LES LIVRES D’ARCHITECTURE



Auteur(s) Caus, Salomon de
Mérian, Mathieu (graveur)
Titre Hortus Palatinus...
Adresse Francfort, J. T. de Bry, 1620
Localisation Heidelberg, Ruprecht-Karls-Universität, K 6371 Folio Res
Mots matière Jardin
Transcription du texte

English

     Salomon de Caus est né en 1576 à Dieppe, en Normandie. Les archives témoignent de son activité à la cour du gouverneur des Pays-Bas espagnols à Bruxelles à partir de 1601. Dès 1598, il y avait probablement réalisé une médaille de la taille d’une monnaie chez le médailleur Jean de Montfort (Bibliothèque royale de Belgique, Cabinet des Médailles). En 1605 l’archiduc Albert le nomme « ingéniaire à la fontaine artificielle et en toutes autres choses que luy seront commandées ». Dans les années 1608-1609, de Caus est à Londres pour enseigner le dessin au prince Henry ; mais il travaille aussi pour la Cour et la noblesse en tant qu’architecte de jardins. En 1614, par l’entremise de la princesse Elisabeth Stuart, qui avait épousé le Prince électeur Palatin, il répond à l’appel de Heidelberg. Il quitte la ville pour Paris en 1620, à cause de la guerre, pour se mettre au service de Louis XIII, qui l’emploie comme ingénieur et architecte du Roi. Il meurt à Paris en 1626.
L’Hortus Palatinus est un recueil de gravures publié en 1620 à Francfort par l’imprimeur et graveur Jean Théodore de Bry dans une double édition allemande et française, avec des pages de titre identiques. C’est l’une des plus précoces publications de ce genre : en Allemagne elle est précédée par l’Architectur des [...] neuen Schloßbawes St. Johannespurg zu Aschaffenburg de Georg Ridinger (1616). Dans sa structure générale – une dédicace, un court texte de présentation et trente gravures – l’ouvrage fait référence aux Plus excellents bastiments de France de Jacques Androuet du Cerceau (1576 et 1579). Mais à la différence du Français, Salomon de Caus consacre tout son Hortus Palatinus à une seule réalisation, le jardin que Frédéric V, prince électeur palatin élu l’année précédente roi de Bohême, avait fait réaliser pour son château de Heidelberg. Dans ce cas, le jardin devient l’élément le plus représentatif de la résidence, les bâtiments, relativement aux critères de l’uniformisation formelle de la typologie palatiale, s’avérant moins importants.
Les gravures sont de Mathieu Mérian, gendre J. T. de Bry, ce qui n’est cependant attesté que par la signature de la « Scenographia » (« Iacob Focqier pinxit, Matthae Merian fecit »). Mérian a suivi la vue du jardin d’Heidelberg peinte par le Flamand Jacques Foucquiers (76 x 103 cm, collection privée), reprise dans un plus grand format (1620, 179 x 263 cm, Heidelberg, Kurpfälzisches Museum). Des images de ce type, avec un point de vue élevé (ou en perspective cavalière à vol d’oiseau) s’adaptaient particulièrement bien à la représentation des jardins, que l’on pouvait ainsi voir intégrés dans le contexte géographique, en relation avec l’ensemble du paysage. La célèbre veduta de la villa d’Este d’Étienne Dupérac (1573) en avait donné un prototype largement diffusé. Bien mieux que le plan qui suit et les vingt-neuf autres planches, la « Scenographia » placée en tête de l’ouvrage donnait une idée visuelle de ce qu’aurait dû être le jardin, qui n’a jamais existé dans l’état que montrent les vedute. De fait, Salomon de Caus confirme dans l’avant-propos adressé au lecteur qu’à la fin de l’année 1619, il ne croyait plus à l’achèvement du chantier : « Und wenn der jetzige Krieg nicht dazwischen gekommen wäre, hätte innerhalb von ungefähr sechs Monaten alles ganz und gar fertig werden können » (« et si la guerre actuelle n’était pas entre-temps survenue, tout aurait pu être complètement terminé avant environ six mois ») ; par ailleurs, les fouilles archéologiques entreprises dans les années 2003-2004 et en 2008 confirment qu’une grande partie des terrasses inférieures, comme la terrasse nord, de même que les fontaines, les bassins et les escaliers ainsi qu’une partie des canalisations d’eau nécessaires n’ont jamais été menés à bien. La dédicace au seigneur des lieux, Frédéric, roi de Bohême, comte Palatin du Rhin et Prince électeur, est datée du 20 décembre 1619. Salomon de Caus s’y plaint que l’accession du prince à la couronne, qui a eu pour conséquence le déplacement de la résidence à Prague, ait retardé l’achèvement de l’Hortus Palatinus. Avec cette situation nouvelle, qui renvoyait la fin des travaux à une date indéterminée, Caus légitime la réalisation des gravures, qui sont conçues pour donner aux projets une réalité visuelle.
Dans l’avant-propos au lecteur, Salomon de Caus décrit précisément la topographie des lieux, et surtout la transformation de l’ancien jardin en « Hortus Palatinus ». Pour ce faire, il souligne les difficultés formelles dues à son emplacement sur une pente rocheuse. La seconde partie du texte est une courte description des planches numérotées qui suivent. L’auteur utilise ici plans, élévations et perspectives isométriques parfois combinés, aux côtés desquels les éléments les plus importants sont présentés isolés. Un processus systématique additionnant les détails donne à connaître le projet, qui ne met pas en évidence une relation spatiale ou axiale avec le château. Il n’a pas davantage de démarche concertée dans l’ordre des planches pour mettre en valeur un parcours ou une logique précise dans l’organisation du jardin. La suite des gravures commence par un jardin clos par des murs et des arbres, avec quatre compartiments de parterres à motifs de nœuds ; à l’intersection des axes perpendiculaires s’élève une fontaine en forme de colonne ; des portails à colonnes marquent nettement l’alignement des axes. La fontaine-colonne réapparaît en détail dans la planche suivante : on retrouve le même procédé employé dans la représentation du parterre d’eau (n° 7 et 8).
