LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Auteur(s) |
Cotte, Frémin de |
Titre |
Explication facile et briesve des cinq ordres d’architecture... |
Adresse |
Paris, F. de Cotte, 1644 |
Localisation |
Paris, BnF, Res V-1998 |
Mots matière |
Ordres |
English
Frémin de Cotte (1591-1666), fils d’un tailleur de pierre et aïeul du célèbre Robert de Cotte, exerça comme entrepreneur et maître maçon à Paris et en Île-de-France dans les années 1620-1650 et fut un expert reconnu comme « juré du roi ès œuvres de maçonnerie » à partir de 1634. Il fut notamment maître d’œuvre de l’Oratoire en 1621 sous la direction de Clément Métezeau, puis de Jacques Lemercier l’année suivante. En 1635 il travailla aux écuries de l’hôtel de Soissons et retrouva Lemercier sur le chantier de l’hôtel de Liancourt (1635-1642). Passée la cinquantaine, il publia un opuscule sur les cinq ordres d’architecture, fruit sans doute de son expérience, destiné à tous ceux qui veulent s’en faire une idée juste et maîtriser leurs formes, sans doute peintres, artisans à la recherche de modèles, mais aussi commanditaires. À l’époque dans les salons précieux il est question d’architecture, de colonnes, de chapiteaux...
Les dix cuivres de format in-folio qui constituent l’ouvrage ont été tirés chez l’auteur (le graveur reste anonyme). Le fronstipice aux armes des Mesmes (1) en forme d’autel encadré de colonnes corinthiennes doubles qui s’inscrit dans la lignée des modèles publiés en 1633 par Jean Barbet et Pierre Collot est particulièrement soigné. Suivent la dédicace (2) à Jean-Antoine de Mesmes (c1598/1600-1673), conseiller au Parlement et maître des requêtes pour lequel Frémin de Cotte a travaillé, l’avis au lecteur (3-4), la feuille pliante des cinq ordres (5), l’explication des planches détaillées (6-7), toscan/dorique (8), ionique/corinthien (9), « composé » (10).
Ce traité pourrait passer pour un traité original dans la veine de la Reigle de Jean Bullant (1564) qui a été rééditée en 1619, le Premier livre d’architecture de Julien Mauclerc (1600), très inspiré de Hans Blum. Il n’en est rien. Frémin de Cotte en réalité abrège sans le dire la Regola de Vignole dont il a parfaitement compris la doctrine en donnant la première planche exacte des ordres vignolesques, car celle apparue dans l’édition pirate italienne de 1573 (posthume), sans cesse reprise, inspirée de Serlio, n’en rendait pas compte. La traduction de Vignole récemment publiée par Firens vers 1620 et celle très personnelle de Le Muet en 1632, doivent sans doute rester sans doute encore trop difficiles d’accès et réservées à des professionnels chevronnés. C’est du reste suite à ces publications que Frémin écrit cet opuscule, critiquant dans l’adresse au lecteur les précédents éditeurs et plus largement les théoriciens.
Il n’est pas anodin que Frémin de Cotte ait choisi Vignole alors que Palladio et Scamozzi ont leurs admirateurs. L’« Explication des cinq ordres d’architecture » souligne très clairement les deux moments de la construction des ordres, distinguant ce qui est commun à tous, à savoir la répartition de la hauteur globale, de ce qui est particulier, c’est-à-dire les dispositions propres à chacun. Réduite ici à sa plus simple expression, la planche des cinq ordres, et un modèle avec piédestal par ordre, la Regola de Vignole devient désormais « intelligible » . À l’inverse de Vitruve, Vignole détermine en effet le module à partir de la hauteur totale de la colonne : 19 parties pour l’ordre avec piédestal. Sa doctrine, qui n’est pas explicitée dans le traité initial, est fondée sur un rapport constant entre les trois parties fondamentales de l’ordre, quel qu’il soit : 3 pour l’entablement, 12 pour la colonne (base et chapiteau compris), 4 pour le piédestal. Ainsi à hauteur égale, l’entablement de chaque ordre équivaut toujours au quart de la colonne, le piédestal au tiers. Ce qui change d’un ordre à l’autre, c’est le diamètre de la colonne, comme le montre avec justesse la planche 4 de Frémin de Cotte. Il reste à déterminer le rayon qui sert de module et à le subdiviser en 30 parties pour réaliser tous les membres et éléments constitutifs de l’ordre. Mais en ne s’intéressant pas au décor des ordres, Frémin de Cotte semble s’adresser moins à des praticiens désireux de modèles ornementaux qu’à un public cultivé qui n’a cure des traités traditionnels et de leurs auteurs mais entend maîtriser un aspect incontournable du langage architectural de l’époque. De fait Frémin de Cotte fournit ici la première traduction graphique de la Regola de Vignole, ce qu’aucune autre édition de Vignole ne fera avant le XVIIIe siècle. Ce petit traité méconnu prend ainsi une place tout à fait remarquable dans l’histoire de la théorie architecturale.
Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2016
Bibliographie critique
A. Gady, Jacques Lemercier, architecte et ingénieur du Roi, Paris, Maison des Sciences de l’Homme, 2005, p. 331-333.
A. Gady, « De l’église au temple de l’Oratoire », Philippe Braunstein (éd.), L’Oratoire du Louvre et les protestants parisiens, Genève, Labor et Fides, 2011, p. 32.
F. Lemerle, « Ordres et proportions dans la tradition vitruvienne (XVe-XVIIe siècles) », S. Rommevaux, P. Vendrix & V. Zara (éd.), Proportions. Science-Musique-Peinture & Architecture, Turnhout, Brepols, 2012, p. 409-423.
F. Lemerle & Y. Pauwels, Architectures de papier. La France et l’Europe, suivi d’une bibliographie des livres d’architecture (XVIe-XVIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 107-110.
C. Thoenes, « Vignolas Regola delli cinque ordini », Römisches Jahrbuch für Kunstgeschichte, 20, 1983, p. 345-376 (tr. ital. : « La Regola delli cinque ordini », Sostegno e adornamento. Saggi sull’architettura del Rinascimento : disegni, ordini, magnificenza, Milan, Electa, 1998, p. 77-107).
C. Thoenes, « La Regola delli cinque ordini del Vignola », J. Guillaume (éd.), Les traités d’architecture de la Renaissance, Paris, Picard, 1988, p. 269-279.
|