LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Dögen, Matthias
Matham, Theodor Dirck (graveur)
Titre Architectura militaris moderna...
Adresse Amsterdam, L. Elzevir, 1647
Localisation Gand, Bibliothèque universitaire, BIB. MA. 000133
Mots matière Fortifications
Transcription du texte

English

     Le célèbre imprimeur d’Amsterdam Louis Elzevir publie en 1647 le traité d’architecture militaire en latin de Matthias Dögen, l’année même de la mort du stathouder Frédéric-Henri de Nassau, prince d’Orange (1584-1647) qui avait encouragé cette publication. Matthias Dögen (1605/06-1672) est originaire de Drambourg, ville de la Marche de Brandebourg, aujourd’hui Drawsko, dans la province de Poméranie polonaise. Nous sommes peu informés sur ses origines sociales, mais on sait qu’il suivit les cours de la fameuse école de Leyde, la Duytsche Mathematique fondée en 1600 par Maurice de Nassau et organisée par le grand mathématicien et ingénieur flamand Simon Stevin, afin de former des mathématiciens mais aussi des ingénieurs militaires et des arpenteurs-géographes. A-t-il aussi fréquenté l’école de fortification et d’hydraulique de Franeker? Il ne le mentionne pas, mais il entre rapidement au service des Provinces-Unies et occupe un poste de quartier-maître dans l’amirauté. Cette fonction lui permet de se rapprocher du Stathouder Frédéric-Henri de Nassau. Toutefois Dögen est resté fidèle à son « souverain naturel », l’électeur de Brandebourg Georges Guillaume I Hohenzollern (1595-1640) qui l’emploie comme agent diplomatique et à qui il adresse, chaque semaine, des informations sur les événements survenus à Amsterdam. En 1640, il renouvelle sa fidélité à son fils et successeur, Frédéric-Guillaume (1620-1688) qui renforce ses liens avec les Provinces-Unies en épousant en 1646 Louise d’Orange-Nassau, fille de Frédéric-Henri de Nassau. À l’occasion de la venue (pour une mission diplomatique) de l’électeur à La Haye en 1648, Dögen lui remet et lui dédicace la partie de son ouvrage en latin, consacrée à l’attaque et à la défense des places (exemplaire aujourd’hui conservé à la Staatsbibliothek de Berlin).
Frédéric-Guillaume, surnommé le Grand, est décidé à entreprendre de grands travaux et il fait appel à Dögen qui revient ainsi en Brandebourg au début des années 1650, avec le titre de conseiller grand ducal pour les fortifications. Il participe aux ouvrages de défense de Berlin exécutés en 1658 et 1659 sous la direction de l’architecte autrichien Johann Gregor Memhardt et à la création de la flotte de Brandebourg décidée par le prince électeur. Il demeure à Berlin où il décède le 24 février 1672.
L’Architectura militaris moderna suit un plan qui tend à s’imposer au XVIIe siècle pour les ouvrages sur la fortification et qu’illustre par exemple La nouvelle fortification de Nicolaus Goldman (1611-1665), publié en français à Leyde chez Elzevier en 1645, après une publication latine de 1643 (Elementorum architecturae militaris libri IV). L’ouvrage comporte en effet un premier livre sur la fortification moderne des figures régulières, suivi d’un deuxième sur les figures irrégulières et d’une dernière partie traitée comme un livre à part entière, intitulée « l’Architecture militaire moderne en la partie qui concerne l’attaque et la défense des places ».
Matthias Dögen fait de nombreuses références à deux ouvrages d’architecture militaire publiés en Hollande, Fortification ou Architecture militaire tant offensive que defensive écrit en français et publié à La Haye par Hondius en 1615, œuvre du mathématicien et ingénieur Samuel Marolois (c1572-1627) et celui d’Adam Freitag (Fritach) (1602-1664) L’architecture militaire, ou la Fortification nouvelle (Leyde, 1635). S’il critique parfois les résultats de certains de leurs calculs de figures, mesures d’angles ou autres aspects, il suit la même démarche mathématique. Il détaille ainsi point par point les mesures des angles mais aussi de toutes les composantes des figures, en suivant les étapes de la construction d’une fortification, afin d’aider les ingénieurs « moins versés aux Mathématiques » et l’architecte peu expérimenté « qui d’ordinaire est plus capable de manier le hoyau et la doloire que la plume ». Il veut faciliter les calculs au moyen d’un raisonnement simple, de figures et de tables supputées (elles sont données à la fin de l’ouvrage), conseillant aux ingénieurs « de s’aider du travail des autres, et particulièrement de nôtre Freitagius qui nous promet encore plusieurs Tables analytiques proportionales de la Fortification, outre celles que déjà il a publiées en très grand nombre ». Il incite à multiplier les dessins, « ne pas épargner le papier, qui nous permet de nous exercer à moindre frais », tout en recommandant les trois modes de représentation : l’ichnographie (plan), l’orthographie (section) et la scénographie (paysage). Il est fidèle à l’enseignement mathématique reçu à Leyde, s’inspirant très clairement de Vitruve, mais en bon ingénieur il affirme que l’expérience est le meilleur maître des choses de cette nature, « prestant mon consentement à ce que les plus grands ingénieurs ont appris dans la tranchée et parmi les dangers ».
