le premier livre aborde la connaissance des facteurs agro-climatiques (climat, saisons, sols, phases de la lune...), le second traite du génie végétal (bouturage, greffage, transplantation…) et le dernier est une approche architecturale (inscription dans un site, formes, grottes, parterres...). L’ouvrage fait suite aux écrits publiés en Europe dans le sillage du De re horte[n]si libellus (1535) de Charles Estienne. Comparé à ces premiers textes qui, en dépit de leur petit nombre, témoignent de la diversité des théories et des formes mises au point à partir de l’exégèse gréco-latine, l’ouvrage de Boyceau fait état de l’excellence d’un art du jardin français qui s’épanouit sous les premiers Bourbons.
On a insisté sur la modernité de la pensée de l’Intendant des jardins du roi, alors que Boyceau ne fait que promouvoir et clarifier, en s’aidant de son expérience, une étape d’un art fondé sur des savoirs architecturaux renouvelés à l’époque des humanistes. Certes, le programme est ambitieux, car parmi les connaissances du jardinier « moderne » les mathématiques, grâce auxquelles on parvient à une spatialité théâtrale géométriquement unifiée et articulée en terrasses et perspectives, occupent un rôle prépondérant. Or, cette construction de l’espace du jardin est une adaptation du dispositif scénique vitruvien en proscenium et frons scaenae. Par ailleurs, l’imaginaire dont dépend l’ornementation des parterres est également en continuité avec une tradition de l’art de la Renaissance. Le dessin des parterres est en effet influencé par l’œuvre d’Androuet du Cerceau et, plus largement, par l’idée d’un art fondé en mimèsis dont les productions sont en transformation perpétuelle. En effet, l’idée d’une varietas sans limite inféodée à un ensemble unifié et ordonné est omniprésente : « [les parterres] sont faits de bordures de plusieurs arbrisseaux et sous-arbrisseaux de couleurs diverses, façonnez de manières différentes, de compartimens, de feöuillages, passemments, moresques, arabesques, grotesques, guillochis, rosettes, gloires, targes, écussons d’armes, chiffres, et devises. Ou bien par planches, se rencontrans sur des formes parfaites, ou semblables, dans lesquelles on employe des plantes rares, rieurs et herbages plantez en ordre, ou faisant des pelouses épaisses, d’une ou plusieurs couleurs, en forme de tapis de pied ». Le répertoire fantastique des « arabesques à la française », dont le foisonnement germinatif et naturaliste évoque l’art grotesque, une tendance qui se confirme avec les parterres du traité d’André Mollet, est fondé sur une imitation créative de l’ornementation gréco-latine (inventio/elocutio). Boyceau conclut son traité par une description clarifiée des deux principaux types de jardins différenciés en jardins utiles et jardins de plaisir. Cette nomenclature, dont l’origine remonte au Liber ruralium commodorum (vers 1300) de Pietro de Crescenzi, est encore hybridée puisque le potager peut être orné en « labyrinthes & guillochis ».
Même si elle est très liée à la culture artistique de la Renaissance, la physionomie des jardins de Boyceau a néanmoins évolué : le compartiment carré des anciens « parquets » fusionne désormais en de vastes champs dans lesquels se répand le flux des amples ondulations de feuillages naturalistes en reliefs. Cette métamorphose, qui n’implique pas une profonde rupture épistémologique mais un nouvel « effet », accompagne le changement de dynastie régnante. Sans véritable articulation avec le texte, soixante-quinze broderies environ sont rassemblées à la fin du traité. On notera que le graphisme végétalisé en relief varié des bandeaux et des culs-de-lampe des chapitres du traité correspond exactement à celui des parterres – les lettrines sont en revanche des grotesques anthropomorphes, zoomorphes, etc. Par analogie, une image en appelle donc une autre ; les formes qui composent l’espace des rituels aristocratiques sont en continuité décorative, quelle que soit l’échelle. La planche 1 sur laquelle figure le « Grand Parterre du Jardin de la Royne mere à Luxembourg » illustre l’art de cette virtuosité langagière, selon une des trois modalités de mise en ordre géométrique : le carré de quatre carrés. Il s’agit en l’occurrence d’un parterre carré de quatre compartiments identiques, qui sont fractionnés symétriquement par les traits du chiffre de Marie de Médicis surmonté d’une couronne. L’étendue des compartiments est parcourue d’immenses circonvolutions d’acanthes et de fleurs stylisées en faisceaux depuis le centre. En périphérie, le parterre est encadré d’une bordure en frise ornée d’enroulements de rinceaux, qui est compartimentée par des allées formant un médaillon au chiffre de la reine (ce parterre fut décrit