LES LIVRES D’ARCHITECTURE
Entre 1548 et 1551, Henri II fit de somptueuses entrées solennelles dans les trois principales villes de son royaume, Lyon, Paris et Rouen. Cette dernière est connue grâce au livret qui en décrit précisément le déroulement et les décors, attribué par Margaret McGowann à Claude Chappuys (1500-1575), lettré, poète et chantre de la cathédrale de Rouen. Elle se distingue par plusieurs éléments singuliers qui ont depuis longtemps attiré l’attention des chercheurs. La principale curiosité est le fameux et exotique spectacle des « cannibales », qui mit en scène des indigènes du Brésil, largement commenté par les historiens depuis le XIXe siècle. Mais, du point de vue de l’histoire de l’art et de l’architecture, elle présente plusieurs caractéristiques qui la différencient des précédentes. La première est due au fait que contrairement aux entrées de Lyon et de Paris, l’entrée de Rouen survient peu après une victoire : la prise de Boulogne, investie par les troupes françaises puis rachetée aux Anglais en 1550 pour 400 000 écus. L’affaire, conclue par une transaction financière, n’est pas un fait d’armes très glorieux, mais elle passe pour telle ; Ronsard écrit, dans l’Hymne de Henry deuxiesme de ce nom, roy de France : Et sans en faire bruit, par merveilleux effortz, Ce fut donc l’occasion, pour l’entrée, de mêler aux traditionnelles allégories et festivités mythologiques des éléments ouvertement empruntés à l’antique cérémonie du triomphe, qui célébrait le consul victorieux. Ainsi, contrairement à ce qui s’était passé à Lyon ou à Paris où nul récent succès militaire ne pouvait être évoqué, l’on vit à Rouen défiler trompettes, prisonniers, trophées, maquettes des forts pris autour de Boulogne, et tout un attirail de chars et de troupes guerrières, y compris des éléphants (en fait des chevaux grimés), emprunté aux Triomphes de Pétrarque, bien connus dans la capitale normande où ils avaient déjà inspiré plusieurs décors, entre autres certains bas-reliefs à l’hôtel de Bourgthéroulde dans les années 1520. Il y a aussi de claires ressemblances entre les compositions proposées par les gravures du livret et les peintures des Triomphes de Mantegna, aujourd’hui à Hampton Court, que de nombreuses copies gravées avaient popularisées. De fait, l’entrée de Rouen est parmi toutes celles qui sont célébrées en France et dans l’Empire au milieu du XVIe siècle celle où la restitution archéologique du triomphe à l’antique tel qu’on se le représentait alors est la plus attentive. Yves Pauwels (CESR Tours) – 2022 Bibliographie critiqueJ.-C. Arnoult, « Entrée à voir, entrée à lire : l’Entrée d’Henri II à Rouen et sa transcription littéraire (1550-1551) », John Nassichuk (éd.), Vérité et fiction dans les entrées solennelles à la Renaissance et à l’âge classique, Québec, PUL, Les collections de la République des Lettres, Série « Symposiums », 2009, p. 117-133. F. Lestringant, Le Cannibale. Grandeur et décadence, Paris, Perrin, 1994. V. E. Graham, « The Entry of Henry II into Rouen in 1550 : A Petrarchan Triumph », K. Eisenbichler & A. Iannucci (eds), Petrarch’s Triumphs, Allegory and Spectacle, Ottawa, Dovehouse Éditions, 1990, p. 403-413. I. Lettéron, Rouen. L’hôtel de Bourgthéroulde, demeure des Le Roux, Cahiers du Patrimoine,44, Paris, L’Inventaire, 1996, p. 36-140. M. McGowan, « Forms and Themes in Henri II’s Entry into Rouen », Renaissance Drama, 1, 1968, pp. 199-252. M. McGowan, L’Entrée de Henri II à Rouen 1550. A facsimile with an introduction by Margaret M. McGowan, Amsterdam, Theatrum Orbis Terrarum ; New York, Johnson Reprint Corp., [1970]. J.-M. Massa, « Le monde luso-brésilien dans la joyeuse entrée of Rouen », J. Jacquot & E. Konigson (dir.), Les Fêtes de la Renaissance, vol. 3, CNRS, Paris, 1975, p. 105-116. Y. Pauwels, « L’architecture et ses représentations : miroirs de Charles IX ? », L. Capodieci, E. Leutrat & R. Zorach (dir.), Miroirs de Charles IX. Images, imaginaires, symbolique, Genève, Droz, 2018, p. 125-134. B. Perrone-Moisés, « L’alliance normando-tupi au XVIe siècle : la célébration de Rouen », Journal de la société des américanistes, 94-1, 2008. M. Wintroub, « Civilizing the savage and making a king : the royal entry festival of Henri II (Rouen, 1550) », Sixteenth Century Journal, 29 (2), 1998, p. 465-494. M. Wintroub, « L’ordre du rituel et l’ordre des choses : l’entrée royale d’Henri II à Rouen ». Annales. Histoire, Sciences Sociales, 56ᵉ année, 2, 2001, p. 479-505.
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