LES LIVRES D’ARCHITECTURE


Auteur(s) Desgodets, Antoine
Titre Traité de la comodité de l’architecture...
Adresse  
Localisation Paris, BnF, Estampes et photographie, ms. HA-23(B)
Mots matière Église, Hôpital, Hôtel de ville
Transcription du texte

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     Le Traité de la commodité nous est parvenu à l’état de manuscrit inachevé dans deux copies dont celle conservée à la Bibliothèque nationale de France. Il s’agit d’un cours incomplet, sans doute prévu pour la publication si l’on en juge par la qualité formelle des documents, parfaitement calligraphiés et accompagnés de dessins lavés d’une grande précision manifestement destinés à la gravure. Le traité devait initialement comporter trois parties : la première consacrée aux églises comportait cinq chapitres (description des anciennes églises chrétiennes, des églises cathédrales, paroissiales, monacales et conventuelles) ; la deuxième traitait des basiliques, hôtels de ville, commerces, palais de justice et bains (inachevée) ; la troisième – restée au stade de projet – s’intéressait aux palais, hôtels et maisons particulières servant au logement. Le cours couvrait ainsi tout le spectre des programmes architecturaux usuels dans la première moitié du XVIIIe siècle. Ces enseignements s’adressaient aux élèves de l’Académie royale d’architecture, comme le rappelle Jean Pinard, lui-même étudiant de l’institution et transcripteur du présent cours. L’auteur utilise par conséquent un style simple et clair pour de jeunes étudiants. L’une des finalités de la formation consiste également au travers des enseignements à intégrer les élèves dans le corps des architectes de l’Académie royale et à ce titre Desgodets inscrit son cours dans la tradition de la pensée de Vitruve et de ses Dix livres d’architecture : il enreprend la triade primordiale : commodité, solidité, beauté, à laquelle il ajoute le très français « critère de convenance ».
     Pour le premier chapitre, Desgodets fonde sa pédagogie sur l’histoire de l’architecture et sur ses grands modèles minutieusement mesurés et relevés. Les bâtiments étudiés ne sont cependant pas ceux que l’on attendrait et l’auteur choisit l’église de Tyr, la plus ancienne église connue, car elle constitue un prototype de l’église à trois nefs, plan que l’on retrouve notamment à Rome, à Santa Sabina, à Sant’Alessio et à Santa Maria in Trastevere. Puis Desgodets analyse avec la même minutie le baptistère de la basilique Saint-Jean-de-Latran, modèle cette fois-ci de l’église de plan centré, si cher à l’époque moderne. La partie historique fait donc l’impasse sur toute l’architecture romane, gothique et celle de la Renaissance. De cette manière, l’auteur inscrit ses projets dans la lignée des œuvres les plus anciennes – sinon antiques – de l’architecture, loin des « licences modernes » et revendique implicitement une orthodoxie architecturale issue de Vitruve. Ces églises font l’objet de relevés précis, minutieusement décrits et accompagnés de plans coupes et élévations. Dans un but pédagogique, l’auteur ajoute force détails sur la valeur d’usage des bâtiments, en l’occurrence sur la liturgie. Dans un second temps Desgodets propose quatre projets d’églises : cathédrale, paroissiale, monacale et conventuelle, pour lesquels il met au point une méthode d’analyse systématique. Tout d’abord il explique le programme et ses caractéristiques sous la forme de cahier des charges, puis il analyse le plan et enfin les élévations et coupes du bâtiment. Ces projets sont certes théoriques, mais la multitude de détails que donne l’auteur ajoute à la vraisemblance des dessins, eux-mêmes fort précis, réalisés selon le même mode de représentation graphique que les relevés de bâtiments anciens. Tous les écueils, subtilités, difficultés du programme sont passés au crible de la valeur d’usage et de la convenance, maîtres mots du traité.
     À ce titre, la question des ordres d’architecture, n’est pas négligée et constitue une partie importante du traité autour de la question des proportions réglée sur celle du bâtiment dans son ensemble. On retrouve là une des préoccupations centrales de l’Académie royale d’architecture qui consacre des années entières de conférences à les mesurer, les comparer, etc. Ainsi, pour l’église cathédrale l’auteur insiste-t-il tout particulièrement sur les proportions des ordres : « On divisera un de ces espaces [de demi-travée] en cinq parties dont on en prendra une pour faire le diamètre de la grosseur des colonnes et des pilastres du dedans de l’église, lesquels sont d’ordre corinthien ; on tracera ensuite suivant le diamètre le plan des colonnes, des pilastres en sorte que la longueur de la nef du chœur et des croisillons sera de neuf diamètres de colonnes dans œuvre... » (p. 59). En revanche, il faut avouer qu’il se montre un peu plus dogmatique dans le choix des ordres qu’il ne justifie guère au-delà d’une certaine évidence.
