LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Deville, Antoine
Titre Les fortifications...
Adresse Lyon, I. Barlet, 1629
Localisation  
Mots matière Fortifications, mathématiques, géométrie, urbanisme
Transcription du texte

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     Antoine Deville ou de Ville (1596-1656), ingénieur militaire natif de Toulouse, doit sa renommée à son œuvre intitulée Les fortifications, dont la première édition paraît à Lyon en 1629, alors qu’il est âgé de trente-deux ans. À la fois fin mathématicien et homme de terrain, Antoine Deville a vraisemblablement été éduqué au collège des Jésuites de Toulouse : il en garde un piètre souvenir, mentionnant dans une de ses lettres qu’après avoir perdu trois années à étudier la philosophie chez les Jésuites, il s’était retrouvé « plus ignorant et confus qu’auparavant ». Il débute sa carrière militaire très tôt en participant aux diverses campagnes menées contre les protestants durant la décennie 1620-30. Engagé comme chevau-léger au siège de la ville de Montauban en 1621, il participe en 1624 au siège de La Rochelle puis aux campagnes menées contre les huguenots dans le Sud-Ouest et dans le sud du Massif Central. En 1626 il poursuit sa carrière aux Pays-Bas dans les bataillons du duc de Savoie Charles Emmanuel Ier ; il s’illustre en obtenant l’ordre de Saint-Maurice et de Saint-Lazare. Profitant ensuite d’une courte période de liberté, il accomplit un voyage en Italie, notamment à Rome et dans le royaume de Naples durant lequel il réunit la documentation nécessaire à la publication de son ouvrage sur les fortifications. C’est au cours de ce voyage qu’Artemisia Gentileschi réalise à Rome le portrait de l’ingénieur militaire, alors tout juste âgé de vingt-sept ans. Antoine Deville s’engage ensuite en Italie au service de République de Venise, de 1630 à 1635. Cet épisode est connu par la brève correspondance qu’il entretient en 1633 avec Galilée au sujet de son Discours concernant deux sciences nouvelles que celui-ci s’apprête à publier. Considéré par Fulgenzio Micanzio, l’ami vénitien de Galilée, comme « un grand mathématicien et de valeur dans les mécaniques », il est sollicité pour relire les feuillets du savant. Mais Deville n’a guère le loisir d’approfondir les commentaires de Galilée, se plaignant d’un emploi du temps très chargé du fait de ses nombreuses missions d’inspection en Istrie, Dalmatie, Slavonie, aux confins des états pontificaux, sur le Pô et de ses travaux de restauration des fortifications de Mantoue et Bergame. C’est probablement de cette époque que date son relevé très précis du palazzo Te de Mantoue (le plan manuscrit est aujourd’hui conservé à la bibliothèque du Service Historique de l’Armée de Terre de Vincennes). Néanmoins Deville met à profit sa visite des fortifications du port de Pula en Istrie (aujourd’hui Croatie), alors sous domination vénitienne, pour publier à Venise, en 1633, un texte en latin intitulé Descriptio portus et urbis Polæ. Il publie également la même année un savant opuscule en latin, Pyctomachia veneta, seu pugnorum certamen venetum, dans lequel il discourt de l’antique tradition vénitienne des combats et pugilats organisés annuellement dans chaque quartier de la ville. Ces deux textes seront intégralement repris en 1722 dans le Thesaurus antiquitatum et historiarum Italiæ publié à Amsterdam par Peter van de Haa. De retour en France en 1635, probablement rappelé par Richelieu auquel il dédie ses publications ultérieures, Antoine Deville participe à la défense de Corbie, puis au siège de Hesdin à l’issue duquel il est nommé en 1639 maréchal de camp. Il publie à cette occasion deux longues descriptions de ces sièges respectivement intitulés Obsidio Corbiensis et Le siège de Hesdin. Cette même année paraît sa dernière publication, De la charge de gouverneurs des places, qui bien que consacrée à la logistique militaire est accompagnée d’un abrégé de la fortification. La fin de sa carrière n’est plus documentée mais il semble, selon les recherches d’Yves Bruant, qu’il ait été actif en Artois et en Picardie jusqu’à sa mort en 1656.
C’est alors qu’il participe au siège de La Rochelle que le privilège de son ouvrage Les fortifications est accordé le 11 juin 1628. L’ouvrage est probablement publié quelques mois plus tard en 1629 comme l’indique son frontispice. Le livre s’ouvre sur un frontispice architecturé de l’auteur représentant des allégories de l’ingénieur et de l’ouvrier intitulé « Ingenio » et « Labore », suivi de son portrait gravé par Jérôme David (1605-1670), artiste français résident à Rome dans les années 1620, qui reprend la composition (inversée) du tableau d’Artemisia Gentileschi. L’ouvrage est composé de trois livres respectivement consacrés à la construction à l’attaque et à la défense des places. Le premier est conventionnellement divisé entre fortification régulière et irrégulière et complété par des considérations sur les forts de campagnes, « les petites places ». L’accent est mis sur la fortification régulière et la définition du vocabulaire des différents éléments de la fortification bastionnée, encore imparfaitement maîtrisée au début du XVIIe siècle. Deville, en praticien averti, justifie continuellement ses parti-pris en citant des exemples tirés de ses multiples expériences en France lors de ses campagnes contre les protestants (Montauban, La Rochelle, Clérac) et à l’étranger (Flessingue et Nimègue aux Pays-Bas, Turin, Civitavecchia, Venise « merveilleusement située » et Palmanova en Italie). Le second livre, encore entaché de nombreux exemples antiques (Annibal, César, Polybe, Végèce), explore en détail les divers moyens d’attaque des places par la ruse, la surprise et en dernier lieu la force. Le troisième traite de la défense des mêmes places en fonction des différentes attaques décrites dans le second livre, chacune d’entre elles devant être proportionnelle au nombre d’habitants et de soldats y résidant. S’appuyant sur de nombreux exemples, l’auteur n’a pas l’ambition de présenter un système novateur mais plutôt de fournir un compendium des différents systèmes modernes de fortifications. Il s’en explique dans son introduction, notant que « les viandes bien que savoureuses ne sont pas trouvées bonnes de tous » et qu’il préfère présenter une grande diversité de solutions pour contenter tous les esprits. La nouveauté de ses propos réside en l’importance qu’il accorde aux ouvrages avancés et à l’échelonnement en profondeur des ouvrages extérieurs des places fortes, définissant précisément les caractéristiques des ravelins, demi-lunes et ouvrages à corne. On peut voir dans ces définitions les prémisses de l’étalement complexe des ouvrages extérieurs qui sera mis en place pendant la seconde moitié du siècle.
L’iconographie des Fortifications est exceptionnelle. Fin dessinateur et graveur expérimenté, Antoine Deville note dans son introduction que les cinquante-cinq planches de son ouvrage présentées en pleine page et en double-page, sont « taillées de sa main » et qu’il a « utilisé la prospective pour s’accoutumer à prendre le plan des places ». Cette iconographie sophistiquée, juxtaposant éléments de fortifications avec paysages champêtres, vues de villes médiévales et ruines antiques, fait du traité une œuvre dédiée à un large public constitué tant d’amateurs d’estampes que de praticiens. Leurs sources italiennes et l’influence de Jacques Callot ont d’ailleurs été étudiées en détail par Jean-François Pernot (1978). La virtuosité de certaines de ces projections perspectives, nuisant à la lecture et au calcul des flanquements, sera néanmoins critiquée par certains de ses successeurs. Ainsi, Alain Manesson Mallet, dans son vade mecum pratique, Les travaux de Mars ou l’art de la guerre, publié en 1671, reprochera le mode de représentation de celui qu’il appelle péjorativement « ce cavalier » arguant que ses figurations « sont contraires à la nature et aux pratiques des meilleurs peintres et des plus habiles ingénieurs ».
Malgré ces critiques, l’ouvrage d’Antoine de Ville connut une fortune certaine. Les fortifications seront rééditées cinq fois au cours du XVIIe siècle, en 1636 et 1666 à Paris, en 1640 à Lyon, enfin en 1672 et 1675 à Amsterdam. Les éditions ultérieures de l’ouvrage n’y apporteront pas de modifications, seuls le nom de l’éditeur et de la date de publication étant modifié au frontispice. On retrouve l’ouvrage dans la plupart des grandes bibliothèques de l’époque et il est également exporté dans les colonies. Il est ainsi mentionné en 1717 dans l’inventaire après décès du capitaine Delauze, actif à la Nouvelle-Orléans et acheté par le chapelain du poste de La Mobile. À la différence de l’œuvre contemporaine de Blaise de Pagan publiée en 1640 dont Vauban avouera s’être inspiré pour moderniser les principes de la fortification « à la moderne », ce n’est point par la nouveauté des théories obsidionales que l’ouvrage de Deville prime mais plutôt par son souci de rationalisation de l’art de la guerre. Accordant une grande importance à l’économie du siège, à la logistique militaire et à l’ordre des attaques et de la défense, ses écrits seront une source d’inspiration majeure pour l’ouvrage de Vauban, Le directeur général des fortifications, dont l’édition pirate paraît en 1685 à La Haye.

