LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Notice détaillée
Auteur(s) |
Blondel, François |
Titre |
Cours d’architecture... |
Adresse |
Paris, P. Aubouyn & F. Clousier, 1675-1683 |
Localisation |
Paris, Ensba, 161 A 0008 |
Mots matière |
Architecture, Ordres |
English
Le Cours d’architecture de François Blondel appartient à deux projets éditoriaux connexes : le programme d’enseignement de la nouvelle Académie royale d’architecture d’une part et d’autre part, le programme éditorial plus vaste financé par le ministre Jean-Baptiste Colbert pour présenter le mécénat architectural de la Couronne.
Louis XIV fonda l’Académie royale d’architecture en 1671 sur les conseils de Colbert qui prévoyait plusieurs missions pour l’institution. Elle fut conçue tout d’abord comme une sorte de comité consultatif, un conseil royal des bâtiments. De nombreux débats rapportés dans les procès-verbaux publiés au début du XXe siècle par Henry Lemonnier montrent l’Académie délibérant sur les projets qu’on lui soumettait et dispensant des recommandations qui faisaient autorité. Colbert en particulier sollicita régulièrement l’avis général de l’Académie sur les travaux en cours à Versailles et au Louvre, comme le firent aussi divers commanditaires publics ou privés pour des projets sous leur responsabilité.
L’Académie avait une deuxième fonction : offrir un lieu pour l’enseignement de l’architecture. À cet effet, l’institution devait servir à une réforme plus large de la profession d’architecte. Selon le brevet nommant Blondel au poste de professeur, le corps était prévu « pour élever l’architecture à une plus haut degrée de perfection que celuy où elle est aujourd’huy ». L’enseignement de Blondel prenait deux formes. La première, la plus importante, consistait à mener des discussions structurées ou « conférences » avec les académiciens eux-mêmes. Ces rencontres se tenaient dans une salle de l’hôtel Brion, une aile du Palais Royal construite à partir de 1642 pour abriter la bibliothèque du cardinal de Richelieu. Ce même lieu servait aux réunions de l’Académie royale de peinture et de sculpture depuis septembre 1661. Les deux groupes occupaient les extrémités opposées de la grande galerie ; néanmoins, ils avaient peu de contacts. Les conférences se tenaient chaque lundi, de quatorze à seize heures. Les académiciens – Libéral Bruand, François Le Vau, François d’Orbay, Pierre Mignard, Daniel Gittard et Antoine Le Pautre – étaient assis autour d’une table, Blondel menant la conversation. Le secrétaire, André Félibien, consignait une position commune à la fin de chaque session.
Les conférences suivirent une structure « scolaire » originale que Blondel semble avoir conçue et appliquée dès le début. Il s’agissait d’un programme d’étude à long terme fondé sur la lecture collective et l’analyse des traités architecturaux. La formule s’inspirait, pour la méthode et le contenu, du traité de Roland Fréart de Chambray, Parallèle de l’architecture antique avec la moderne (1650). La position de Blondel, comme celle de Fréart de Chambray, était sciemment celle d’un lettré, attaché à l’autorité des textes plutôt qu’aux pratiques établies. Elle combinait une fidélité érudite à Vitruve et aux vestiges de l’Antiquité à l’appréciation d’un connaisseur de la « grande manière » inspirée des plus prestigieux modèles anciens. Dans une série de conférences tenues peu avant l’ouverture officielle, Blondel présenta les auteurs qui composeraient le « curriculum » officiel de l’Académie, les classant après Vitruve dans l’ordre idéal : Palladio, Scamozzi, Vignole, Serlio et Alberti. C’est seulement après ce dernier qu’apparaissaient sur la liste les auteurs français, Philibert De l’Orme, Jean Bullant et Jacques Androuet du Cerceau. Ce programme se poursuivit pendant de nombreuses années. Bien que souvent interrompu et par conséquent modifié, il fournit néanmoins la structure de base aux réunions hebdomadaires de l’Académie jusqu’à la mort de Blondel en janvier 1686.