par John Evelyn dans une lettre datée du premier avril 1644). Les motifs 2 à 6, 12 à 14, 27 à 29 et 38 sont composés sur ce même modèle ; parfois les chiffres, les bandes ou les bordures disparaissent. Une version comporte des armoiries (planche 6) et une autre des vases d’où naissent les arabesques (planche 14). Un modèle est encore encadré de frises sur ses bords intérieurs et extérieurs (planche 11). On notera que l’artiste démultiplie les possibilités en dessinant des carrés différents mais ressemblants. En outre, les carrés peuvent ne pas être compartimentés, ils sont alors ornés d’un vaste enroulement de feuillages bourgeonnants et fleuris (planche 10) ou de deux grands rinceaux affrontés (planche 9). Les propositions 7 et 8 sont composées d’un carré central d’un seul tenant (lobé en planche 8) avec deux bordures en exèdre symétriquement accolées au carré central. D’une façon similaire, un parterre peut être un unique carré ou barlong non compartimenté (planches 15a, 15b, 19a, 19b, 19c b et 19d). Un seul carré ou barlong est aussi compartimenté de cuirs brisés terminés en volutes (planches 16, 17a et 17b, 18a ,18b, 31 b, 32a et 32b, 35 a et 35 b). De fait, un parterre de quatre rectangles (planches 20a, 20b et 21) ou des parterres de deux carrés (planches 24a et 24b) se fabriquent selon les mêmes principes. La fin de la série comprend des motifs ainsi assemblés, auxquels sont incorporés des médaillons de gazon ou de fleurs plus ou moins dentelés ou lobés (planches 33, 34b, 36, 37, 40, 41, 42, 43a, 43b, 44a, 44b et 45b). Enfin, la composition des frises dispersées en plusieurs endroits de la suite fait intervenir l’ensemble de ces combinaisons (planches 22, 23a, 23b, 25a, 25b, 26a, 26b, 30a à 3l, 34a, 34b, 34c, 39a et 39b).
Les parterres qui portent les insignes des monarques ont été affectés à des jardins royaux, tandis que la plupart ne sont pas blasonnants. Les mêmes fragments constructifs servent à assembler toutes ces arabesques, ressemblant à celles que Daniel Rabel a publiées huit ans plus tôt dans le Livre de differants desseings de parterres (1630) : des rinceaux et des feuillages d’acanthes anormalement longs, ondulants et fleuris, ainsi que des bandes brisées de « cuirs » s’enroulant en volute à leurs extrémités. Les broderies de Boyceau ont été attribuées à Claude II Mollet, fils du jardinier du roi. Pourtant, les dessins autographes de Claude II qui illustrent le Theatre des plans et jardinages (1652), première édition posthume du traité de son père, diffèrent nettement de ceux des ouvrages de Boyceau et Rabel. Certains auteurs ont aussi associé les parterres du premier Versailles représentés dans le traité de Boyceau à ceux de Mollet I publiés par Olivier de Serres dans le Theatre d’agriculture (1600). Mais, il n’y a en réalité que peu de fondements à ce rapprochement, car comme l’a mentionné Aurélia Rostaing : « La structure générale des parterres de Serres rappelle celle des parterres de carreaux rompus de Liebault ». Certes, la même tendance inédite au dessin d’ornements naturalistes en reliefs variés caractérise les modèles du Theatre d’agriculture (1600) et du Traité du jardinage (1638) ; mais les premiers ont un aspect entièrement « marqueté » et les seconds sont largement décloisonnés.
Pour certains auteurs, les faisceaux de frondaisons en volutes des parterres du Traité du jardinage sont l’expression d’un progrès vers la simplicité et l’abstraction, alors que pour d’autres ces formes manifestent la grandiloquence un peu molle d’une « renaissance après la Renaissance ». Sans entrer dans ce débat, notons que le renouvellement et le perfectionnement des formes s’accompagnent souvent de contraintes inédites. En l’occurrence, la perte du caractère odorant et présumé prophylactique de la végétation due à la substitution des lamiacées par le buis fut immédiatement perçue comme un inconvénient par les contemporains de Boyceau. De même, l’inadaptation de ces ornements aux petits espaces fut sans doute un facteur favorable aux nombreuses rééditions de la série de La maison rustique (1583) et aux publications de ses équivalents italiens, britanniques, germaniques, etc. Boyceau vante d’ailleurs l’animation des broderies qu’il aménage, sans exiger l’abandon des compartiments du XVIe siècle qu’il juge ennuyeux ; des broderies comparables côtoient du reste des carreaux d’entrelacs et des carreaux rompus dans le plan de l’Hortus palatinus (1620) de Salomon de Caus. Enfin, on notera que la question de la mise en œuvre au jardin du flux capricieux des arabesques les plus complexes du Traité du jardinage se pose, car ces modèles pourraient dépendre d’une tradition renaissante et française du modèle de parterres fait à fantaisie.