     Desgodets décrit également le second œuvre : stalles, chaire à prêcher, ambon, baldaquin, vitraux, sculptures, tabernacle... qui ne sont négligés ni pour leur dessin, ni pour leur emplacement. Le plus souvent de manière convaincante, il explique ses choix par la liturgie catholique. En ce sens, le traité est d’une certaine actualité et s’inscrit en tout cas clairement dans le mouvement de réforme tridentine de l’architecture. Elle apparaît par exemple dans l’emploi du confessionnal (le concile rappelle l’importance du sacrement de réconciliation), l’utilisation d’une gloire pour le décor de l’autel de l’église paroissiale (là encore le concile insiste sur l’importance des images), la mise en valeur des reliques des saints au maître autel sous le patronage desquels les églises sont érigées, ou encore l’emploi du dôme monumental à la romaine. Si l’auteur en recommande l’emploi, on reconnaît plus dans ses projets l’inspiration des grands modèles parisiens des dernières décennies du XVIIe siècle, qu’il s’agisse des dômes de la chapelle de la Sorbonne, de celle du Val-de-Grâce ou des Invalides. Il choisit les plus romains des modèles parisiens comme source d’inspiration pour la composition des façades de ses projets dans lesquels il mélange habilement des éléments empruntés à la Sorbonne, au collège des Quatre-Nations ou à l’église des Minimes.
     En raison de la relative nouveauté des programmes étudiés dans la seconde partie, Desgodets aborde les Hôtels-Dieu (chap. 1) et les hôtels de ville (chap. 2) de manière différente. Il n’utilise plus ici l’argument de l’histoire de l’architecture et fournit seulement des projets expliqués à ses étudiants. Comme pour les églises, l’auteur se réfère aux grands modèles contemporains, particulièrement pour l’Hôtel-Dieu qui s’inspire manifestement de l’hôpital de la Salpêtrière. L’organisation radio-centrique du bâtiment, réglé à partir de la chapelle centrale à l’intérieur d’un carré montre l’intérêt de l’auteur pour les projets les plus avancés du temps et les questions alors si sensibles de l’hygiène et de la circulation de l’air en particulier.
     Le dernier bâtiment étudié par Desgodets, l’hôtel de ville, paraît en revanche un programme assez étrange. L’auteur semble ici inventer ce qui s’apparente à une véritable « cité administrative » organisée autour d’une agora et qui mélange des locaux destinés aux édiles, mais aussi aux représentants des marchands et échevins, des salles de réception, d’autres pour les archives et des ateliers pour les peintres des décors de fêtes (sur ce dernier élément de programme, on se souvient des relations étroites entre François Blondel, fondateur de l’Académie d’architecture, et André Tremblin, peintre de l’Académie de Saint-Luc qui réalisa grandeur nature les maquettes peintes dessinées par Blondel pour les portes de la capitale). Desgodets ajoute des logements pour les différents officiers et magistrats, pour le parquet, le procureur du roi, un bureau des poids et mesures, un corps de garde, etc. Il n’y a pas alors de modèle pour un tel complexe et Paris attendra l’avènement de la troisième République pour se doter d’un édifice de cette ampleur.
     Reste à déterminer la portée de ce cours et son influence sur la production architecturale du temps. En raison du caractère inachevé du manuscrit, les retombées ne sont que partielles et malgré la précision des modèles proposés, il est bien difficile d’établir une filiation certaine entre les projets de Desgodets et des réalisations contemporaines. Cependant, il semble que l’église cathédrale ait inspiré Jacques Hardouin-Mansart de Sagonne pour Saint-Louis de Versailles d’une part et d’autre part que l’église conventuelle qui associe plan centré et longitudinal ait été reprise par Pierre Contant d’Ivry pour le plan de l’abbaye de Panthemont (par ailleurs reproduite dans l’Encyclopédie). Si les retombées directes de ce cours sont difficilement quantifiables, ces exemples montrent assurément l’influence des enseignements de Desgodets sur une génération entière d’architectes, à l’instar de son prédécesseur François Blondel et son successeur Jacques-François Blondel.

Christophe Morin (Université François Rabelais, Tours) – 2017

Bibliographie critique

J. Duportal. « Le cours d’architecture de Desgodets. Recueil inédit du Cabinet des Estampes », Revue de l’art ancien et moderne, vol. 36, 1914, p. 153-157.

H. Rousteau-Chambon, « Présentation du cours de la commodité », Site « Desgodets » (http://www.desgodets.net/commodite-presentation).

H. Rousteau-Chambon, L’enseignement de l’Académie royale d’architecture, Rennes, PUR, 2016, p. 234-250.

H. Rousteau-Chambon, « Antoine Desgodets et les églises paroissiales », Revue de l’art, 160, 2008-2, p. 61-68.