L’enseignement de Blondel à l’Académie prenait aussi une autre forme. Comme l’indiquait le brevet royal, son rôle était d’« enseigner les véritables règles aux jeunes gens qui se proposent d’embrasser la profession d’architecture ». L’enseignement se composait de cours publics sur l’architecture et les mathématiques, professés par Blondel le mardi et vendredi après-midi. Un groupe privilégié d’une vingtaine de jeunes architectes – comprenant Pierre Bullet, Antoine Desgodets et Charles-Augustin d’Aviler – suivaient régulièrement ces « leçons » à titre plus ou moins officiel. Ce furent vraisemblablement ces conférences qui formèrent le contenu du Cours d’architecture, comme l’indique clairement le sous-titre du livre. Il n’y avait pas vraiment de formation officielle en architecture ; néanmoins, les cours de Blondel avaient un précédent très récent. En tant que professeur de mathématiques, il avait déjà enseigné la matière dans ses cours au Collège royal, une compétence mentionnée explicitement dans le brevet le nommant au poste de l’Académie. La publication de telles conférences n’était pas non plus inhabituelle. Le titre du livre rappelle beaucoup le cursus mathematicus en vogue chez les professeurs de mathématiques pendant tout le siècle.
À en juger par le contenu et la structure du Cours, Blondel utilisa pour la composition de ses leçons une approche semblable à ses conférences avec les académiciens. Le premier volume, publié en 1675, offrait une présentation détaillée des cinq ordres juxtaposant les proportions de Vitruve, Vignole, Palladio et Scamozzi. La méthode d’une relecture sélective et critique, fondée assez librement sur le Parallèle de Fréart de Chambray, fut continuée dans les deuxième et troisième volumes, publiés en 1683. Après la diminution, la cannelure et la torsion des colonnes, Blondel aborde les proportions des piédestaux des colonnes et le traitement correct des entablements, des architraves et des corniches. Ces sections sont suivies par de longues discussions sur les frontons, les pilastres, les colonnades et les ordres superposés, les arches et les arcades, portiques et enfin les portes et fenêtres. Le livre se poursuit dans une analyse comparative, toujours plus développée, où Blondel analyse les différents péristyles, les méthodes d’entrecolonnement et les règles de superposition des ordres, les frontons, portes, fenêtres, niches et arcs de triomphe.
Le Cours suggère que les jeunes architectes n’avaient pas davantage besoin d’une formation pratique ou d’une expérience de terrain – ceci était déjà assuré par l’apprentissage traditionnel. Il leur fallait désormais une étude et une réflexion approfondies. Pour Blondel, le goût devait se former non par la seule pratique, mais par une comparaison intelligente des auteurs les plus respectés. Comme il l’indique dans la préface de son livre, « les pratiques les plus correctes » se font par addition. Lorsque Vitruve est trop laconique, Blondel ajoute « les usages de ses principaux Interpretes ou Imitateurs comme sont Philander, Daniel Barbaro, Cataneo, Serlio, Leon Baptiste Alberti & d’autres, afin d’en faire un corps entier de preceptes ». Blondel décrivait son premier volume comme une présentation générale et concise des cinq ordres, suffisante pour donner une connaissance élémentaire de la pratique. Utilisant la même méthode, il développait toutefois son propos dans les second et troisième volumes, plus « spéculatifs », « expliquant à fonds ce qui n’a été touché qu’en passant dans la premiere ». Plus particulièrement, le second volume conduit le lecteur à travers un catalogue sans fin d’éléments décoratifs, des piédestaux aux colonnes torses en passant par la superposition des ordres. Pour chacune de ces catégories, il place simplement les solutions des autres auteurs les unes après les autres. Pour Blondel, cette connaissance approfondie des auteurs de référence distinguait la pratique de « mille autres particularitez qui appartiennent à la Theorie de l’Architecture. »
Le dessein de l’Académie de réformer la profession d’architecte eut une conséquence importante : celle d’éduquer le public. En tant que « lecteur du Roi », Blondel devait publier les résultats de son travail et, à l’évidence, Colbert et lui-même envisageaient pareillement ses devoirs de professeur à l’Académie. Le premier volume du Cours fut précédé en 1673 de deux traités de Blondel, destinés à étendre l’audience de l’Académie : la Résolution des quatre principaux problèmes d’architecture et l’édition annotée du traité de 1624 de Louis Savot, L’architecture françoise des bastiments particuliers. Tout comme les autres entreprises éditoriales confiées par Colbert à Claude Perrault, André Félibien et Antoine Desgodets, ces traités révèlent un plan à long terme pour encourager une audience nouvelle et plus éclairée en matière artistique et pour améliorer le goût des commanditaires publics et privés. Le but le plus ambitieux du Cours d’architecture n’était donc pas simplement d’offrir une encyclopédie aux architectes débutants, mais aussi de construire un discours officiel façonné par les concepts et la terminologie académiques, dans lequel on apprécierait à leur juste valeur les talents des architectes du roi.
