LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Chéreau, Jean
Titre Livre de larchitecture
Adresse  
Localisation Gdansk, Bibliothèque municipale, ms. 2280
Mots matière Architecture, Astronomie, Gnomonique, Stéréotomie, Géométrie, Perspective
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Transcription du texte

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     Jean Chéreau est l’auteur d’un traité inédit, Le Livre de larchitecture, conservé à la bibliothèque municipale de Gdansk en Pologne. Cet ouvrage dans son aspect actuel est quelque peu déconcertant puisqu’il ne commence qu’après une vingtaine de feuillets consacrés à divers sujets, manteaux et jambages de cheminées, toisé de bâtiments, définitions de termes d’architecture tels qu’« ichnographie », « orthographie » et mesures de l’homme. On ignore presque tout de la vie de l’auteur ; dans l’adresse au lecteur, il se présente modestement comme tailleur de pierre, natif de Joigny en Bourgogne. La date de sa naissance et celle de sa mort restent inconnues. Il est apparemment l’un des deux Jean Chéreau (le père et le fils) cités par Edme-Louis Davier (1665-1746), auteur d’une Histoire de la ville et du Comté de Joigny, manuscrit rédigé en 1723.
     Le traité de Chéreau apparaît d’abord comme une compilation largement inspirée du Premier tome de l’architecture de Philibert De l’Orme (1567) et de Sebastiano Serlio (Livres I et II sur la géométrie et perspective, 1545, Livres III et IV). Il s’en démarque néanmoins par des propositions originales sur les ordres d’architecture, qui présentent des modèles dérivés de ceux de Serlio, mais présentés avec des outils géométriques (cercles, arcs de cercles, échelles graduées) à la manière des traités de Hans Blum (1550) et de Jean Bullant (1564). Comme ces derniers, il place au centre de la colonne dorique non une cannelure mais une arête. En outre, certaines des solutions qu’il propose sont rares : le gorgerin du chapiteau ionique, qui fait penser à Blum (f. 99v) ou la moulure creuse en talon d’une étrange base dorique (f. 97v). Le dessin du triglyphe dorique constitué non pas des traditionnels canaux prismatiques mais de six glyphes étroits (f. 94) est quant à lui unique. Dans le cas du chapiteau composite (f. 102), Chéreau reprend le texte De l’Orme à propos d’un chapiteau antique (1567, f. 205), mais l’exemple dessiné est original et différent de celui publié par Philibert.
     La singularité de l’entreprise de Chéreau va toutefois au delà. Il s’agit en effet d’un architecte à part entière : on lui doit la façade de l’église de Villeneuve-sur-Yonne, et probablement les plans pour la reconstruction du château de Joigny, détruit comme la ville en 1530 par un incendie. Il a surtout réalisé l’extraordinaire voûte en berceau à lunettes de l’église Saint-Jean de sa ville natale, entre 1557 et 1596, comme l’indique l’inscription placée à l’extrémité antérieure du vaisseau : « Ceste neif et voulte depuis le jube jusques icy a este conduicte par jehan cheriau enfant de joigny acheve le 17 mars 1596 ».
     Chéreau avait manifestement prévu d’éditer son traité, comme en témoigne l’adresse au lecteur, la dédicace au roi Charles IX, non nommé mais représenté par son portrait, copie du frontispice du traité d’escrime que lui avait dédié Henry de Sainct Didier en 1573 (Traicté contenant les secrets du premier livre sur l’espée seule...). Le Livre de larchitecture a donc été rédigé entre 1567, date de publication du Premier tome de De l’Orme et 1574, date de la mort de Charles IX, le dédicataire. Abondamment illustré, souvent en pleine page, l’ouvrage associe métrologie, perspective, astronomie, gnomonique et cosmographie aux techniques de représentation de l’espace par la mesure et le dessin, tout en intégrant de façon hétérogène les cinq ordres, des détails de corniche et d’entablement des Tuileries, deux exemples de cheminées, des représentations des châteaux d’Ancy (rez-de-chaussée et caves, élévation partielle), d’Assier (plan du rez-de-chaussée) et de Chambord (plan « corrigé » avec les quatre appartements du donjon orientés selon le même axe). Ces images sont consultables sur le site calaméo.
     Comme Philibert de l’Orme, Chéreau consacre une partie de son traité à l’art du trait, « Commencement des traictz de Geometrie » (ff. 102v-119). Cette partie technique sur laquelle se clôt pratiquement le Livre de larchitecture, liée à l’expérience directe de Chéreau comme maçon, tailleur et appareilleur de pierre, est la plus originale. Il ne se contente pas de reprendre De l’Orme, mais fait part de son propre savoir et de sa réflexion théorique. Il est ainsi le premier à traiter de la trompe sphérique dans l’angle et sous le coin, utilisée à Notre-Dame des Ardilliers à Saumur (f. 104), à parler de « trompe de Montpellier » (f. 105v), variante de trompe en tour-ronde, dont le prototype se trouvait rue de l’Herberie à Montpellier, d’arrière-voussure « de Marseille » (Montclos 1982, p. 95). D’une certaine façon il assure avec Gentillâtre une continuité théorique entre le Premier tome de Philibert De l’Orme et le Secret d’architecture que Mathurin Jousse publiera en 1642. Il n’est plus question de voûtes d’ogives : Chéreau est le premier à remettre à l’honneur la voûte en berceau à Saint-Jean de Joigny, courante dans l’architecture romane pour la nef d’une église et à en donner une illustration.

Frédérique Lemerle (Cnrs, Cesr, Tours) – 2016

Bibliographie critique

E.-L. Davier, Histoire de la ville et du comté de Joigny, Joigny, Tissier, 1913 (éd. fac-simile du ms.) ; Paris, Le Livre d’histoire, 2009.

J.-M. Pérouse de Montclos, L’architecture à la française, XVIe, XVIIe, XVIIIe siècles, Paris, Picard, 1982, p. 95 (rééd. 2001, 2013).

H. Stein, « Un manuscrit français de la bibliothèque de Dantzig », Le bibliographe moderne, 21, 1923, p. 183-197.

J. Vallery-Radot, « Saint-Jean de Joigny », Congrès archéologique de France, 116e session, Auxerre, Paris, Société française d’archéologie, 1958, p. 123-129.