LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Coecke, Pieter
Titre
Die inventie der colommen...
Adresse Anvers, P. Coecke, 1539
Localisation Munich, Bayerische Staatsbibliothek, A.civ. 53
Mots matière Ordres
Transcription du texte

English

     Ce petit traité, qui ne doit précéder que de quelques mois la première traduction néerlandaise du Quarto libro de Serlio, s’en distingue à la fois par son format et par le lectorat qu’il vise. Si les traductions du Bolonais sont des in-folio luxueux, a priori conçus pour une clientèle aisée et lettrée, l’ouvrage est ouvertement destiné aux artisans effectivement actifs sur les chantiers des Provinces à l’époque, peintres, sculpteurs et tailleurs de pierre (« scilders, beeltsniders, steenhouders »). Son succès auprès de ces derniers explique sans doute l’extrême rareté des exemplaires conservés : l’un à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich, un second à la bibliothèque universitaire de Gand (Res 1448, incomplet) et un troisième à la Herzog-August Bibliothek de Wolffenbüttel (40.5.1 Geom.).
Il s’agit d’un traité des ordres qui prétend s’inspirer de « Vitruve et autres divers auteurs ». Au-delà de nombreuses références savantes mais superficielles qui n’ont pour but que de conférer au livre une certaine dignitas humaniste, Pieter Coecke trouve sa principale source dans Cesariano, qui est nommément cité dès le début du premier chapitre (f. a4v°), et dont l’influence apparaît clairement par exemple dans le piédestal dorique du folio b7, caractérisé par une frise à triglyphes imitée de la planche 65v° du Vitruve de 1521. D’autres détails corroborent l’influence de l’Italien, en particulier le profil très singulier de la base toscane, composée d’un tore surmonté d’une doucine (le profil classique ne comportant qu’un tore sur la plinthe) (1539, f. c6 ; 1521, f. 70). Un autre nom apparaît, celui de Diego de Sagredo, dont les Medidas del Romano, parues à Tolède en 1526, furent traduites en français vers 1536 (cette traduction est du reste rééditée en 1539, la même année que l’Inventie der colommen). À Sagredo, Coecke emprunte probablement sa méthode de tracé du tailloir corinthien, avec un centre du cercle de courbure établi sur une perpendiculaire et non sur le sommet d’un triangle équilatéral (1539, f. c5 ; 1526, f. D2v°), ainsi que l’idée de représenter les fûts des colonnes régulièrement rétrécis du bas jusqu’au sommet (1539, f. c6), et non pas seulement à partir du tiers inférieur.
Ces deux références attestent un lien avec la culture architecturale espagnole, qui devint obsolète dès que l’influence serlienne s’avéra prépondérante. Il ne concerne pas que l’utilisation de Sagredo, évidente de ce point de vue, mais aussi celle de Cesariano. Le Lombard est le premier théoricien italien à avoir influencé l’Espagne. Si Coecke choisit de représenter un piédestal à frise dorique tiré de Cesariano, c’est moins peut-être par estime pour un traité évidemment dépassé en 1539 que parce que ce modèle a déjà inspiré Pedro Machuca à l’Alhambra de Grenade, en même temps que d’autres planches du Vitruve. Plus généralement, le Vitruve de Côme a rencontré en Espagne un succès évident, attesté par certains détails, par exemple à la cathédrale de Murcie (chapiteaux-têtes de la porte de la sacristie, triglyphes-balustres de l’ordre extérieur de la Capilla de Junteron). Familier aux artisans espagnols, il devait l’être aussi aux maçons flamands.
Ce lien avec la péninsule ibérique peut expliquer l’absence de Serlio dans l’Inventie, a priori surprenante pour le traducteur du Quarto libro. Mais dans l’optique qui est la sienne, le traité s’adresse aux artisans. Comme Cesariano mais d’une manière plus systématique et précise, Coecke prend soin de doter ses illustrations d’un système de repères graphiques (règles graduées, arcs de cercles), qui permettent de visualiser les rapports de proportions des parties et de l’ensemble sans avoir à se référer au texte – ce que Serlio ne fait guère, pas davantage Sagredo sinon dans quelques planches ajoutées en marge de la seconde édition française publiée en 1539 ; en revanche, ce procédé, très commode pour les hommes de métier, fut systématisé par l’Allemand Hans Blum dans sa Quinque columnarum exacta descriptio parue à Zurich en 1550, dont la traduction française fut publiée à Anvers dès l’année suivante en 1551.

Yves Pauwels (Cesr, Tours) – 2013


Bibliographie critique

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K. De Jonge, « Die Inventie der colommen de Pieter Coecke à Anvers en 1539 », S. Deswarte-Rosa (éd.), Sebastiano Serlio à Lyon. Architecture et imprimerie, Lyon, Mémoire Active, 2004, p. 481.

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H. De La Fontaine Verwey, « Pieter Coecke van Aelst en zijn boeken over architectuur », H. Verwey (éd.), Uit de wereld van het boek I. Humanisten, dwepers en rebellen in de zestiende eeuw, Amsterdam, Elsevier, 1975, p. 51-68.

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J. Offerhaus, « Pieter Coecke et l’introduction des traités d’architecture aux Pays-Bas », J. Guillaume (éd.), Les traités d’architecture de la Renaissance, Paris, Picard, 1988, p. 443-452.

Y. Pauwels, « L’introduction des ordres d’architecture dans les Pays-Bas : entre Italie et Espagne », R. Dekoninck (éd.), Relations artistiques entre l’Italie et les anciens Pays-Bas. XVIe-XVIIe siècles, Bruxelles/Rome, Institut historique belge de Rome, 2012, p. 53-59.