LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Dans sa
dédicace aux Pères Jésuites de La Flèche,
comme dans le privilège royal de 1627 l’autorisant à
commercialiser la Fidelle ouverture de l’art de serrurier,
Mathurin Jousse le père est désigné comme marchand
et maître serrurier. Établi à La Flèche après
une formation de compagnon, il y fréquenta les architectes Martellange
et Derand qui construisaient le collège des Jésuites.
Il s’intéressa aux travaux et fut employé par le
collège pour des enseignements pratiques sur la fabrication d’instruments
scientifiques. « Puisque tu veux donner aux apprentis secours…
Des conditions requises à l’apprenti : désir d’apprendre
et se rendre expert en iceluy » (« L’autheur à
son livre »). On retrouve l’influence des Jésuites
spécialistes de l’enseignement dans le prologue de l’ouvrage
rédigé « pour facilliter en tout mon possible le
chemin à ceux qui embrassent l’apprentissage de cest art
». Jousse a à la fois raison et tort quand il écrit
: « Personne que je sache ne s’est encore jusqu’à
présent ingéré d’en mettre aucune chose par
écrit, ains au contraire, ceux qui en ont eu la plus grande connaissance
se sont contentés d’une pratique mercenaire sans se soucier
d’en découvrir aucune chose à la postérité,
ensevelissant avec eux tant de belles et rares expériences qu’un
assiduel travail leur avait fait découvrir » (p. 2). Raison,
car la transmission des savoirs de maître à compagnon se
faisait dans le plus grand secret et sans écrit, depuis l’organisation
du métier de serrurier au XIIIe siècle. Les statuts de
la corporation des maîtres serruriers sont inscrits au livre XVIII
du Livre des métiers du prévôt Étienne
Boileau, rédigé en 1260, lors de la réforme de
la Prévôté de Paris par Louis IX. Ces règlements
furent modifiés par l’ordonnance de Philippe le Bel le
6 juillet 1307 et rétablis dans leur forme primitive en 1392.
La structuration progressive du travail s’est manifestée
par une répartition stricte des tâches entre les différentes
corporations concernées par le fer forgé. Le terme de
serrurerie appliqué à la grande serrurerie architecturale
qui prend son essor au début du XVIIe siècle a pour origine
l’appellation même de la corporation à laquelle en
revenait la fabrication, celle des « serreuriers qui font serrures
et clefs ». L’accès au titre de maître serrurier
s’accomplissait en partie par la réalisation d’un
chef-d’œuvre composé d’une serrure et d’une
clef. En 1543, François Ier confirma le texte de 1392 qui avait
institué le chef-d’œuvre, et il faut attendre l’année
1650 pour voir le dernier grand texte qui régira la communauté
jusqu’à la fin de l’Ancien Régime. La règle
du métier consistait en un apprentissage de cinq à dix
ans auprès d’un maître, suivi du compagnonnage pendant
environ cinq ans. Si le compagnon accédait à la maîtrise,
il pouvait alors ouvrir boutique et atelier. François Le Boeuf
souligne que les archives départementales de la Sarthe renferment
sous la cote 4 E VIII 16/418 un contrat entre Mathurin Jousse et trois
compagnons serruriers pour les ferrures des croisées de l’aile
orientale de la « cour des Classes » du collège des
Jésuites. La réalisation d’une pièce de maîtrise
conformément aux prescriptions des jurés de la corporation
pouvait durer deux années pleines. La serrure doit avoir «
des ornements et figures ». « Certains ont mis deux ans
et plus à parfaire leur chef d’œuvre, tellement que
c’est quelquefois la ruine des pauvres aspirants, à cause
des grands frais et dépenses qui leur convient faire en travaillant…
Il ne se fait plus de portes, coffres et autres meubles comme l’on
faisait le temps passé, et elles sont subjectes à accrocher,
rompre soutanes, robes et manteaux qui s’en approchent »
(F. Le Bœuf 2001, p. 10). Différents savoirs techniques
et artistiques étaient mis en jeu : forge, orfèvrerie,
armurerie, horlogerie, iconographie ornementale, pour fabriquer ces
pièces à secret. Mais Mathurin Jousse a tort en disant
que « Personne que je sache ne s’est encore jusqu’à
présent ingéré d’en mettre aucune chose par
écrit », parce qu’il semble ignorer (en tous cas
il ne figure pas dans sa bibliothèque) l’ouvrage de Georges
Bauer, dit Agricola, De re metallica (Bâle, 1556), qui
est le premier vrai traité de métallurgie. Il demeure
que la Fidelle ouverture est l’un des premiers grands
essais techniques sur le traitement du fer, essentiellement la trempe.