La particularité de cet ouvrage est d’offrir de très nombreux commentaires qui mettent en perspective la fortification moderne des Provinces-Unies (Amsterdam, Breda, Ostende par exemple), avec la manière de fortifier des antiques, des Turcs et d’autres Européens notamment les Français (Le Havre ou Saint Malo). De nombreuses citations d’auteurs latins (Pline, Végèce) et contemporains étayent son argumentation, les exemples historiques confirmant l’expérience récente et cruelle de la guerre de Trente ans, présente tout au long de l’ouvrage. L’Europe, ravagée par de sanglants conflits dont on entrevoit peut-être le terme mais qui ont marqué très fortement les esprits, fournit la démonstration de la nécessité de se bien fortifier. Plus encore, les Provinces Unies, toujours en guerre contre l’Espagne pour la reconnaissance de leur indépendance, ont dû se fortifier et perfectionner leur propre modèle.
Cependant, comme Jean Errard dans La fortification démontrée et réduite en art (1600), l’auteur défend l’adaptation de l’architecture aux circonstances particulières qu’il faut laisser à l’appréciation de l’ingénieur. Dögen confesse ne pas être de la profession des armes et aspirer à la paix, opposant d’ailleurs « la force téméraire des combatans à la prudence des ingénieurs », concrétisée par une bonne architecture militaire. Il convient dès lors, recommande-t-il, de ne pas épargner la dépense et de s’entourer d’hommes compétents (les ingénieurs), afin de maîtriser la durée, rappelant « qu’en la guerre, le temps est plus précieux que l’or ». Toutes ces affirmations sont courantes dans les traités de fortifications des ingénieurs au XVIIe siècle.
Les exemples de fortifications régulières et surtout irrégulières présentées dans l’ouvrage sont illustrés par de belles planches qui, de Frankendal dans le Palatinat à Palma Nova dans le Frioul balaient les exemples d’architecture mais privilégient les places des Provinces-Unies. Si certaines planches s’inspirent fortement des gravures d’Hendrik Hondius pour l’ouvrage de Marolois (dessins des polygones irréguliers, castramétation, outils, plan d’Ostende…) et de celles de L’architecture militaire de Freitach, notamment des plans de Kustrin ou d’Anvers, elles sont souvent plus grandes et présentées différemment, ainsi celle de Kustrin sur l’Oder dans la Marche de Brandebourg, « son pays ». La comparaison avec ses deux ouvrages modèles, bien qu’il les ait largement imités, permet de lui attribuer un plus grand nombre (70) et une plus grande variété géographique de plans de villes (par exemple Stralsund, Deventer, Coevorden, Phillipsburg, Zwolle, Genève, Hambourg, Orange, Le Havre, Groningen, Wolfenbüttel, Spandau).
Dans le dernier livre, les remarques et développements concernant l’attaque des places sont plus nourris que ceux de la défense et marquent l’intérêt prononcé de l’auteur pour ce sujet, du moins d’un point de vue littéraire. De la Bible aux sièges les plus récents (Bois-le-Duc (1629) ou Maastricht (1632) commandés par les princes d’Orange-Nassau, il fournit de nombreux exemples de victoires remarquables et propose plusieurs extraits de récits de siège dont celui de Breda (1626) durant la guerre de 80 ans relaté par le père Hugo Herman (Obsidio Bredana, 1631), considéré durant le siècle comme un modèle de relation de siège. Dögen souligne la vanité des conquêtes de places appelées à être très vite reperdues, mais il est probable qu’il cherche à plaire aux lecteurs en leur proposant ces récits, tout en démontrant que seule l’ingéniosité du spécialiste de la fortification permet de résister à l’assaillant, notamment grâce aux contre-approches, contre-mines et retranchements des brèches.
L’ouvrage de Matthias Dögen est certes une mise à jour des connaissances de l’architecture hollandaise qui avaient été apportées par Marolois puis par Freitach, mais aussi un plaidoyer en faveur de l’ingénieur-architecte qu’il place au centre des dispositifs politico-militaires. Un chef militaire se doit d’être secondé par l’ingénieur qui, par sa connaissance des mathématiques, lui apportera une maîtrise des proportions et des toisés, et, par son expérience du terrain et de la capacité de résistance d’une fortification saura lui donner les conseils nécessaires pour gagner du temps et épargner des vies. Son important rayonnement tout au long de la seconde moitié du XVIIe siècle s’explique en grande partie par la politique de traduction suivie par l’éditeur Elzevier. L’ouvrage circulant en français et en allemand était assuré d’un large lectorat et l’auteur, bien qu’Allemand, faisait honneur à la formation dispensée par l’école mathématique de Leyde.

Michèle Virol (Centre Roland Mousnier-Paris Sorbonne) – 2010

Bibliographie critique

D. Bierens de Haan, Bibliographie néerlandaise historique-scientifique des ouvrages importants dont les auteurs sont nés aux 16e, 17e, et 18e siècles, sur les sciences mathématiques et physiques, avec leurs applications, Nieuwkoop, de Graaf, 1960, p. 76.

W. Frijhoff (éd.), Geschiedenis van Amsterdam, Amsterdam, Sun, 2004.

Allgemeine Deutsche Biographie, éditée par la Historische Kommission bei der Bayrischen Akademie der Wissenschaften, Band 5 (1877), « Dögen, Matthias », p. 294-295.

M. D. Pollak, D. Military architecture cartography and the representation of the early modern European city. A checklist of treatises on fortification in the Newberry Library, Chicago, The Newberry Library, 1991, p. 28-29.

U. Schütte (dir.), Architekt und Ingenieur. Baumeister in Krieg und Frieden, catalogue d’exposition de la Herzog August Bibliothek, Wolffenbüttel, Herzog August Bibliothek, 1984.