Le prestige institutionnel de l’Académie assura au livre une audience durable. Malgré une seule réédition (1698), le Cours exerça une influence considérable sur l’enseignement de l’Académie et sur les publications architecturales suivantes. Philippe de La Hire, par exemple, l’utilisa comme support de ses conférences à l’Académie pendant plus de deux ans, de juillet 1696 à octobre 1698, tout comme ses successeurs pendant tout le XVIIIe siècle. Son ambition universelle, son insistance sur la « correction » et sa méthode de classification en fonction des problèmes de conception devinrent des qualités caractéristiques d’un modèle typiquement français de la théorie architecturale. Les traités postérieurs de Charles-Augustin d’Aviler (1691) et de Jacques-François Blondel (1771-1777), utilisant le même titre, se référaient également à l’original par leur structure et leur dessein.
Anthony Gerbino (Worcester College, University of Oxford) – 2010
Bibliographie critique
A. Gerbino, François Blondel : Architecture, Erudition, and the Scientific Revolution, Londres/New York, Routledge, 2010.
L. Hautecoeur, Histoire de l’architecture classique en France, 2, Le règne de Louis XIV, Paris, Picard, 1948, 1ère partie, p. 462–491, 511–518.
W. Herrmann, « Antoine Desgodets and the Académie Royale d’Architecture », The Art Bulletin, 40, 1958, p. 23-53.
H.-W. Kruft, A History of Architectural Theory : From Vitruvius to the Present, trans. R. Taylor, E. Callander & A. Wood, Londres, Zwemmer, 1994.
H. Lemonnier (éd.), Procès-verbaux de l’Académie royale d’architecture, 1671–1793, Paris, Jean Schemit, 1 (1671-1681), 1911, 2 (1682-1696), 1912.
H. Millon, « The French Academy of Architecture : Foundation and Program », J. Hargrove (éd.), The French Academy : Classicism and Its Antagonists, Newark, University of Delaware Press, 1990, p. 68-77.
H. Rousteau-Chambon, « L’enseignement des mathémathiques dans la première moitié du XVIIIe siècle au sein de l’Académie royale d’architecture », P. Dubourg Glatigny (éd.), Les académies face à la question de la technique en architecture (fin XVIIe siècle-1750), SVEC, 6 (2008), p. 57-68.
W. Schöller, Die « Académie Royale d’Architecture » 1671-1793, Cologne, Böhlau, 1993.
Notice
Cours d’architecture enseigné dans l’Academie royale d’architecture... / Par M. François Blondel.
Paris : Lambert Roulland : chez l’auteur, 1675-83.
5 parties en 3 volumes : frontispices, plans, figures, bandeaux et culs de lampe gravés sur cuivre, lettrines et diagrammes gravés sur bois, 37 x 24 cm.
Le premier volume (Partie I) est publié en 1675 par Lambert Roulland pour Pierre Aubouyn et François Clousier, le deuxième (Parties II-V) publié en 1683 chez l’auteur et Nicolas Langlois. Plusieurs gravures sont signées De La Boissire fecit, et d’autres (comme la planche de « L’Origine des chapiteaux de colonnes » ainsi que certains des bandeaux signés Broebes.
Fowler 46 ; Berlin Katalog 2382 ; Mark Millard collection, French books 24 ; RIBA 294.
Paris, École nationale supérieure des Beaux-Arts, 161 A 0008.
*Note :
- Donation faite par la veuve de l’architecte Charles Garnier à l’École des Beaux-Arts, 1898.
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