Les toutes dernières planches du recueil, après une série
de clefs et de platines, montrent également des machines à
tailler les limes, des ferrures de puits, des petites grilles à
châssis et quelques consoles d’enseignes. Il y a aussi des
appareils extraordinaires décrits pages 53 et suivantes : chaise
articulée à roulettes, jambe de fer pour mutilés,
bras de fer. Catherine Prade (Musée national des Prisons, Fontainebleau) – 2008
Bibliographie critique
J.-P. Babelon, Demeures parisiennes sous Henri IV et Louis XIII, Paris, Le Temps, 1977. A.-M. Bruleaux, « L’organisation du métier du Moyen-Age à nos jours », Métiers d’art, 18, avril 1982, p. 43-48. A. Chastel, La grottesque, Paris, Le Promeneur, 1988, p. 42. D. Guilmard, Les maîtres ornemanistes. Dessinateurs, peintres, architectes, sculpteurs et graveurs. Écoles Française, Italienne, Allemande, et des Pays-Bas (Flamande et Hollandaise), Paris, Plon, 1881, p. 37-61. H. Havard, Les arts de l’ameublement, La Serrurerie, Paris, Delagrave, s.d. [1842 ?]. F. Le Bœuf, « Mathurin Jousse, maître serrurier à La Flèche et théoricien d'architecture (vers 1575-1645) », In situ, 1, 2001. P. Le Bœuf, « La Bibliothèque de Mathurin Jousse : une tentative de reconstitution », In situ, 1, 2001. É. Pasquier & V. Dauphin, Imprimeurs et libraires de l’Anjou, Angers, Société anonyme des éditions de l’Ouest, 1932, p. 311-326. É.-C. Pecquet, « Mathurin Jousse, architecte et ingénieur de la ville de La Flèche au XVIIe siècle », Cahiers Fléchois, 6, 1984, p. 28-41. R.-A. Weigert, Inventaire du Fonds Français. Graveurs du XVIIe siècle..., Paris, Bibliothèque nationale, 5, 1968, « Jousse (Mathurin) », p. 615-617.
Notice La Fidelle ouverture de l’art de serrurier, où l’on void les principaulx preceptes, desseings et figures touchant les experiences et operations manuelles dudict art ; ensemble un petit traicté de diverses trempes / le tout faict et composé par Mathurin Jousse de La Fleche.- A La Fleche : chez Georges Griveau imprimeur ordinaire du Roy, 1627. [4]-152 pages : frontispice gravé, bandeaux et vignettes, culs de lampe et lettrines gravés sur bois, et figures gravées sur bois ou sur cuivre ; in-folio. Les pièces liminaires comprennent le frontispice, la dédicace aux Révérends pères de la compagnie de Jésus, deux poèmes « De l’autheur à son livre », et « Aux envieux », l’extrait du privilège, et la table des matières. 65 figures numérotées, et quelques autres sans numérotation. Berlin Katalog, 1333. Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, Les 1249. *Notes : - Reliure de veau clair, avec décor à la Du Seuil, signée de la Veuve Niedrée. Initiales de Joseph Lesoufaché estampées au bas du dos. 30,2 x 20,5 cm. - De la collection de l’architecte Joseph Lesoufaché (1804-1887), qui fut donnée par sa veuve à l’École des Beaux-Arts en 1889. |