Laurent Paya (Cesr, Tours/Artopos, Jardin et Paysage, Montpellier) – 2012

 

Bibliographie critique

M. Conan, « Une nouvelle génération de “jardiniers” : Boyceau et la famille Mollet », F. Collette & D. Péricard-Méa (éd.), Le temps des jardins, Seine-et-Marne, Côté jardin, 1992, p. 472-475.

D. Garrigues, Jardins et jardiniers de Versailles au Grand Siècle, Paris, Champ Vallon, 2001.

F. H. Hazlehurst, « Jacques Boyceau de la Barauderie, intendant des jardins du roi », Bulletin de la Société de l’histoire de l’art français, 1962 (1963), p. 157-176.

F. H. Hazlehurst, Jacques Boyceau and the French formal garden, Athens, University of Georgia Press, 1966.

F. H. Hazlehurst, « Jacques Boyceau de la Barauderie (v. 1562- v. 1634) », M. Racine (éd.), Créateurs de jardins et de paysages en France de la Renaissance au début du XIXe siècle, Paris, Actes Sud, 2001, p. 32-37.

S. Karling, « The Importance of André Mollet and His Family for the Development of the French Formal Garden », E. B. MacDougall & F. H. Hazlehurst (éd.), The French Formal Garden, Washington D. C., Dumbarton Oaks for Harvard University, 1974, p. 3-25.

T. Mariage, L’univers de Le Nostre, Bruxelles, Mardaga, 1990.

A. Rostaing, André Le Nôtre dessinateur de jardins et les jardins français du XVIIème siècle. Thèse de doctorat sous la direction de Bertrand Jestaz, École pratique des Hautes Études, Section des sciences historiques et philologiques, Paris, 2004.

K. Woodbridge, Princely Gardens : the Origins and Development of the French formal Style, Londres, Thames & Hudson, 1986.

 

 

 

 


 

 

Notice

Traité du jardinage selon les raisons de la nature et de l’art, divisé en trois livres, ensemble divers desseins de parterres, pelouzes, bosquetz et aultres ornementz servans à l’embellissement des jardins, par Jacques Boyceau escuyer, sieur de la Barauderie, gentilhomme ordinaire de la chambre du Roy et intendant de ses jardins. - A Paris, chez Michel van Lochom, 1638. Avec privilège du roy.
10 pages liminaires : frontispice, [verso blanc], [recto blanc], portrait de l’auteur, titre, [verso blanc], dédicace au roi, privilège, table des chapitres, [f. blanc.] ; 87 pages imprimées et 25 planches doubles, dont une repliée, et 34 planches gravées sur cuivre ; in-folio.
Auteurs secondaires : Van Lochom, Michel et Huret, Grégoire (illustrateurs).
Berlin Katalog 3442 ; Ganay 17.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1536.
*Notes :
- Reliure de maroquin rouge estampé à froid du XIXe siècle, gardes de papier marbré, 43 x 29,2 x 2,8 cm.
- Donation de la veuve de l’architecte Joseph Lesoufaché (1804-1887) en 1889 à l’École nationale des Beaux-Arts.