Émilie d’Orgeix (Inha, Paris) – 2009

Bibliographie critique

Y. Bruant, « Les traités d’architecture militaire français à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle », J. Guillaume (éd.), Les traités d’architecture de la Renaissance, Paris, Picard, 1988, p. 477-484.

B. Colson, L’art de la guerre de Machiavel à Clauzewitz, Namur, Presses universitaires de Namur, 2002, p. 69-72.

A. Du Mège, Bibliographie toulousaine, ou dictionnaire historique des personnages…, Toulouse, Veuve Navarre, 1823, 1, p. 444.

J.-F. Pernot, « L’école française de fortifications », I. Warmoes & V. Sanger (éd.), Vauban Bâtisseur du Roi-Soleil, Paris, Somogy, 2007, p. 55-61 et notice 26 par V. Sanger, p. 158.

J.-F. Pernot, « La guerre et l’infrastructure de l’État moderne : Antoine de Ville, ingénieur du roi (1596 ?-1656?), la pensée d’un technicien au service de la mobilisation totale du royaume », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 34, juillet-septembre 1984, p. 407.

J.-F. Pernot, « Un aspect peu connu de l’œuvre d’Antoine de Ville, ingénieur du roi (1596 ?-1656?) . Approches d’un type de documents : les gravures des traités de fortifications », Revue historique des armées, 1978, p. 29-58.

M. D. Pollak, Military Architecture Cartography and the Representation of the Early Modern European City : A Checklist of Treatises on Fortification in the Newberry Library, Chicago, Chicago University Press, 1992, n° 22.

H. Vérin, « Galilée et Antoine de Ville : un courrier sur l’idée de matière », J. Montesinos & Carlos Solis (éd.), Largo Campo di Philosophare, Eurosymposium Galileo, Madrid, Orotavia 2001, p. 307-322.

H. Vérin, « Un lecteur intéressant », Cahiers de Science et Vie, Dossier Galilée, 61, février 2001, p. 68-71.