Le parterre de broderies à quatre compartiments dessiné sur la planche 5, avec le nom du Prince électeur et la date de 1619 inscrits dans des arcs de cercle autour du rond central, ainsi que quatre couronnes stylisées compte parmi les plus anciens exemples du genre (on verra d’autres broderies sur la planche 14). Claude Mollet avait en effet déjà dessiné des broderies un peu plus tôt, entre autres à Saint-Germain-en-Laye et à Fontainebleau ; mais nous n’en avons conservé aucune représentation contemporaine. Particulièrement remarquable est le programme iconographique de la statuaire, qui est aussi expliqué dans le texte. Aux entrées s’élèvent des statues de huit muses, Uranie, la neuvième, muse de l’astronomie, se trouvant à l’intersection des axes. Elle tient une baguette dans sa main levée, dont l’ombre servait aussi à indiquer l’heure, comme un cadran solaire.
Salomon de Caus apporte une attention particulière aux serres. Ce sujet est illustré par le verger d’orangers qui apparaît ensuite (n° 6), une orangerie démontable (n° 9) dont le revêtement de bois peut facilement être enlevé en été, ainsi que qu’une orangerie en dur (n° 10 et 11). Alors que la serre bâtie en bois devait permettre de faire pousser des plantes exotiques en pleine terre, la serre en dur convenait bien pour les plantes en pots ou en caisses.
À côté des plans de parterres et des serres, les sculptures jouaient aussi un rôle très important dans l’aménagement du jardin. Ainsi, la vue perspective du parterre d’eau est-elle complétée par une série de statues prévues pour son ornement : deux Vénus, deux putti chevauchant des dauphins et une figure masculine s’abritant sous une ombrelle d’eau (n° 8). Plus loin, ce sont le Main et le Neckar qui apparaissent sous la forme d’allégories de fleuves, curieusement représentées debout (n° 15). Il faut considérer comme une innovation la statue de Frédéric V placée debout au-dessus d’un édicule avec un Neptune : c’est probablement le premier monument rendant hommage à un seigneur dans l’histoire des jardins aux temps modernes.
L’auteur est très attentif aux grottes, un thème qui sans doute peut être considéré comme sa spécialité. Dans son traité de mécanique, la Raison des forces mouvantes de 1615, de Caus avait déjà traité des grottes en détail. À Heidelberg, il n’a pas prévu d’automates animés par des procédés hydropneumatiques, mais deux machines musicales qui ne furent jamais réalisées. Dans la grande grotte de la planche 28, représentée en plan et élévation, aurait dû se trouver un orgue hydraulique. En outre, le projet prévoyait d’équiper aussi les sculptures d’un satyre et d’un Narcisse animées de jets d’eaux au son de flûtes.
L’Hortus Palatinus peut être considéré comme le chef d’œuvre de Salomon de Caus. En comparaison du jardin de Heidelberg, les travaux qu’il a réalisés à Bruxelles, en Angleterre ou en France (à propos desquels on ne sait pour ainsi dire rien) passent au second plan. Or l’histoire de l’influence de ce jardin détruit dès le XVIIe siècle repose principalement sur le traité, premier recueil d’estampes monographique consacré à l’aménagement d’un jardin. Salomon de Caus possédait une grande expérience en matière d’édition : il avait publié en 1611 un traité de perspective, en 1615 un traité de mécanique, réédité en 1624. Cette même année parut un texte sur les cadrans solaires, et l’on sait qu’à la fin de sa vie, l’auteur travaillait à une traduction commentée du De architectura de Vitruve. Cette vaste production littéraire a été déterminante pour sa postérité. Si John Evelyn fait référence aux machines de Salomon de Caus dans son Elysium Brittannicum (rédigé à partir de 1657 environ), et si Andreas Böckler connaissait bien ses écrits, les inventions de l’ingénieur et architecte de jardins n’ont pas vraiment d’échos sensibles dans le domaine de l’architecture et de l’art des jardins. En revanche, au XIXe siècle, Salomon de Caus est faussement caricaturé comme un martyr de la science, rendu populaire par des fictions littéraires, des récits, voire des pièces de théâtre.
En 1795 parut à Mannheim une édition in-12 de l’Hortus Palatinus ; en 1829, Johann Metzger utilisa des extraits de l’Hortus Palatinus dans sa Beschreibung des Heidelberger Schlosses und Gartens ; John Claudius Loudon intégra une traduction du texte, sans la dédicace, dans une deuxième édition de son Encyclopaedia of Gardening (Londres, 1853, vol. 1, p. 171-175). Michel Conan a publié un reprint de la version française en 1981 (Le Jardin Palatine, Paris). La plus récente et excellente édition commentée est celle procurée par Michael Zimmermann (Worms, 1980).

Stefan Schweizer
(Institut für Kunstgeschichte der Heinrich-Heine-Universität Düsseldorf) – 2010

 

Bibliographie critique

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